Boris Johnson : trop tard pour faire demi-tour, l’avalanche est déclenchée
Il a perdu le contrôle du Brexit, du Parlement et du calendrier des élections.
Pour lui, démissionner serait peut-être l’option « la moins pire » ?
BoJo entretient une relation surréaliste avec la réalité et désinvolte avec la vérité. Cela se traduit par une tendance marquée à ne rien prendre au sérieux, à commencer par lui-même, y compris dans les rares moments où il s’exprime sans arrière-pensée. Il faut donc prendre avec recul et dérision sa déclaration selon laquelle il « préférerait être trouvé mort dans un fossé » plutôt que de demander à l'UE de prolonger le délai imparti pour le Brexit.
Et si cette demande était votée par le parlement cette semaine comme il en est question, préférera-t-il enfreindre la loi et se retrouver mort dans un fossé ou en prison ? Comme il est peu probable que la pitance servie dans les établissements carcéraux britanniques fût en conformité avec les exigences que son éducation aristocratique lui a inculquées, et comme l’humidité des fossés de la campagne anglaise risquerait de corrompre trop rapidement son cadavre exquis, il n’aurait plus qu’à démissionner de son poste de Premier Ministre plutôt que d'exécuter les ordres du parlement.
Malgré le positionnement de sentinelles dans plusieurs camps, il s’est laissé encercler par des votes parlementaires qui ne l’autoriseront pas à effectuer une sortie de l’UE sans accord. Il a été « blackboulé » par l'opposition qui lui a refusé l’élection qu’elle réclamait l’an dernier, mais qui ne pourra pas l’empêcher de quitter son poste de Premier Ministre et de mettre en demeure les députés de trouver quelqu'un d’autre pour exécuter leurs instructions. « Se déposer » soi-même pourrait finalement s’avérer être le seul atout qui lui reste en main.
L’équipe de Johnson était convaincue que l’élection était une offre que l’opposition ne pourrait jamais refuser. Après tout, les travaillistes avaient facilité l'élection anticipée de Theresa May en 2017, même si elle avait une énorme avance au moment du vote du Parlement pour valider son plan et que la plupart des députés travaillistes pensaient que cela signifierait un glissement de terrain des conservateurs. Johnson croyait que ce stratagème fonctionnerait, mais il s'avère que certaines personnes du parti travailliste peuvent encore penser autrement. Avec les autres partis d'opposition, ils ont décidé de refuser à M. Johnson une élection programmée pour des raisons d'opportunité.
Tout ça ne faisait pas partie du plan sournois qui était le sien quand il est arrivé à Downing Street. Le projet ne prévoyait pas qu’il devrait rendre son tablier à la reine quelques semaines seulement après son accession au poste de Premier Ministre. S'il doit en arriver là, ce sera le résultat d'une série de stratagèmes calamiteux qui l'ont conduit à perdre le contrôle du Brexit, du Parlement et du calendrier des élections en moins d'une semaine.
Sa première erreur a été d'annoncer la prorogation du parlement. Plutôt que de donner la priorité à un Brexit sans accord, cette décision a provoqué des appels devant les tribunaux et des manifestations devant le palais de Buckingham. Encore plus fort, cette bévue a galvanisé les opposants à la Chambre des Communes qui étaient en léthargie depuis le départ de Mme May. Il a réussi l'exploit de réconcilier à la fois le parti travailliste avec lui-même, mais aussi avec d'autres partis de l'opposition. Il a fait l’unanimité contre lui là où d’autres avaient su diviser pour régner, une vieille recette sans originalité, mais efficace.
Après avoir passé une grande partie de l'été à se disputer sur le meilleur moyen de contrecarrer un Brexit sans négociation, ces partis se sont rabibochés autour de la sacro-saint défense des droits parlementaires « contre un pouvoir dictatorial ». Ils ont ensuite fait cause commune avec les rebelles conservateurs pour légiférer contre un Brexit en faillite.
La seconde erreur a été de Faire de ce vote une question de confiance. Purger le parti conservateur de ses 21 rebelles a été la plus effroyable effusion de sang de l'histoire moderne de ce parti aux allures respectables peu enclin à l’affichage d’une violence vulgaire. Parmi les victimes figurent sept anciens ministres, dont Ken Clarke, qui a fait partie des gouvernements Heath, Thatcher, Major et Cameron. Il avait été élu député quand Boris Johnson était « un petit bambin ». Traiter quelqu'un qui est un député conservateur depuis près d'un demi-siècle comme un traître ne manque pas de sel, mais ça coûte cher.
Dernier coup, un uppercut fatal : en prévision d'élections des élections qui s'annoncent, quelques conservateurs en bonne position ont déclaré qu'ils ne se représenteraient pas, parmi lesquels le frère cadet du premier ministre, Jo. « Le coup passa si près que la chapeau tomba… »
Mais il est trop tard pour faire demi-tour maintenant. Ne pas appliquer les directives du parlement serait enfreindre la loi et le conduirait devant les tribunaux. Demander une prolongation tout en protestant qu'il y ait été contraint parce même parlement ne serait pas mieux. Aux yeux des Brexiter, cela le transformerait en un premier ministre fantoche. Bien que personne dans les partis d'opposition ne soit prêt à l'admettre en public, le coup de pouce que cela donnerait au parti du Brexit aux dépens des conservateurs est la véritable raison pour laquelle l'opposition souhaite retarder une élection après la fin du mois d'octobre.
Moralité, quand on veut faire du hors-piste, il ne faut déjà pas traverser les couloirs d’avalanches, mais il est encore plus inconscient de les retraverser dans l’autre sens en aval du niveau que l’on vient de déstabiliser soi-même. Le sketch de l’arroseur arrosé est un numéro de clown éculé !