Captain America a la gueule de bois
"Je suis sans voix", a tweeté Chris Evans, le Captain America de la saga Marvel. "Accepter les résultats d'une élection légitime et démocratique est patriotique. Les refuser et inciter à la violence est anti-américain".
Le 6 janvier, le vice-président Mike Pence avait convoqué les deux chambres du Congrès pour certifier officiellement l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis, une cérémonie (plutôt qu’une une procédure) qui prend environ une heure, enfin… normalement.
Mais ce jour-là, l’ambiance n’était pas à l’unité. Plusieurs parlementaires républicains ont prolongé la séance en formulant des objections sur les résultats eux-mêmes, puis des milliers d’aficionados du président sortant ont pris d'assaut et « occupé » le Capitole, le sanctuaire mondial de la « démocratie ». Un sacrilège.
Les « supporters » du slogan « Make America Great Again » portaient des chapeaux affichant l’acronyme « MAPA » et arboraiant des drapeaux à la gloire de leur champion. Pendant qu'ils se défoulaient dans les bureaux administratifs, les parlementaires ont été invités par les services de sécurité à s'abriter dans une galerie. Muriel Bowser, la maire de Washington, DC, a alors mis la capitale américaine sous couvre-feu et a annoncé un état d'urgence de deux semaines.
Ce qui est surprenant, c’est que tant de gens soient surpris !
Trump martelait depuis plusieurs semaines que la présidence lui avait été « volée » et incitait ses partisans à résister et saboter le transfert de pouvoir. Il ne s’était pas caché pour faire pression sur les élus républicains, y compris Pence, pour qu'ils passent outre leurs obligations constitutionnelles et le maintiennent à son poste. Il avait même passé un appel téléphonique au secrétaire d'État de Géorgie, Brad Raffensperger, pour lui demander de « trouver les votes » dont il avait besoin pour remporter le « swing state ». Autrement dit, il avait fait ouvertement ce qu’il reprochait aux autres de faire en cachette.
Quelques heures avant l'émeute, dans un discours près de la Maison Blanche, le même Trump avait qualifié le résultat des élections d '« assaut flagrant contre notre démocratie » (sic), et il avait encouragé ses partisans à « descendre au Capitole », en ajoutant : « Vous ne reprendrez jamais notre pays par la faiblesse ».
Des parlementaires et républicains et des médias conservateurs ont aidé Trump à inciter ses partisans à la violence. De nombreuses personnalités de l'establishment républicain de haut rang ont refusé de condamner ses tentatives illégales d'annuler les élections jusqu'à la dernière minute, car elles avaient peur de perdre le soutien des millions de fidèles de Trump et, du même coup, l’accès aux manettes par leur lobby. D'autres, plus avisés, ont choisi d'ignorer ou de minimiser les gesticulations présidentielles après avoir compris que son influence ne serait bientôt plus qu’un souvenir.
Aujourd‘hui, le Capitole est sécurisé et la victoire de Biden certifiée. Les politiciens de tous bords condamnent celui que certains parmi eux ont adoré et soulignent le « défi » auquel la nouvelle administration et le pays sont confrontés.
Ils se réveillent un lendemain de cuite ? Ils ne voyaient pas les manifestations continuelles dans les rues et n’entendaient pas les pétards ?
Ils croyaient simplement à l’adage « To big to fail ». Pour eux, la « démocratie » américaine dont le contenu se résume pour 90% des citoyens au fait qu’il s’agit du contraire du « totalitarisme », terme fourre-tout permettant d’exorciser le démon, était tout simplement trop forte pour « faillir » (échouer, tomber…). Ajoutez une pincée d'exceptionnalisme américain et la foi en la supériorité des institutions libérales anglophones, et vous réussirez une merveilleuse recette de dessert indigeste.
La croyance quasi religieuse en l’invulnérabilité des institutions américaines est devenue particulièrement forte après l’implosion de l'Union soviétique vécue comme une victoire au pays de McCarthy. Aux yeux de beaucoup, la « démocratie » avait catégoriquement prévalu sur la dictature, et c’était la fin de l’histoire, comme l’avait prédit Fukuyama.
La question est de savoir si le « trumpisme » survivra à Trump, mais aussi s’il existe une autre alternative au mondialisme que celle de la démagogie baptisée « populisme » par les experts médiatiques de la manipulation qui n’osent plus utiliser le mot « fascisme » ?
« La division entraîne la chute » était le sous-titre d’une des affiches de « Civil war », le plus grand succès de la série consacrée au super-héros de la « démocratie ».