mercredi 29 mars 2017 - par MUSAVULI

Blocage politique au Congo : Il faut revenir à la Constitution

L’échec des bons offices de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) aggrave un peu plus la crise politique en République Démocratique du Congo. Il est néanmoins l’occasion de se poser de bonnes questions et de revenir aux fondamentaux. En effet, seul le strict respect des dispositions de la Constitution garantit à un Etat un fonctionnement harmonieux. La conscience de tous ceux qui ont consenti à accorder une rallonge au pouvoir du président Kabila, après son second et dernier mandat, se trouve ainsi interpellée. Franchir le cap du 19 décembre 2016 signifiait embarquer le pays dans un monde incertain fait de ruses et de manipulations dont seuls Kabila et ses fidèles détenaient les secrets. Le mal vient toutefois de loin et trouve son explication, non pas dans la Constitution, mais bien dans la responsabilité des animateurs des institutions. Pourquoi un pays doté d’une loi fondamentale qui posait si remarquablement le diagnostic des maux qui le rongeaient a-t-il renoué si vite avec ses vieux démons ? Qui était en charge de faire respecter la Constitution, et a donc failli, ouvrant la voie au blocage actuel ?

Ce sont là, entre autres, les questions auxquelles nous essayons de répondre dans les lignes qui suivent.

Une Constitution dotée de garde-fous

 

Comme cela transparaît dans le préambule, les rédacteurs de la Constitution de 2006 firent un remarquable travail de diagnostic des maux à l’origine des crises récurrentes qui déchiraient le pays. « Depuis son indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette contestation a pris un relief particulier avec les guerres qui ont déchiré le pays de 1996 à 2003. En vue de mettre fin à cette crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire, les délégués de la classe politique et de la Société civile, forces vives de la Nation, réunis en Dialogue-inter congolais, ont convenu, dans l’Accord Global et Inclusif signé à Pretoria en Afrique du Sud le 17 décembre 2002, de mettre en place un nouvel ordre politique, fondé sur une nouvelle Constitution démocratique sur base de laquelle le peuple congolais puisse choisir souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles ».

L’exercice du pouvoir par Mobutu et ses fidèles avait fini par consacrer une présidence à vie et ses travers en termes de totalitarisme, de clientélisme, de népotisme et d’incurie collective. La rédaction de la nouvelle Constitution devint l’occasion de poser un cadre institutionnel semi-parlementaire, où les pouvoirs du président étaient nettement réduits au profit du premier ministre. Par ailleurs, le mandat du président était limité dans le temps. « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois » (article 70). La disposition est renforcé par l’article 220 qui proscrit toute révision constitutionnelle ayant pour objet «  le nombre et la durée des mandats du Président de la République  ». 

Bien qu’il occupe la position centrale dans les institutions, le président n’est pas au-dessus des lois. Députés et sénateurs ont la possibilité de le mettre en accusation et de le poursuivre devant la Cour constitutionnelle qui, en cas de condamnation, prononce la déchéance du président. La Constitution fut adoptée à 85 % à l’issue d’un référendum dont le déroulement, dans l’ensemble, fut considéré comme paisible.

Le Congo était ainsi lancé sur des bases fondamentales tout à fait saines pour une nation aspirant au statut de « jeune démocratie ». L’espoir sera, hélas de courte durée. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? L’application des règles ! Un problème d’hommes, et non de Constitution. 

 

Les défaillants

 

Une première défaillance majeure va se produire en 2011-2012, lorsque le pays s’avère incapable d’organiser les élections sénatoriales. En Effet, après une élection présidentielle chaotique, les élections sénatoriales furent renvoyées aux calendes grecques. Le fait pour un pays d’avoir un sénat composé de membres hors mandat fut le premier signe annonçant le risque qu’un jour, le Congo tout entier pourrait se retrouver avec des dirigeants hors mandat. Cinq ans plus tard, la question de savoir qui était supposé agir contre cette flagrante illégalité se pose avec gravité.

Au premier chef, naturellement, le président de la République. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions (article 69). Le fait que les élections sénatoriales ne soient pas organisées signifie que les institutions ne fonctionnent pas comme elles le devraient. Ce manquement aurait valu au président Kabila d’être mis en accusation dès 2012 devant la haute juridiction conformément à l’article 166. En tout cas, dès la première navette parlementaire, les députés auraient dû relever le fait que les sénateurs étaient hors mandat, et qu’ils n’avaient pas à se prononcer sur les textes législatifs. La Cour constitutionnelle aurait, elle-même, relevé qu’il n’y a pas lieu de valider un texte de loi adopté par un sénat composé de membres hors mandat. Cette mise à l’index du « sénat de Kengo » aurait obligé le gouvernement et la Commission électorale d’accélérer la tenue des élections sénatoriales. Mais hélas, l’illégalité resta en l’état, et le sénat continua de fonctionner avec des membres hors mandat.

Ce qui devait arriver a fini par arriver. Aidé par un parlement qui n’a jamais conquis son indépendance de l’exécutif et une Cour constitutionnelle complice du glissement, Kabila et ses fidèles ont entraîné le pays dans le néant juridique actuel où la seule légitimité du pouvoir repose sur la détention de la force brute. L’espoir d’un retour à la légalité reste permis, mais une légalité condamnée à être éphémère tant que la capacité de faire respecter les règles communes manquera d’être assumée dans un pays où les élus sont pourtant confortablement payés pour assumer leur rôle de contre-pouvoir au président.

 

Dialogue de sourds

 

En attendant, c’est un spectacle à peine croyable qui se déroule à Kinshasa. Les fidèles du président Kabila, qui a lourdement failli à ses obligations constitutionnelles, sont maintenant ragaillardis par l’option d’un règlement négocié de la crise de non-tenue des élections. Collectionnant de prétextes à n’en point finir, ils ont fini par gripper complètement les négociations qui, pourtant, avaient été conçues comme une voie de sortie honorable à un gouvernement défaillant. Alors que, sous d’autres cieux, ces hommes et ces femmes seraient en train de rendre des comptes devant la justice pour leur gouvernance calamiteuse, les voici en ordre de bataille pour imposer leur agenda à l’ensemble des Congolais. Cet agenda est connu depuis 2013. Il s’agit d’assurer à Joseph Kabila un exercice du pouvoir de façon illimitée, un scénario auquel la Constitution s’oppose. Mais puisque Kabila et ses fidèles ont fini par inverser le rapport de force, suite à la disparition d’Etienne Tshisekedi et la naïveté des opposants et de l’Eglise venus aux négociations avec eux, pourquoi se priveraient-ils de tenter un coup politique dans le sens de la pérennisation du pouvoir ? Qui pourrait les en empêcher ?

Les opposants ont été discrédités pour avoir accepté de négocier après avoir juré qu’ils ne reconnaîtraient plus Kabila comme président dès le 20 décembre 2016. Quels mots vont-ils utiliser pour remobiliser la population qu’ils ont superbement ignorée lorsqu’ils étaient au point d’accéder à des postes ministériels que leur promettait Kabila ? Même les évêques ont perdu en crédibilité en allant aux négociations avec un homme dont elle savait qu’il se servait seulement d’eux pour gagner du temps. Tout le monde a perdu sa crédibilité dans ces négociations, et c’est le moment de revenir aux fondamentaux.

Il faut revenir au respect des règles et s’en tenir strictement. Les dispositions de la Constitution qui prévenaient la crise actuelle sont claires comme l’eau de roche, mais les personnalités qui étaient en charge de les faire respecter ont failli à leurs obligations. Les députés qui n’ont pas saisi la Cour constitutionnelle, les sénateurs qui n’ont pas agi, les magistrats qui ont accompagné le glissement doivent être considérés comme ayant des comptes à rendre à la nation dans le Congo de l’après-Kabila, parce que ce Congo-là finira par voir le jour. Un Congo des hommes et des femmes responsables qui s’acquittent de leurs obligations et rendent des comptes. C’est à ce chantier que les Congolais doivent s’atteler en commençant par rompre définitivement avec la logique du dialogue et privilégier la stricte application des lois. 

Boniface Musavuli

 

EXPOSE DES MOTIFS DE LA CONSTITUTION DU 18 FÉVRIER 2006.

Article 166 : La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur.

Article 167 : En cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges. La déchéance est prononcée par la Cour constitutionnelle.

La Résolution du Conseil de sécurité S/RES/2277 (2016) du 30 mars 2016 invitait les acteurs politiques à un dialogue ouvert, inclusif et pacifique en vue de garantir la tenue dans le pays d’élections pacifiques, crédibles, ouvertes à tous, transparentes, dans le respect des délais prévus, c’est-à-dire en novembre 2016.

 


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