mercredi 25 septembre 2019 - par Séraphin Lampion

Brexit, échec et pat !

Attention : ceci n’est pas un article « européiste », c’est un article sur le Brexit. Avoir du recul par rapport à ce nouveau monstre du Loch Ness n’est pas synonyme d’alignement sur l’idéologie de l’UE. Merci.

Comme de coutume, le gouvernement Johnson, mis en place il y a seulement quelques semaines, a demandé à la reine de présenter son programme législatif, une cérémonie protocolaire connue sous le nom de « discours de la reine ». La règle exige la fermeture du Parlement pendant les quelques semaines qui précèdent cette grand messe, ce qui aurait rendu le Parlement impuissant à empêcher un Brexit sans accord.

Mais badaboum, nouveau rebondissement dans ce feuilleton calamiteux simulacre de « démocratie », dans ce pays qui n’a pas de constitution écrite mais une jurisprudence constituée de chartes et de jugements antérieurs pour valider les décisions de justice, dans ce pays, donc, un certain nombre de personnalités connues ont saisi les tribunaux pour annuler le processus et la cour s'est prononcée contre cette initiative du gouvernement et de la reine.

La présidente de la Cour suprême, a déclaré : "La décision de conseiller à Sa Majesté de proroger le Parlement était illégale, car elle empêchait le Parlement de s'acquitter de ses fonctions constitutionnelles sans justification raisonnable", et qu’il était "impossible pour [nous] de conclure, compte tenu des éléments de preuve qui [nous] ont été présentés, qu'il y avait une raison - et encore moins une bonne raison - de conseiller Sa Majesté proroge le Parlement de cinq semaines ".

La dernière fois que le Parlement s'est réuni, il a promulgué une loi interdisant au gouvernement de quitter l'Union Européenne sans un accord spécifique réglementant les différents détails. La loi a également enjoint au gouvernement de demander à l'UE de reporter la date du Brexit prévue pour le 31 octobre.

Comme Boris Johnson dit vouloir un Brexit sans accord et que c’est un vieux renard, il peut toujours saboter cette loi en ajoutant des conditions inacceptables ou en demandant à l'UE un délai qu'elle ne serait pas prête à concéder.

Le jugement de la cour donne quelques jours de plus au Parlement pour faire obstacle à la sortie de Johnson de l'UE, mais comme les deux grands partis, travaillistes et conservateurs sont eux-mêmes divisés sur le plan interne, il est peu probable qu’un « deus ex machina » précipite le dénouement d’un mélodrame qui traine en longueur.

L’UE n’a peut-être plus envie non plus de reporter encore la date du Brexit et souhaite peut-être en finir le plus vite possible quelles qu’en soient les conséquences potentiellement moins pénalisantes que l’attentisme. Les électeurs Britanniques pourraient même partager ce sentiment.

La vraie bataille se déroule en fait entre des classes et non pas des partis. La faction du parti conservateur qui représente les petites et moyennes entreprises, a pris le pouvoir après la chute de Theresa May tente de viabiliser le Brexit sous la direction de Boris Johnson alors que la faction du parti travailliste qui représente les intérêts du grand capital britannique (en particulier dans le secteur financier) tente de vaincre la faction socialiste dirigée par Jeremy Corbyn. Aux Communes, la faction qui représente le grand capital britannique du Parti conservateur dirigée aujourd'hui par le président John Bercow est en train de manœuvrer avec le Parti démocrate libéral et son analogue, le Parti travailliste, pour bloquer le Brexit par tous les moyens.

Le nœud gordien est que les grandes entreprises ont encore des factions très puissantes des deux principaux partis (travailliste et conservateur), mais aussi le contrôle absolu de la partie non élue de l’état britannique (la monarchie + le pouvoir judiciaire + chambre des lords), même s’ils ont perdu leur légitimité en Juin 2016. La classe ouvrière, très affaiblie oute-manche, a dû faire une alliance avec la petite bourgeoisie pour infliger une défaite aux classes dominantes en juin 2016, mais ne peut toujours pas porter le coup fatal. Entre ces deux flancs, la bourgeoisie a joué son va-tout en cherchant le soutien de la classe moyenne supérieure (les "élites métropolitaines") pour faire imploser le Brexit. Ces alliances « contre nature » fait que d’un côté la classe ouvrière doit céder aux idéologies d'extrême droite pour répondre aux besoins de la petite bourgeoisie et de l’autre côté la (vraie) bourgeoisie doit tolérer la rhétorique libérale de la bourgeoisie financière. Les catégories moyenne supérieures ne constituent pas vraiment une classe et ne peuvent pas décider d'une élection car elles sont concentrées à Londres, Manchester et Liverpool. Ces alliances étranges ne sont possibles que pour une seule raison : le socialisme est la limite absolue, la ligne rouge absolue pour l'ensemble des Britanniques. L'antisocialisme serait la seule idéologie qui puisse unir toutes les classes britanniques à l'heure actuelle. Alors pourquoi cette alliance ne se produit-elle pas ? Parce que l’antisocialisme implique la continuité du capitalisme, or c’est le capitalisme, et non le socialisme, qui a détruit le contrat social britannique au lendemain de 2008 et tout le monde le sait sans l’exprimer clairement.

Le Brexit représente l'échec absolu du capitalisme britannique. Mais il représente également les limites absolues de la social-démocratie qui voudrait réaliser le socialisme sans la révolution, par les réformes. Et le système qu'ils prétendent « réformer » s'est auto-détruit.

Corbyn s'exprimant lors du Congrès du Parti travailliste, a demandé à BoJo de démissionner et souhaite une élection générale immédiate. Là où ça coince, c’est que les partisans du maintien dans l’UE ne sont pas favorables à des élections générales car ils craignent ne pas obtenir la majorité et reproduire la situation actuelle. Mais alors qu’un « pat » dans une partie d’échecs (partie nulle par impossibilité de débloquer les positions) se traduit pas une nouvelle partie, dans cette situation, même une nouvelle partie ne servirait à rien sinon à provoquer un nouveau « pat ».




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