Booba, les réseaux sociaux et la guerre de l’information
On ne peut pas vivre, ni même dormir les oreilles bouchées. Les enfants de Gaza le savent.
Être vivant, c'est être en écho avec le monde qui nous entoure. C'est aujourd'hui la totalité du monde qui nous entoure. Le monde est notre entourage. Tout le monde. Car nous sommes connectés. Nous ne pouvons pas faire fi de ce qui se passe là-bas, quand nous sommes en paix ici. Les privilégiés qui vivent en paix et mangent plusieurs fois par jour ne peuvent avoir la conscience tranquille. Ils sont toujours impliqués. Qu'ils le veuillent ou non. Quand nous serons morts nous pourrons nous reposer. Vraiment en paix cette fois.
Pour autant, personne ne peut supporter toute la misère du monde.
Personne ne peut analyser toutes les causes de cette misère, incommensurable.
Notre indignation est toujours sélective mais on ne peut réprimander ceux qui s'indignent quand ils s'indignent par amour ou respect pour la vie.
En France, entre 1975 et 1999, peu de gens se sont intéressés au Timor oriental. Il y a quelques années, les mairies accrochaient des drapeaux tibétains à leurs mâts. Puis la mode est passée.
Autour du génocide rwandais, la confusion reste immense. Est-elle entretenue ? La France a t-elle une part de responsabilité ? Bien peu de gens ont un avis. Pire, trop peu s'indignent que la France ne dévoile pas toutes ses archives.
Pourquoi les massacres de Tsahal font-ils tant de bruit ? Israël est-il mal aimé des médias ? Ou bien l'antisémitisme européen séculaire se refait-il une santé au contact de l'islam, devenue seconde religion du « continent » autoproclamé ?
La réponse est facile, me semble t-il. La guerre en Palestine est plutôt simple à comprendre. Les lunettes classiques du colonialisme offrent une clef de lecture satisfaisante. Un peuple (épars au départ) est venu, brutalement, en chasser un autre, et tente depuis d'étendre son territoire et de réduire son « adversaire » en parti conquis et parqué, en parti chassé. La propagande du vainqueur s'occupe de déshumaniser le battu, un sous-homme.
Or, désormais le colonialisme n'a presque plus d'adeptes. On nous dit que la colonisation européenne est terminée depuis longtemps. La colonisation russe du Caucase et celle chinoise du Tibet se perdent dans le dédale des siècles lointains. La colonisation de la Palestine a elle une date de départ très précise. Le rôle de l'Europe (URSS comprise) et des Etats-Unis, a été considérable dans la création d'Israël. Depuis, jamais ils ne s'en sont dédits.
Il y aurait mille manifestations à faire par jour. Mille raison de s'indigner. On ne peut reprocher aux gens de protester, de vouloir corriger les énormités scandaleuses de la presse d'Etat ou celle capitaliste subventionnée. La bataille de l'information est une bataille stratégique qui met aux prises la logique verticale de l'oligarchie, avec celle, horizontale de la démocratie.
La question du savoir est une question politique. Condorcet a écrit :« Même sous la constitution la plus libre un peuple ignorant est esclave ».
Comment ceux qui sciemment ferment les yeux, se bouchent les oreilles, et se taisent peuvent-ils s'investir en donneurs de leçon ?
Booba, depuis ta tour d'ivoire ou ta piscine de biff, tu ferais bien de te taire. Car depuis longtemps l'opinion est devenu le nerf de la guerre.
Les réseaux sociaux sont devenus un contre-pouvoir, certes insatisfaisants. D'abord leur économie engendre des problèmes concrets, terrestres, localisés. Ensuite les rumeurs et informations inexactes, non-vérifiées, pullulent. Enfin ils continuent de ne pas peser lourd.
Surtout, nombre de sujets clefs n'émeuvent personne. C'est le cas du Franc CFA, qui tue aussi. Mais il le fait sans bruit et presque sans hommes armés, sans envoyés spéciaux affamés de sang.
Je parie que cet article attirera plus de lecteurs que mon précédent, intitulé : « Quelques points d'histoire du Franc CFA ».
Cela est significatif de la difficulté des réseaux sociaux comme des médias alternatifs à faire émerger de nouvelles problématiques, de nouveaux problèmes et de nouvelles solutions.
Pour le moment la culture du zapping et de l'indignation, la fragilisation de la lecture et l'ère du commentaire dominent les réseaux sociaux et même des espaces comme Agoravox.