vendredi 14 février - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

Casimir III le Grand et l’âge d’or des Juifs en Pologne : une histoire de tolérance et de prospérité

Dans l'Europe du XIVe siècle, gangrenée par les conflits religieux et les persécutions, la Pologne de Casimir le Grand brillait comme un havre de tolérance et d'opportunités. Ce souverain éclairé, dernier représentant de la dynastie Piast, comprit tout l'intérêt d'accueillir sur ses terres une communauté juive prospère et entreprenante. Son règne marqua ainsi un tournant décisif dans l'histoire des Juifs de Pologne, faisant de ce pays un refuge et un foyer pour des générations à venir. Loin de se limiter à de simples déclarations de principe, la politique de Casimir en faveur des Juifs se traduisit par des mesures concrètes et un engagement constant en faveur de leur intégration et de leur protection.
 

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L'Europe en proie à l'intolérance : le contexte de l'accueil des Juifs en Pologne

Le XIVe siècle fut une période particulièrement sombre pour les Juifs. Accusés de tous les maux, de la profanation d'hosties à l'empoisonnement des puits, ils furent victimes de pogroms d'une violence inouïe et d'expulsions massives. L'Allemagne, berceau de nombreuses communautés juives, devint un véritable enfer pour ses habitants de confession juive. Le progrom de Strasbourg, le 14 février 1349, où plus de 2 000 Juifs furent brûlés vifs, illustre tragiquement cette escalade de la violence.

 

Épidémie, 6/ Peste et violences antijudaïques – Actuel Moyen Âge

 

En France, la situation n'était guère meilleure. Philippe le Bel, roi de France, ordonna l'expulsion des Juifs en 1306, confisquant leurs biens et les laissant démunis. Cette expulsion, suivie d'autres mesures discriminatoires, marqua un tournant dans l'histoire des Juifs de France, qui ne retrouveront jamais leur place au sein du royaume. L'Angleterre, elle aussi, connut son lot de persécutions, culminant avec l'expulsion de 1290.

 

L'antijudaïsme au Moyen Âge (1) - ladepeche.fr

 

Dans ce contexte de persécutions généralisées, la Pologne du roi Casimir III offrit un contraste saisissant. Si des communautés juives existaient déjà sur le territoire polonais avant son avènement, c'est sous son règne que leur nombre connut une augmentation exponentielle. Des Juifs venus de toute l'Europe, pourchassés et persécutés dans leurs pays d'origine, trouvèrent refuge en Pologne, attirés par la promesse d'une vie plus paisible et de meilleures opportunités. Casimir III, conscient du potentiel de ces nouveaux arrivants, mit tout en œuvre pour favoriser leur intégration et leur permettre de contribuer à la prospérité de son royaume.

 

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Casimir le Grand : un roi bâtisseur au service de son royaume

Il serait réducteur de limiter le règne de Casimir le Grand à sa politique d'accueil des Juifs. Surnommé "le Grand" à juste titre, il fut un souverain ambitieux et réformateur, qui marqua profondément l'histoire de la Pologne. Son règne fut une période de paix et de prospérité, marquée par une expansion territoriale significative et une modernisation de l'État. Casimir réorganisa l'administration, développa le commerce, codifia les lois et fit construire de nombreuses villes et châteaux forts.

 

Portrait of Casimir III the Great Painting | Marcello Bacciarelli Oil  Paintings

 

Doté d'un sens aigu de la diplomatie, Casimir III sut habilement naviguer entre les puissances voisines, concluant des alliances stratégiques et consolidant les frontières de son royaume. Il réussit notamment à annexer la Ruthénie (actuelle Ukraine occidentale) et à obtenir la reconnaissance de la Silésie par le roi de Bohême. C'est également sous son règne que l'université de Cracovie, la plus ancienne université de Pologne, fut fondée en 1364.

Ce contexte de développement et de prospérité est essentiel pour mieux comprendre la politique du roi de Pologne envers les Juifs. En effet, Casimir III était un homme pragmatique. Il comprenait que la croissance économique de son royaume passait par l'attraction de populations qualifiées et entreprenantes, quel que soit leur origine ou leur religion. Les Juifs, avec leurs compétences dans le commerce, l'artisanat et la finance, représentaient un atout précieux pour la Pologne.

 

Le Statut de Kalisz : un rempart juridique contre la discrimination

La pierre angulaire de la politique de Casimir III en faveur des Juifs fut sans conteste la confirmation et l'extension du Statut de Kalisz. Promulgué en 1264 par Boleslas le Pieux, duc de Grande-Pologne, ce statut accordait aux Juifs un ensemble de droits et de privilèges inédits pour l'époque. Casimir le Grand le confirma en 1334, puis l'étendit à l'ensemble du royaume en 1364, garantissant ainsi une protection juridique à l'ensemble de la communauté juive de Pologne.

Le Statut de Kalisz couvrait un large éventail de domaines, allant de la liberté de culte à la liberté de mouvement, en passant par la protection contre les discriminations et les violences. Il autorisait les Juifs à exercer de nombreuses professions, à posséder des biens et à prêter de l'argent avec intérêts, une activité interdite aux chrétiens par l'Église. Il prévoyait également un système judiciaire équitable pour les litiges impliquant des Juifs et des chrétiens, garantissant ainsi l'égalité devant la loi.

 

 

Ce statut, unique en Europe à cette époque, fit de la Pologne une terre d'exception pour les Juifs. Il témoignait de la volonté de Casimir III de créer un environnement favorable à leur épanouissement, tout en garantissant la paix sociale et la coexistence harmonieuse entre les différentes communautés. Le Statut de Kalisz devint un modèle pour d'autres pays d'Europe centrale et orientale, contribuant à l'essor des communautés juives dans la région.

 

Des mesures concrètes pour une intégration réussie

Au-delà du Statut de Kalisz, Casimir III prit de nombreuses mesures pour encourager l'immigration et l'intégration des Juifs en Pologne. Il offrit des terres et des incitations fiscales aux nouveaux arrivants, les encourageant à s'installer dans les villes et les villages du royaume. Il favorisa la création de communautés juives autonomes, dotées de leurs propres institutions et de leurs propres tribunaux rabbiniques, leur permettant ainsi de préserver leur culture et leurs traditions.

Casimir le Grand veilla également à ce que les Juifs soient protégés des violences et des persécutions. Il punit sévèrement les auteurs d'actes anti-juifs et fit preuve d'une grande fermeté pour faire respecter la loi. Cette protection, associée aux opportunités économiques offertes par la Pologne, contribua à attirer un nombre croissant de Juifs dans le royaume. Sous le règne de Casimir III, la Pologne devint une terre d'accueil et de prospérité pour la communauté juive, qui put s'y épanouir et contribuer considérablement au développement du pays.
 



7 réactions


  • Seth 14 février 16:12

    Pauvre Casimir, il portait un drôle de nom pour un roi. C’est d’un ordinaire... Et si peu royal...

    Les partitions successives de la Pologne, son existence très relative à géométrie variable et son attitude politique ces deux derniers siècles serait aussi un sujet intéressant...

    Cdt. smiley


    • @Seth

      Casimir III le grand, c’est vrai que c’est pas terrible comme nom pour un roi. En polonais, ça sonne vraiment mieux : Kazimierz III Wielki.

      Au Cambodge, l’actuelle reine-mère Monineath, d’origine franco-italo-khmère, était jadis appelée Sa Majesté la reine Monique. Son prénom a été traduit en khmer dans les années 1990. Ca sonne beaucoup mieux. 


  • suispersonne 14 février 17:04

    L’histoire de la Pologne par Norman Davies chez Fayard* est de très loin plus intéressant que les autres ouvrages mis en avant sur le net, et surtout plus neutre que les délayages de giuseppe.

    Nb : Seth, sachez que Kazimierz est un prénom plutôt attribué chez les « nobles » (à partir de chevalier, c’était 10% de la population, appelée Szlachta, parce que chaque homme armé dans les villages avait gagné un titre en luttant contre les tatars, les turcs, et toutes sortes d’envahisseurs au cours des siècles où les plaines n’offraient pas de protection).

    *à commander chez Place des libraires en évitant à ma zone.


    • @suispersonne

      Les commentaires ne sont pas destinés à dénigrer le travail d’un auteur. Vous ne l’avez toujours pas compris. Ils sont là pour poursuivre le débat, apporter de nouveaux éléments ou même signaler des erreurs. Les fils des commentaires sur AgoraVox ne sont pas des défouloirs ou des rings de boxe. 

      Maintenant, je peux avoir commis une erreur. Si c’est le cas, vous pouvez m’en faire part. Je prends toujours connaissance des remarques pertinente avec intérêt. 

      Enfin, la comparaison entre un ouvrage de plusieurs centaines de pages et un article vulgarisateur de moins de 8 000 caractères me semble totalement incongrue...


  • L'apostilleur L’apostilleur 14 février 23:39

    Heinrich Graetz (historien juif) raconte les comportements des juifs en Pologne au XVIIs. avec un témoignage sévère à l’encontre de ses coreligionnaires qui menaient la vie dure aux chrétiens. Les familles dominantes polonaises catholiques s’opposaient alors aux cosaques orthodoxes nouvellement arrivés et utiliseront les juifs affermeurs pour le compte de grands propriétaires nobles. Ils étaient chargés de faire rentrer les impôts avec leurs moyens odieux  ; « … pour chaque nouveau-né, chaque mariage, les Cosaques étaient tenus de payer une taxe. Afin d’empêcher toute fraude, les fermiers juifs détenaient les clefs des églises grecques, de sorte que le prêtre ne pouvait procéder ni à un baptême ni à un mariage sans leur autorisation. Mais leur propre conduite et les procédés qu’ils employaient contribuèrent aussi à les faire détester des Cosaques… Il en résulta que les défauts de la méthode d’enseignement talmudique, la subtilité, l’habitude d’ergoter, la finasserie, pénétrèrent dans la vie pratique et dégénérèrent en duplicité, en esprit retors, en déloyauté… ils usaient souvent de ruse et de moyens déloyaux à l’égard des non juifs... Du reste, leur piété même était entachée de cet esprit d’exagération et de raffinement ; ils rivalisaient entre eux d’étroit rigorisme, mais ignoraient, pour la plupart, la foi sincère, simple, amie de la droiture et de la vérité. »


    • @L’apostilleur

      En Pologne, le XVIIe siècle a été marqué par la révolte des Cosaques russes contre les propriétaires fonciers polonais et les Juifs. Il y eut de grands massacres de Juifs, notamment à Lublin. L’âge d’or des Juifs en Pologne était fini depuis longtemps. 


  • Eric F Eric F 15 février 09:54

    ’’Il comprenait que la croissance économique de son royaume passait par l’attraction de populations qualifiées et entreprenantes, quel que soit leur origine ou leur religion’’

    C’est le principe de l’"immigration choisie’’ sur des critères qualitatifs pour l’intérêt du pays comme celui des populations intégrées (du moins à l’époque).


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