Brève histoire d’une civilisation qui s’éteint
Si la création est forcément destructrice, la destruction n’est pas obligatoirement créatrice. En d’autres termes, il vaut mieux avoir de bonnes idées nouvelles avant de vilipender les anciennes.
Les premiers royaumes israélites étaient présents dès le début du Ier millénaire av. J.-C au Proche-Orient. L’Homme a toujours eu le sens de la propriété, sens que la plupart des animaux possèdent également, ce qui le conduit souvent à des excès pour conserver ou agrandir son bien. Les religions se donnent pour mission d’arracher l’Homme à un destin purement bestial. Dans l’ancien testament, il n’y a pas de condamnation de la richesse matérielle, les patriarches sont riches en troupeaux, les rois riches en femmes, la richesse est signe d’une bénédiction. Dans le nouveau testament, les riches plus que les richesses sont flétris. C’est explicite dans l’Évangile (apocryphe) de Jacques datée de la seconde moitié du IIe siècle : « A vous maintenant, les riches ! Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont mités. Votre or et votre argent son rouillés ; et leur rouille s’élèvera en témoignage contre vous et dévorera votre chair comme un feu. Le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs et dont vous les avez frustrés crie, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur de l’univers. » Des propos moins plus poétiques mais de même nature se trouvent dans les Évangiles écrits plus tôt. Les bases sont posées, « On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon », le génie de l’Homme et l’or.
Au lendemain de la mort de Jésus, ses fidèles sont une centaine tout au plus. Trois siècles plus tard, quand la liberté de culte est enfin accordée aux chrétiens, la nouvelle religion s'est répandue dans les villes et les ports du bassin méditerranéen : Jérusalem, Antioche, Éphèse, Athènes, Corinthe, Alexandrie… et plus partiellement en Occident. Esclaves comme aristocrates se convertissent.
En 64, l’empereur Néron accuse les chrétiens d’être responsables de l’incendie de Rome. Nombreux sont alors les suppliciés. St Pierre (de son vrai nom Simon), un disciple du Christ, fut crucifié la tête en bas vers l’an 65. Souvent locales, les persécutions se poursuivent sous les différents empereurs romains qui se succèdent jusqu’à Dioclétien (244-311) qui entreprend de supprimer tous les chrétiens. La dernière et la plus sanglante des persécutions officielles du christianisme (vers 310), ne viendra toutefois pas à bout de la communauté chrétienne de l'Empire.
Au IIIe siècle, des minorités chrétiennes sont présentes en nombre dans l’empire romain. Les valeurs qu’elles affichent (pacifisme, dignité, respect humain, monothéisme…) se révèlent peu compatibles avec celles des romains. Des persécutions sont alors organisées. Souvent dénoncés par les populations, les chrétiens sont emprisonnés, torturés, mis à mort. Ste Perpétue, au milieu des insultes de la foule, est placée dans un amphithéâtre entourée de filets avec sa servante et elles sont livrées à la fureur d'une vache sauvage qui s'acharne sur elles sans parvenir à les tuer, elles seront finalement égorgées. Ste Agathe : on lui arrache les seins avec une tenaille puis elle est trainée sur des charbons ardents. St Laurent est lacéré par des coups de fouet et rôti sur un gril. Ste Barbe a son corps déchiré avec des peignes de fer, on la brûle avec des lames rougies puis elle est décapitée par son propre père. Ste Christine : on tente de la noyer, on la plonge dans un bain d’huile bouillante puis on lui fend le crane. Sans compter qu’on la peut-être aussi mise dans un four pendant cinq jours, enfermée en compagnie de serpents venimeux, puis finalement percée de flèches. La véracité des récits n’a aucune importance : ils sont crus. Au lieu d’anéantir le christianisme, les supplices contribuent à le renforcer. Les fidèles qui, face aux tortures et aux exécutions, continuent à confesser leur foi, montrent une détermination et un courage qui rend respectable leur religion : « le sang des martyrs est une semence de chrétiens ».
L’empereur Gallien en 260 accorde la liberté de culte aux chrétiens : s’ouvre alors une période de tolérance d’environ 40 ans pendant laquelle le christianisme s’implante. Le christianisme a indéniablement, à l’époque, modifié les conduites individuelles de ses fidèles en mettant en avant la paix, la douceur, l'humilité, la tempérance et les mœurs inclinaient vers une certaine retenue. Les chrétiens, dont de nombreux esclaves convertis, ont formé des communautés se pensant comme des groupes de saints Hommes au sein d'un État organisé où suivre une attitude politique n’était pas essentiel.
Attribuant une victoire militaire à l’intervention du Christ, Constantin se fait le défenseur de la chrétienté. En 313, les chrétiens peuvent ne plus devoir vénérer l’empereur comme un dieu. Baptisé sur son lit de mort afin d'être lavé de tous les péchés antérieurs, Constantin restera pour l’éternité comme le premier empereur romain chrétien. Constantin fit une œuvre législative conséquente : impose le repos dominical, autorise l'affranchissement des esclaves, accorde le droit aux plaideurs de choisir entre le tribunal civil et la médiation de l'évêque, alors élu par le peuple. Il promulgue des lois contre la prostitution des servantes d'auberges (profession initiale de sa mère) et propose l'humanisation des prisons et la limitation des traitements cruels.
Les conversions de plus en plus nombreuses ont cependant pour conséquence d’affecter la crédibilité chrétienne, dont les principes originaux sont de moins en moins respectés. Cette situation donne alors naissance au monachisme vers 270, lequel consiste, pour ses adeptes, à vivre isolé du monde sous une règle commune. L’Orient, puis l’Occident, voient se créer de plus en plus de monastères.
À compter de ce moment, l’alliance du pouvoir et de la spiritualité va conduire non pas à des déviances mais vers une inéluctable férocité pour maintenir la cohésion du groupe créé pour vénérer l’Amour. Le Dieu-Amour peut habiter un Homme et lui permettre de s’élever au-dessus de lui même, mais si il associe avec ses semblables, ce ne sont plus ses valeurs qui in fine l’emporteront mais l’obéissance au dogme afin de fortifier, de consolider, de rendre plus puissant le groupe.
De fait les massacres perpétrés au nom de la foi ne manquèrent pas au fil des siècles :
-1099 Prise Jérusalem. Les croisés massacrent la population de Jérusalem, tuant musulmans et juifs (10 000 victimes environ).
-1219 La croisade des Albigeois, les croisés massacrent les hérétiques (5 000 morts).
-1348 Pogrom de Strasbourg. Les juifs sont rendus responsables de la peste noire, la grande majorité des habitants juifs de la ville sont massacrés par la population.
-1572 Massacre de la Saint Barthélémy. Des milliers de protestants sont tués par les catholiques.
-2014 République Centrafricaine. Des chrétiens et des animistes, massacrent des centaines de musulmans.
-2015 Centrafrique. Des milliers de musulmans ont été massacrés par des milices chrétiennes. Des représailles furent organisées.
L’Homme, plus qu’avide de biens, est avide de puissance : le groupe, l’assemblée, le clan le rendent fort même s’il n’est qu’un dans la multitude… et il se sent en sûreté. On ne peut être puissant et pur, le chemin vers l’idéal ne peut être suivi que seul en trouvant ses propres lumières par l’entendement pour ne pas tomber sous la coupe d’un maître. Transformer des repères acquis pour soi en certitudes pour les autres par la volonté de convaincre, par le prosélytisme, immanquablement conduit aux pires excès de l’intolérance. Une ‘communauté’, quelle qu’elle soit, n’a d’objectif que la domination et elle emploiera tous les moyens pour ce faire, même si elle agite des grelots enchanteurs.
Si l’on parle de juifs, de musulmans, de chrétiens comme de groupes organisés et structurés, il n’y a aucune chance de pouvoir ‘déclarer la paix’ au Monde. Les communautés se constituent pour combattre ou au mieux convaincre, jamais pour respecter autrui dans ses différences. Un juif, un musulman, un chrétien peuvent être angéliques ou diaboliques, roués ou sincères, respectueux ou méprisants, mais les communautés qui mettent leurs prétentions transcendantes au dessus de l’humain sont toujours diaboliques, rouées, méprisantes et de plus insincères.
La religion catholique est devenue vertueuse quand elle s’est vue sur le point de disparaître, alors elle a mis en avant ce qui aurait toujours dû rester sa raison d’être, l’Amour. Pour les autres religions l’heure est au repliement, au mysticisme voire à la sorcellerie : chacune s’apprête à l’affrontement que chacun pressent. Mais ce n’est pas en tournant un tapis dans la bonne direction, ni en se frappant le front contre un mur en ruine, ni en aspergeant les foules qu’on tirera un tant soit peu l’Homme son insignifiance.
Les modernes se veulent ‘fabricateurs’ de nouveaux dieux en faisant appel à une fausse science mais à de vrais cupidités qu’ils disent tempérer à coups de lois, de traités, de règlements, mais jamais ceux-ci ne réunissent plus humbles et nantis, car ils ne le peuvent pas. Dieu est mort, même s’il semble resurgir sous les oripeaux de mystiques mortifères, mais qu’en est-il de la notion d’absolu qui doit s’imposer à tous ?