jeudi 16 décembre 2010 - par Paul Villach

Ce sombre miroir de la prison tendu par l’OIP à la Patrie des Droits de l’Homme

Pour intéresser les citoyens français à leurs prisons dénoncées comme indignes d’une démocratie par les institutions européennes, l’OIP, l’Observatoire International des Prisons, ne peut user des leurres faciles et efficaces des campagnes humanitaires ordinaires. Le leurre d’appel humanitaire n’y a pas sa place avec sa batterie de réflexes de voyeurisme, de compassion et de culpabilité, et ce, pour deux raisons : d’abord, on l’a vu dans une précédente campagne (1), l’OIP se garde du vain et dangereux aveuglement compassionnel ; et ensuite le sort d’un détenu régulièrement condamné pour violation de la loi ne suscite aucun apitoiement.

Comment dès lors, pourtant, par voie d’affiche au mode d’expression si concis, tenter de capter et de retenir l’attention pour inciter à respecter « les droits et la dignité des personnes détenues » dont les institutions européennes dénoncent régulièrement la violation en France ?
 
Un violent paradoxe
 
L’OIP a choisi cette année de confronter le lecteur à un violent paradoxe.
 
1- Premier terme du paradoxe : les plus hautes autorités réunies
 
L’image offerte, bien connue pour figurer dans les manuels scolaires, est un tableau du peintre Jean-Jacques Le Barbier qui a représenté les 17 articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 gravés sur deux volets de pierre.
 
- Par intericonicité, on reconnaît aussitôt la silhouette des tables de la loi brandie par Moïse à sa descente du Sinaï après les avoir écrites sous la dictée de Dieu selon la Bible. Peut-il y avoir argument d’autorité plus puissant que cette identification par image d’une déclaration des droits de l’Homme aux commandements de Dieu ? L’allégorie de l’œil inscrit dans un triangle au-dessus confirme, si besoin est, cette autorité suprême d’ordre divin, assimilée au dieu trinitaire en trois personnes de la religion chrétienne.
 
- Juchées chacune sur un volet, deux autres allégories représentent, elles, deux autorités humaines supplémentaires : la femme de gauche, vêtue des couleurs nationales tricolores et de sa cape bleue à fleur de lys est la monarchie qui tient les chaînes brisées de la tyrannie ; l’ange de droite est la Nation qui brandit le sceptre du pouvoir. Deux derniers symboles servent de reliure centrale aux deux tables : l’un représente des faisceaux, symbole du pouvoir des consuls à Rome ; l’autre, qui les couronne, est le bonnet phrygien rouge, emblème de la liberté conquise par la Révolution française et devenu depuis celui de la République. 
 
Peut-on réunir plus d’autorités autour de cette Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour lui conférer, à elle aussi, une autorité suprême ?
 
2- Second terme du paradoxe : deux tables vierges
 
Or, qu’exhibent les deux tables de cette loi sacrée française ? Deux plages de roche brute, ardoise, anthracite ou marbre noirs, vierges de toute inscription. Une telle contradiction entre les autorités ameutées et l’effacement des 17 articles attendus pose une énigme.
 
3- La solution du paradoxe : l’image de la prison, espace de non-droit
 
Elle est vite résolue pour peu qu’on prête attention à l’inscription placée au-dessus des deux tables entre les allégories de la Monarchie et de la Nation. C’est une parodie du titre originel. Un rajout de deux mots a suffi pour faire comprendre, avec l’image de la roche brute de deux tables, la situation aussi brutale dénoncée : « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en Prison ». Est-il besoin d’en dire plus que ces tables noires vides de tout droit ? Tel est le sort du citoyen devenu détenu : il perd tous ses droits pourtant qualifiés par cette Déclaration fondatrice de la République française de « naturels, inaliénables et sacrés  ». L’article 8 stipulant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires  », a-t-il jamais existé ?
 
Intericonicité et charge culturelle du noir
 
Par une autre intericonicité, le profil de ces tables ferait même penser à des portes qui, dans ce contexte, sont fermées sur des oubliettes de non-droit. On songe alors à ce que Dante voit gravé au-dessus des portes de l’Enfer : « Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate  », vous qui entrez ici, quittez toute espérance ! La charge culturelle du noir de ces portes de marbre, d’ardoise ou d’anthracite est ici tout indiquée : elle renvoie dans la civilisation occidentale à la fois aux ténèbres, à la mort, au deuil, à la culpabilité, au mal absolu que représente la prison. 
 
Intericonicité et réflexe de patriotisme possible
 
Comment une institution de la République française peut-elle ainsi violer sa propre loi fondamentale ? Le réflexe de patriotisme peut s’en trouver stimulé. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’est-elle pas une des gloires dont s’enorgueillit la nation française qui aime à se présenter comme la Patrie des droits de l’Homme ?
 
Du coup, par une dernière intericonicité, voici que les tables noires peuvent devenir d’obscurs miroirs où les citoyens français sont invités à se regarder en face pour leur plus grande honte. Un réflexe de culpabilité devrait naître de cette négation « des droits et de la dignité des personnes détenues  ». Et pour soulager l’inconfort qui peut en résulter, l’OIP propose la solution du don. Aucune mendicité de sa part, mais une incitation à l’action personnelle de chacun, fût-elle modeste : « Agissez aussi, dit le slogan, faites un don sur OIP.org  ». L’OIP ne se présente ici qu’en simple médiateur.
 
Ainsi le réflexe de culpabilité que peut déclencher cette affiche, n’est-il pas stimulé par les voies ordinaires d’un leurre d’appel humanitaire. Plutôt qu’à leur cœur, l’OIP s’adresse d’abord à la raison des citoyens par un rappel du texte fondateur de la République française. Que ses deux tables libératrices apparaissent d’abord comme deux ardoises vierges puis deux portes fermées sur un lieu de relégation qu’est la prison, doit stimuler seulement ensuite un réflexe de patriotisme dans le pays qui se flatte d'être la Patrie des droits de l’Homme. Mais, il est vrai, cette affiche qui rejette tout procédé racoleur avec raison, exige de ses lecteurs qu’ils s’y arrêtent le temps de la comprendre. L’enjeu des droits des détenus et de ce qu’ils apprennent d’une nation, le mérite. Paul Villach 
 
(1) Paul Villach, « Le tour de force d’une affiche de l’OIP : un appel humanitaire sans apitoiement », AgoraVox, 18 janvier 2010.


9 réactions


  • voxagora voxagora 16 décembre 2010 12:04

    .

    Je lirais l’article ce soir, avec d’autres qui m’intéressent, mais je me prends 2 minutes
    pour écrire vite fait ce que me suggère le titre :
    Il faudrait cesser de répéter mécaniquement que la France est la Patrie des Droits de l’Homme, parce que c’est faux.
    La France est la patrie de la DECLARATION des droits de l’homme.

    • LE CHAT LE CHAT 16 décembre 2010 12:53

      La France est la patrie de la DECLARATION des droits de l’homme.

      on a hélas toujours été meilleurs en théorie qu’en pratique !  smiley

      mais pas mal de ce qui trouvent quelque chose à redire en France peuvent balayer devant leur porte , la France tolère aussi beaucoup de choses qu’elle ne devrait pas .
      où les droits de l’hommes sont ils irréprochables ?


  • hks 16 décembre 2010 13:52

    Ainsi le réflexe de culpabilité que peut déclencher cette affiche, n’est-il pas stimulé par les voies ordinaires d’un leurre d’appel humanitaire.

     bon d’accord et vous aimez bien cette affiche, moi aussi .
    Mais heureusement que les publicitaires ne vous attendent pas .
     Que reste -t- il de possible à cette forme d expression quand elle ne fait appel qu’ à la raison ?
    Et bien pas grand chose et ce parce que l’image ( en général ) ne fait pas appel à la raison .L’ image fait appel à l’imagination .


    • Paul Villach Paul Villach 16 décembre 2010 15:01

      @ Hks

      « l’image ( en général ) ne fait pas appel à la raison .L’ image fait appel à l’imagination ».
      Vous avez raison. J’apporterai une correction :
      1- L’image peut s’adresser à la raison comme ici, mais ce n’est pas sa cible naturelle.
      2- Sa cible naturelle est l’irrationalité, avec ses gammes de réflexes. Paul Villach


  • Louise Louise 16 décembre 2010 16:19

    Malheureusement, la grande majorité des gens est complètement indifférente aux droits des citoyens détenus.
    La privation de liberté est la sanction imposée. Ce manque de liberté est beaucoup plus que l’impossibilité de sortir. Un détenu doit demander des permissions pour tout, en fait il n’a pas de pouvoir sur lui-même, sinon dans sa tête...quand elle est solide ! Il est soumis à des fouilles humiliantes... Mettons tout cela sur la condition « normale » d’un détenu...

    Mais la promiscuité 24h sur 24 dans un espace réduit, le manque d’hygiène, l’inactivité forcée, le quartier disciplinaire parfois vite décrété, tout ceci va au-delà de la peine à laquelle le détenu a été condamné.

    Est-ce que l’OIP croit qu’une affiche symbolisant ce manque de droits va faire évoluer les choses ?...


  • Paul Villach Paul Villach 16 décembre 2010 16:29

    @ Louise

    « Est-ce que l’OIP croit qu’une affiche symbolisant ce manque de droits va faire évoluer les choses ? » demandez-vous.

    Cette affiche ne vise-t-elle pas déjà à poser le problème ? N’est-ce pas ainsi que tout commence ? Paul Villach


  • french_car 16 décembre 2010 21:31

    Bonsoir Popaul, un peu sec, un peu trop plein de vos tics verbeux mais globalement juste. Allez je plusse pour une fois.
    Mes hommages à Béa smiley


  • hks 17 décembre 2010 00:31

    à Paul Villach

    "2- Sa cible naturelle est l’irrationalité, avec ses gammes de réflexes."

    .............................................

     D’ accord mais alors là il vous faut adopter une autre grille de lecture.

    L’interprétation par leurre est trop pauvre ou à la limite ne dit rien . Leurre c’est un mot qui pointe sur une absence de conscience . S’il y a leurre je suis trompé , c’est à dire que quelque chose qui m’est caché me motive .
    Mais que m’ est- il donc caché ?
    Bien sur que toute image est un leurre mais la science de ce qui m’est caché est- elle nécessaire ?
    Pour autant que cette science soit sûre et elle ne l’est pas .Au mieux de l ’effort on a Les structures anthropologiques de l’imaginaire G Durand .
     C’est hors des préoccupations des agoravoxiens .

     Je passe sur l aspect esthétique de l’image lequel pose bien des problème et des problèmes de leurre si vous voulez . Mais là on est sur des questions d une très grande complexité .
    Pour moi ce sont les praticiens de l’image qui sont les mieux placé pour en parler .Dommage ce qui les intéresse c’ est de faire des images pas de théoriser .
    J ’ai lu Klee et Itten fut un temps , voilà une approche intéressante .
    Ca intéresse qui ? .
     


    • Paul Villach Paul Villach 17 décembre 2010 11:50

      @ hks

      « L’interprétation par leurre, écrivez-vous, est trop pauvre ou à la limite ne dit rien . Leurre c’est un mot qui pointe sur une absence de conscience . S’il y a leurre je suis trompé , c’est à dire que quelque chose qui m’est caché me motive .
      Mais que m’ est- il donc caché ?
      Bien sur que toute image est un leurre mais la science de ce qui m’est caché est- elle nécessaire ?
       »

      Vous n’avez donc jamais pêché à la ligne, sinon la notion de leurre ne vous serait pas si étrangère.
      Demandez au « Petit Poisson » de La Fontaine qui, un peu tard, puisqu’il est dans la main du Pêcheur, demande qu’on « lui prête vie ». Malheureusement, c’était avant de mordre au leurre qu’il aurait dû y penser.
      Voyez que la science des leurres est capitale : c’est parfois une question de vie et de mort.

      J’achève en ce moment un livre sur les fables de La Fontaine qui est à proprement parler une science des leurres. Mais les a-t-on jamais lues ainsi ?

      Pour vous amuser, juste une question : vous êtes vous demandé pourquoi La Fontaine a placé en tête de son recueil « La Cigale et la Fourmi » ? Croyez-vous que la morale qu’on en tire généralement le justifie ? Avez-vous remarqué que La Fontaine n’a lui-même explicité aucune morale, bien qu’Ésope la lui proposât ? N’est-ce pas pour en laisser deviner une autre bien plus profonde qui intéresse tout le recueil ? Quelle est-elle selon vous ? Paul Villach


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