Carillion ou pour qui sonne le glas
Le partenariat public privé ou privatisation des services publics, le nec plus ultra de la pensée néolibérale, subit un autre coup dur. Pour atteindre la limite du supportable ?
Carillion, le deuxième plus grand groupe de bâtiment et travaux publics britannique vient de mettre la clé sous le paillasson, laissant 20'000 employés face à un avenir incertain. Curieusement, la presse européenne ne s’intéresse pas trop au sujet. Le gouvernement de Mrs. May se trouve une fois de plus dans le pétrin, car Carillion n’est pas une entreprise comme une autre.
Née d’un « spin off », en 1999, de la multinationale de matériaux de construction « Tarmac Group Ltd. », inventrice du célèbre « tarmac » sur lequel les avions ont l’habitude de se poser, elle-même fondue entre temps dans le groupe franco-suisse « LafargeHolcim », Carillion diversifie ses activités dorénavant dans le « facility management » ou gestion et entretien des bâtiments.
Dans ce domaine l’entreprise travaille étroitement avec le gouvernement britannique. Sous l’appellation « partenariat public privé » (PPP) ou (PFI) « Private Finance Initiative » une trouvaille du gouvernement de John Major, protégé et successeur de Lady Thatcher, 40% de son chiffre d’affaires est généré ainsi par des contrats publics d’une durée de 30 à 40 ans.
Le principe est simple. Le « partenaire » privé lève les fonds nécessaires pour l’exécution de travaux publics tels que la construction et l’entretien d’hôpitaux, de prisons, d’écoles, de routes, des infrastructures ferroviaires tels que par exemple le TGV entre Londres et le Nord de l’Angleterre et d’autres. En contrepartie, l'état verse une redevance pendant la durée du contrat pour amortir l’investissement, ce qui représente, dans le cas de Carillion, 450 contrats d’une valeur de près de 2 mia euros, repas scolaires pour 32'000 écoles, services de nettoyage d’hôpitaux, entretien de prisons et sites militaires etc.
Le total de ce genre de contrat avec le gouvernement britannique s’élève actuellement à 60 mia £ pour 700 contrats.
Depuis ses débuts, la trouvaille « Major », affinée par le gouvernement du socialiste Tony Blair, est devenu un best-seller auprès des gouvernements européens de toutes les couleurs. Privatisation des services publics est le maître-mot. Le clou de l’opération ? Le transfert du risque opérationnel au secteur privé et, du même coup, l’embellissement des comptes publics, chroniquement dans le rouge, avec la complicité des grandes maisons d’audit comme, par exemple KPMG, qui fut accessoirement chargée de la surveillance des comptes de… Carillion. Pour la liquidation, c’est d’ailleurs Pricewaterhousecoopers qui s’en occupe. Tout le monde y gagne.
Sauf le service public, car, quand ça foire c’est toujours la collectivité qui règle la note, à l’instar du sauvetage des banques pendant la crise de 2008, banques, accessoirement également en charge d’un service public, la création monétaire.
La doctrine néolibérale prétend, sans pour autant fournir la preuve, que le secteur privé soit plus performant que le secteur public. Quant à l’efficacité du travail, c’est probablement kif-kif bourricot, quant au coût, en revanche, c’est carrément faux.
L’état finance ses prestations avec les recettes fiscales. S’il doit recourir à l’emprunt, son coût de financement est inférieur à celui du secteur privé et, comme il n’a pas d’actionnaires à satisfaire, il n’y a pas de rétribution du capital propre. Une entreprise 100% publique fournirait donc, à efficacité égale, des services d’un meilleur rapport qualité prix que le secteur privé.
En guise de petite illustration de cette « thèse révolutionnaire », entre 2012 et 2016 Carillion, qui montrait un cash flow d’à peine 160 mio £, se séparait d’actifs pour permettre des paiements de dividendes de l’ordre de 376 mio £ pendant la même période.
Le gouvernement de Mrs. May, qui a d’ailleurs continué à attribuer des contrats d’une valeur de 1,3 mia £ à Carillion après l’annonce d’un amortissement exceptionnel de 845 mio £ et le départ de son PDG au mois de juillet de l’année passée, sera donc appelé, in extremis, à remplacer les contrats avec Carillion pour garantir le maintien du service public et, par la même occasion, de trouver un moyen pour boucher un trou de 990 mio £ dans les comptes du régime de retraite des employés.
Cet intermède n’est rien d'autre qu’un épisode de plus dans a longue et douloureuse saga de la privatisation des services publics britanniques, et, peut-être, une invitation à la méditation sur le bien fondé d’une idée qui veut que la recherche du profit et la gestion du bien public fasse bon ménage.