Brider les moteurs peut-il aider à sauver des vies ?
Connaissez-vous l’ APIVIR ? C’est l’Association
pour l’ interdiction des véhicules inutilement rapides. Son président est le Pr.
Got, dont les incontestables compétences en matière d’anatomopathologie et les éminentes
contributions à la sécurité routière n’ont d’égale que son infatigable
propension à occuper la scène médiatique. Après avoir milité, avec le succès que
l’on sait, pour un contrôle tâtillon de l’enchevêtrement de nos limitations, le
voici qui, au nom de la logique, revendique avec son association que les véhicules
soient bridés à 200 km/h.
On ne peut pas en vouloir au professeur Got d’avoir l’air si
triste. Comme il le dit lui-même, son bureau, placé à l’entrée de la morgue de
Garches, lui a fait côtoyer, sa vie durant, des cadavres inutiles et des drames
familiaux épouvantables. Ses recherches en matière d’accidentologie, qui furent
nécessaires pour mesurer l’impact sur des cadavres de chocs violents, n’ont pas
non plus contribué à faire de lui un gai luron. Et que dire de son autre spécialité,
la toxicologie et les drogues... Pas étonnant donc qu’il ressemble à Greenspan.
Il aurait pourtant de quoi se réjouir, ce bon professeur (retraité),
du succès indiscutable (mais à quel prix ?) des mesures prises pour réduire la
vitesse sur nos routes. Encore insuffisant ; la solution ultime passe, selon
lui, par le bridage des véhicules. C’est l’objectif que s’est fixé l’ APIVIR. Avec
comme première étape, une limitation technique à 200 km/h, ce qui peut paraître
en effet suffisant en France, compte tenu de la limite maximale à 130 km/h fixée
sur nos autoroutes. Mais personne n’est dupe, l’objectif ultime à atteindre
devant se rapprocher le plus possible de zéro, par étapes successives, afin que
le dernier mort sur nos routes ne puisse que s’être suicidé de désespoir.
Et voici qu’entre en scène Monsieur Michel Parigot, membre
du bureau de l’APIVIR. Qui est Michel Parigot ? C’est le président du Comité anti-amiante
de Jussieu, professeur de mathématiques de profession. Il s’est rendu récemment
célèbre avec l’affaire du Clémenceau. Et le voici qui, encouragé par sa victoire,
réitère en introduisant un recours auprès du Conseil d’ Etat afin d’obliger l’Etat français à refuser l’homologation de véhicules capables de dépasser 200 km/h,
soit environ la moitié des véhicules distribués en France. Il sait bien,
cependant, que les homologations sont désormais effectuées au niveau européen, et
que seule une réglementation européenne pourrait éventuellement imposer ce type
de limitation. Mais en bon lobbyiste, son problème est avant tout d’occuper
l’avant-scène médiatique. France Info n’a pas manqué de se joindre à son
effort tout au long de la journée du 29 mars, en nous faisant haleter
d’impatience dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat. Mais au-delà de
cet épisode, cette petite affaire a le mérite d’attirer notre attention sur les
comportements des professionnels de l’agitation.
Car que vient faire Monsieur Parigot dans cette association,
sinon de la faire bénéficier de son expérience en matière d’agitprop
? Quelle est la représentativité réelle de ces groupes de pression qui prennent
par médias interposés la démocratie en otage, pour satisfaire leur goût de
l’oppression sécuritaire ? Qu’un chauffard se signale à l’attention des médias
et hop, les micros se tendent vers le professeur Got et MMe Jurgensen. Qui bien
entendu en profitent pour généraliser, et réclamer pour le plus grand nombre des
mesures régressives. Il faudra désormais compter aussi sur Monsieur Parigot. Automobilistes,
courbons l’échine...
Sur le fond, qu’en est-il vraiment ? L’ évolution
technologique a considérablement développé la puissance spécifique de nos véhicules,
afin d’en améliorer l’efficacité, en termes de consommation et d’émissions. Plus
de couple à bas régime, plus de reprises pour plus de sécurité active et de
dynamisme. La vitesse maximale limitée de manière volontaire (sauf les très
sportives) par les constructeurs à 250 km/h est une vitesse certes très élevée,
mais qui ne pose pas de problème insurmontable à un conducteur expérimenté sur
une autoroute déserte. C’est autorisé en Allemagne et interdit en France. Soit.
Pour être un usager très régulier de nos autoroutes, je peux témoigner ne voir
qu’extrêmement rarement des véhicules utilisés dans ces conditions -devenues
par contre dangereuses chez nous, compte tenu des erreurs d’appréciation que l’écart de vitesse peut entraîner, notamment lors des manoeuvres de dépassement. Donc
mis à part quelques gofast et autres douteux trafiquants qui, de
toutes façons, pourraient en changeant une simple puce débrider facilement leur véhicule,
une telle disposition ne saurait concerner un conducteur simplement normal. Par
contre, comment s’étonner ensuite de la vogue des 4*4, qui répondent précisément,
dans l’ esprit des consommateurs, à un besoin de conduite apaisée, où la vitesse
ne serait effectivement plus un critère de différenciation, dans une société tournée
vers les loisirs ? Je l’ai déjà écrit, la vogue des 4*4 est la conséquence de la
convergence entre les limitations de vitesse et les 35 heures... Mais là aussi, les
associations veillent : les 4*4 devraient aussi être interdits.
La cible est évidente, et c’est toujours la même. C’est l’automobile,
telle qu’elle est vue par un certain nombre d’amateurs ou de vieux enfants, en
diminution constante hélas chez nous, comme un objet de technologie ou de rêve.
Celui qui figure tout en haut de la liste du père Noël ou du Loto, même et
surtout s’il ne sert à rien. A quoi sert une Ferrari ? A rien, bien sûr, sinon à
faire rêver, y compris et surtout ceux qui n’en auront jamais. Et parmi ces
derniers, il y a ceux qui sont simplement contents de rêver, et les autres. Les
frustrés, les aigris, les jaloux. Les rayeurs de portières et dégonfleurs de
pneus, notre grande spécialité en France, où le respect du bien d’autrui n’est
plus, de bien longue date, une simple vertu citoyenne. Mais une Porsche ou une
Ferrari, ce sont aussi et surtout des emplois, de la recherche, le sens de la
perfection au service d’une industrie de luxe, qui, comme d’ autres, fait partie
des rares sujets sur lesquels l’économie européenne possède encore un avantage
déterminant, et qu’elle puisse garder.
Faut-il donc détruire tout cela au nom d’une sorte de
principe d’égalité qui voudrait nous ramener tous au niveau du plus petit de
nos communs dénominateurs ? Les Baupin, les Parigot sont des tueurs de rêves. Les
jardiniers de notre neurasthénie. Ces bobos parisiens, qui ne s’intéressent même
pas à la marque de leur vélo, nous proposent une société de langueur morbide et
d’ennui. Et une illusion de vie éternelle qui, après avoir éradiqué le dernier
de nos risques vitaux, ne nous laisserait que dans l’attente d’une vieillesse
sans souvenirs et d’une vie sans mémoire. Etonnons-nous ensuite que nos jeunes
s’ennuient rien que d’y penser !
Je dédie ces lignes à Paul Dana, mort de sa passion le 26 mars
à Homestead, lors de la première manche du Championnat IRL