jeudi 24 juillet 2014 - par Emmanuel Glais

Booba, les réseaux sociaux et la guerre de l’information

On ne peut pas vivre, ni même dormir les oreilles bouchées. Les enfants de Gaza le savent.

Être vivant, c'est être en écho avec le monde qui nous entoure. C'est aujourd'hui la totalité du monde qui nous entoure. Le monde est notre entourage. Tout le monde. Car nous sommes connectés. Nous ne pouvons pas faire fi de ce qui se passe là-bas, quand nous sommes en paix ici. Les privilégiés qui vivent en paix et mangent plusieurs fois par jour ne peuvent avoir la conscience tranquille. Ils sont toujours impliqués. Qu'ils le veuillent ou non. Quand nous serons morts nous pourrons nous reposer. Vraiment en paix cette fois. 

Pour autant, personne ne peut supporter toute la misère du monde.

Personne ne peut analyser toutes les causes de cette misère, incommensurable.

Notre indignation est toujours sélective mais on ne peut réprimander ceux qui s'indignent quand ils s'indignent par amour ou respect pour la vie.

En France, entre 1975 et 1999, peu de gens se sont intéressés au Timor oriental. Il y a quelques années, les mairies accrochaient des drapeaux tibétains à leurs mâts. Puis la mode est passée.

Autour du génocide rwandais, la confusion reste immense. Est-elle entretenue ? La France a t-elle une part de responsabilité ? Bien peu de gens ont un avis. Pire, trop peu s'indignent que la France ne dévoile pas toutes ses archives.

Pourquoi les massacres de Tsahal font-ils tant de bruit ? Israël est-il mal aimé des médias ? Ou bien l'antisémitisme européen séculaire se refait-il une santé au contact de l'islam, devenue seconde religion du « continent » autoproclamé ?

La réponse est facile, me semble t-il. La guerre en Palestine est plutôt simple à comprendre. Les lunettes classiques du colonialisme offrent une clef de lecture satisfaisante. Un peuple (épars au départ) est venu, brutalement, en chasser un autre, et tente depuis d'étendre son territoire et de réduire son « adversaire » en parti conquis et parqué, en parti chassé. La propagande du vainqueur s'occupe de déshumaniser le battu, un sous-homme.

Or, désormais le colonialisme n'a presque plus d'adeptes. On nous dit que la colonisation européenne est terminée depuis longtemps. La colonisation russe du Caucase et celle chinoise du Tibet se perdent dans le dédale des siècles lointains. La colonisation de la Palestine a elle une date de départ très précise. Le rôle de l'Europe (URSS comprise) et des Etats-Unis, a été considérable dans la création d'Israël. Depuis, jamais ils ne s'en sont dédits.

Il y aurait mille manifestations à faire par jour. Mille raison de s'indigner. On ne peut reprocher aux gens de protester, de vouloir corriger les énormités scandaleuses de la presse d'Etat ou celle capitaliste subventionnée. La bataille de l'information est une bataille stratégique qui met aux prises la logique verticale de l'oligarchie, avec celle, horizontale de la démocratie.

La question du savoir est une question politique. Condorcet a écrit :« Même sous la constitution la plus libre un peuple ignorant est esclave ».

Comment ceux qui sciemment ferment les yeux, se bouchent les oreilles, et se taisent peuvent-ils s'investir en donneurs de leçon ?

Booba, depuis ta tour d'ivoire ou ta piscine de biff, tu ferais bien de te taire. Car depuis longtemps l'opinion est devenu le nerf de la guerre.

Les réseaux sociaux sont devenus un contre-pouvoir, certes insatisfaisants. D'abord leur économie engendre des problèmes concrets, terrestres, localisés. Ensuite les rumeurs et informations inexactes, non-vérifiées, pullulent. Enfin ils continuent de ne pas peser lourd.

Surtout, nombre de sujets clefs n'émeuvent personne. C'est le cas du Franc CFA, qui tue aussi. Mais il le fait sans bruit et presque sans hommes armés, sans envoyés spéciaux affamés de sang.

Je parie que cet article attirera plus de lecteurs que mon précédent, intitulé : « Quelques points d'histoire du Franc CFA ».

Cela est significatif de la difficulté des réseaux sociaux comme des médias alternatifs à faire émerger de nouvelles problématiques, de nouveaux problèmes et de nouvelles solutions.

Pour le moment la culture du zapping et de l'indignation, la fragilisation de la lecture et l'ère du commentaire dominent les réseaux sociaux et même des espaces comme Agoravox. 



4 réactions


  • Christian Labrune Christian Labrune 24 juillet 2014 21:59

    J’avais passé deux ou trois bonnes heures, un hiver (probablement début 2013) sur le petit triangle devant la fontaine Saint-Michel où s’était rassemblé tout ce que Paris pouvait compter de Tibétains. Ils n’étaient pas deux cents ; il y avait là aussi quelques Chinois hostiles à la politique de leur pays et à une répression féroce qui s’exerce depuis 1950 sur le Tibet. Il n’y avait pas beaucoup de Français dans une ville qui en rassemble pourtant deux millions. Manifestation des plus pacifiques : pas de défilé, des pancartes avec les photos des victimes de la répression et, à la fin, comme la nuit tombait, des bougies ont commencé à s’allumer sur le trottoir au milieu d’un petit cercle qui s’est mis à chanter, qui paraissait moins que moi souffrir d’un froid mordant à la tombée de la nuit. Mais quand on est Tibétain, le froid de l’hiver à Paris, c’est presque la canicule.

    Il n’y a aucune raison particulière de détester les Chinois, bien au contraire. J’habite un de leurs quartiers parisiens et je ne voudrais plus vivre ailleurs, mais j’apprécie fort peu le système politique responsable de la répression féroce de Tien’anmen. C’est à cause de ce système qui a causé la mort de plus de cinquante millions d’hommes à l’époque de la Révolution Culturelle que j’étais là, pour soutenir ces Tibétains sur lesquels à la même époque un politicard d’extrême gauche s’était entraîné à cracher des insultes.
    S’il y avait eu à Paris ces derniers jours une manifestation pour soutenir les Gazaouis forcés manu militari par le Hamas de monter sur les toits de leurs immeubles pour s’y faire dézinguer par des avions de chasse, j’aurais été au premier rang : Parti Communiste Chinois, Hamas, c’est kif-kif.
    Si les Chinois étaient juifs, les Tibétains se seraient sentis assurément tout de suite moins seuls, l’Internationale Antisémite serait venue les soutenir, mais les Chinois ne sont pas juifs. Il convient donc qu’ils s’habituent à l’idée de devoir crever tranquillement sur leur toit du monde.


  • tf1Groupie 25 juillet 2014 11:44

    Merci pour cet article, intéressant et qui pose un vrai sujet de fond.

    C’est vrai qu’avec Internet l’information est devenue surabondante ; on est donc de fait obligés d’être sélectifs.
    On sélectionne par l’émotion, les préjugés, l’influence du buzz, et l’on zappe beaucoup.

    Il est clair que l’info pré-digérée ainsi que le divertissement prennent le pas sur ce qui complexe ou ennuyeux, c’est humain.
    Tout ce qui demande des efforts d’analyse, de la concentration, du temps sera forcément marginalisé.

    En ce qui concerne le « problème israelien » il y a une bonne raison pour laquelle il nous marque beaucoup : depuis la maternelle on nous bassine avec le devoir de memoire et l’histoire torturée des juifs. Normal alors que se qui se passe en Israel nous interpelle, surtout en France où l’on joue beaucoup avec la culpabilisation , le « plus jamais ça ».


    • Cocasse Cocasse 25 juillet 2014 13:18

      C’est l’arroseur arrosé. Sans cette obstination à nous bassiner, tout le monde s’en foutrait de ce que font les israéliens chez eux.


  • Cocasse Cocasse 25 juillet 2014 12:29

    Je viens d’avoir des nouvelles wormphatiques (de la télépathie qui passe par un trou de vers) des habitants de xhykZz, planète de la galaxie d’andromède. Les XvXz se sont emparés de vWvx et font passer un sale quart d’heure aux zzzxWx.
    Du coup, je m’indigne là, et j’arrive même plus à finir mon steak.


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