jeudi 7 mars 2019 - par Clark Kent

Bouteflika : « Que Dieu bénisse l’homme qui connaît ses limites »

Ces deux dernières semaines, des dizaines de milliers d'Algériens ont protesté contre la candidature à un cinquième mandat de leur président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 82 ans.

Au pouvoir depuis 1999, le président s'est adressé aux Algériens pour la dernière fois en mai 2012, un an après une série de soulèvements dans les pays arabes qui avaient renversé trois de ses homologues. Dans son discours, il avait indiqué qu'il était prêt à céder la place après son troisième mandat. Les Algériens se souviennent de ses deux déclarations :

  • "Ma génération a fait son temps"
  • "Que Dieu bénisse l'homme qui connaît ses limites".

À cette époque, l’Algérie bénéficiait toujours de ressources enviables, les cours du pétrole oscillant autour de 100 dollars le baril (après avoir atteint 140 dollars en 2008). Cela avait permis au président "d'acheter" un peu de paix sociale et d’empêcher une contagion des « printemps arabes » qui avaient secoué les voisins orientaux de Tunisie, de Libye et d’Egypte.

En 2013, le président Bouteflika a été victime d'un accident vasculaire cérébral invalidant, qui l'a confiné dans un fauteuil roulant, ce qui a laissé penser que la retraite prévue serait effective. Or, en 2014, l’intéressé a fait une volte-face inattendue et a annoncé sa décision de se représenter.

Le chaos qui régnait en Libye et en Syrie a convaincu bon nombre d'électeurs algériens d'opter pour la stabilité offerte par le président sortant en lui confiant un quatrième mandat dont il a passé la plus grande partie entre les hôpitaux de Genève et de Grenoble. Il était dans l’incapacité de gérer le pays en raison de la détérioration de sa santé.

Aujourd'hui, les prix du pétrole ont diminué de moitié et les inégalités sociales se sont accrues. Plus du quart des Algériens de moins de 30 ans sont au chômage. Alors, après l'annonce par le président de son intention de briguer un cinquième mandat, des Algériens de tous les horizons sont descendus dans la rue. Avocats, journalistes, étudiants et universitaires ont tous exprimé leur opposition à un cinquième mandat.

Les autorités ont cru que les manifestations ne se dérouleraient que dans des zones « suspectes » telles que la Kabylie à majorité berbère ou certaines des provinces agitées à l'est du pays, comme les Aurès, autre région berbère, foyer de la guerre d’indépendance. Or, des manifestants ont eu lieu dans de nombreuses villes et villages sur tout le territoire et Alger, où les manifestations étaient jusqu'ici interdites, a connu le plus grand rassemblement du pays.

Même la ville de Tlemcen, le berceau de la plupart des ministres de Bouteflika, s'est jointe au mouvement. Les diasporas algériennes de Londres, Paris et Montréal ont également organisé des manifestations.

Les manifestations ont jusqu'à présent été pacifiques et la réaction des services de sécurité a été exemplaire, mais des mises en garde émanant de l'armée comme du gouvernement ont été adressées à la population sur les risques qu’elle encourait si elle persistait dans sa position. Le chef d'état-major de l'armée et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaid Salah et le premier ministre Ahmed Ouyahia ont mis en garde le peuple algérien sur des risques de détérioration et de violence, en rappelant que la guerre de Syrie avait commencé avec des manifestations similaires.

Ces avertissements ont été perçus comme des intimidations. Les manifestants et leurs sympathisants ont fait remarquer que ce n’est pas la Syrie que les Algériens prennent pour exemple à suivre, mais plutôt la Malaisie et la Turquie. Ils ont rappelé aux autorités que la première étape du développement de la Malaisie avait consisté à éliminer les individus corrompus et ont insisté sur le fait que les Algériens avaient beaucoup appris des expériences des pays des « printemps arabes ».

Pour le moment, les manifestants semblent rencontrer un écho favorable dans la population. L'entourage de Bouteflika a déjà fait des concessions. Dans une lettre lue dimanche à la télévision, ils ont annoncé que, si le président était réélu, il organiserait une conférence nationale ouverte à tous qui fixerait une date et préparerait de nouveaux scrutins dont il ne contesterait pas le résultat. Ils ont également invité l'opposition et les représentants des manifestants à négocier une « feuille de route » pour gérer une transition.

Mais cette perspective n’a pas convaincu les manifestants algériens qui ont vu dans cette proposition une tactique pour gagner du temps, et ne voient pas pourquoi le président tiendrait davantage sa promesse de démissionner dans le futur qu’il ne l’a fait dans le passé.

Comme il est peu probable que les manifestations s'apaisent d'elles-mêmes, quelles sont les perspectives ?

Abdelaziz Bouteflika est dans un état critique dans un hôpital de Genève. En cas de décès du président, ou si son entourage décidait de retirer sa candidature en raison de sa santé, la constitution prévoit que c’est le président du Conseil des Nations (équivalent du Sénat) qui assume la présidence pendant une période de 60 jours avant que des élections présidentielles soient organisées. Cela donnerait à l’establishment politique du temps pour s’entendre sur un nouveau candidat. 

Il est également possible que l'armée intervienne soit pour invalider la candidature du président en raison de sa mauvaise santé, soit pour annoncer qu'elle ne le soutiendra plus dans la course à la présidence, et dans ce cas, le clan qui le porte à bout de bras perdrait les élections. Mais ce clan peut essayer de transformer les manifestations pacifiques en manifestations violentes par des manipulations et des provocations. Dans un tel scénario, les forces militaires et de sécurité interviendraient et déclareraient l'état d'urgence. Le processus de changement espéré serait interrompu.

Les manifestants semblent être conscients des risques d'escalade, et restent vigilants : ils ont tiré des enseignements des expériences récentes de leurs voisins. Ni les révolutions oranges ni les printemps arabes ne sont à l’ordre du jour.



10 réactions


  • aimable 7 mars 2019 16:22

    Une hypothèse que personne n’a apparemment pas posée , qu’aurait risqué Bouteflika s’il avait refusé de tenir son rôle de marionnette ?

    Parce que dans son état , je pense qu’il avait d’autre soucis que la gouvernance .


    • Rantanplan Pink Marilyn 7 mars 2019 16:29

      @aimable

      si personne l’a pas posée c’est qu’elle valait pas le coup de pas être posée pasqueu y a la réponse : qu’aurait risqué Toutankhamon s’il avait refusé d’aller au Musée du Louvre ?


    • aimable 7 mars 2019 16:57

      @Pink Marilyn
      donc pour vous Bouteflika était déjà depuis son accident vasculaire une momie ?


    • Rantanplan Pink Marilyn 7 mars 2019 17:30

      @aimable

      Il faut poser la question à ses frères, Nacer et surtout Saïd.


  • Pale Rider Pale Rider 7 mars 2019 17:06

    C’est incroyable de voir comme des demi-cadavres peuvent tenir en respect des politiciens et des masses asservies : Franco, Fidel Castro, Bouteflika, et j’en passe. C’est presque de la nécrophilie. :—O


    • Clark Kent Arthur S 7 mars 2019 17:24

      @Pale Rider

      Vous oubliez Ariel Sharon... 8 ans de coma (2006/2014)..

      Dans tous ces exemples, il s’agit de « droits de succession ». Les prétendants à l’héritage qui assurent la régence n’étant ni légataires ni légitimes, ils retardent l’échéance qui risque de tarir leurs ressources.
      le prolongement de l’agonie de l’icone leur sert à imposer un deuil anticipé à durée indéterminée...

      au fait savez vous quels chefs d’éats étaient présents aux funérailles de Fanco ?
      ils étaient trois :  Rainier de Monaco, le rHussein de Jordanie et Pinochet.


    • Pale Rider Pale Rider 7 mars 2019 18:29

      @Arthur S
      Merci pour toutes ces précisions !


  • dominique 8 mars 2019 09:55

    De deux choses l’une. L’algérie est une démocratie, du moins sur le papier, ou pas. Dans une démocratie on vote. Si Boubou n’a plus les faveurs du peuple il ne sera pas élu. Ah ce n’est pas aussi simple que cela, donc l’algérie est une dictature, un chat reste un chat. CQFD


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 9 mars 2019 12:14

    En plus des explications que j’ai données sur ce site depuis des années, vous avez 700 articles sur mon compte Facebook qui montrent que je suis le seul opposant à avoir refusé les mandats successifs du régime en disant que ce « 5e signifierait un énième mandat pour le même régime de 1980 » ! 

    Dès le début du désordre arabe (et mes articles sont accessibles à tous) j’avais dit que c’était un échec assuré... Le régime algérien qui avait peur d’une possible ’contagion« avait distribué des montagnes de milliards afin d’anesthésier le peuple... Il a réussi mais ce faisant, il a détruit la conscient des Algériens et créé un peuple ingouvernable !

    Les journalistes de »Liberté« , »d’El watan« et du Soir de l’Algérie » mais aussi France24, TSA, Algérie360 se sont tous mis d’accord pour me obliquer sur leurs sites...

    Aujourd’hui ces criminels de la désinformation et de la manipulation des masses ignorantes se donnent le même objectif et veulent la même chose : Déformer et contourner le programme de la TRANSITION que je propose depuis 2007 ! Ils soutiennent et font la promotion d’un Empire financier illégitime qui veut détrôner l’autre empire tout aussi illégitime et qui est au pouvoir ! 

    Les journalistes d’El Watan, de Liberté et du Soir de l’Algérie qui amplifient chaque jour leur trahison et leur manipulation SONT DES CRIMINELS, ILS SONT MINABLES, ILS SONT PLUS BAS QUE LA BASSESSE, ILS SONT LA RACAILLE DE L’HUMANITÉ ! Ils seront jugés pour leur trahison !

    J’invite tout le monde à vérifier le contenu de mes 700 articles sur Facebook...


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