mercredi 24 novembre 2010 - par
Ces journalistes au fond du puits comme l’astrologue de La Fontaine
La mythologie journalistique vient de s’enrichir d’un nouveau couple de mots antonymes illusoires pour tenter de faire croire que le mot « information » est synonyme de « vérité ». Aux « Assises internationales du Journalisme et de l’information » qui se sont tenues à Strasbourg du 16 au 18 novembre 2010, son organisateur, Jérôme Bouvier, actuellement médiateur de Radio France, a ainsi interpellé ses confrères dans son éditorial d’introduction intitulé « Du bruit ou de l’info » : sommes nous « propagateurs de bruits ou créateurs d’infos » et suffisamment « vigilants sur le respect des fondamentaux sans lesquels nous ne ferions plus que du BRUIT, là où le public attend de nous de l’INFO » ?
Le dogme de l’information comme synonyme de vérité
Il y a de quoi être attristé, car les journalistes qui gravitent autour de cette manifestation comptent sans doute parmi les plus conscients du discrédit dont souffre leur profession et les plus désireux d’y remédier sincèrement. Or, ce couple « information / bruit » qui vient d’être inventé montre qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à un dogme de la mythologie journalistique qui a justement contribué au discrédit des médias.
Depuis des lustres, cette mythologie prétend, avec l’École qui l’enseigne consciencieusement en toute inconscience, qu’ une information est « un fait » et donc « la vérité » et non seulement « la représentation d’un fait » et donc seulement « une vérité ». Ce dogme est inculqué par diverses astuces. L’une d’elles est l’usage de couples de mots où, l’air de rien, le mot « information » est associé à un antonyme répulsif, comme « vérité » peut l’être à « mensonge » ou « bien » à « mal ». On en relève plusieurs qui ont été ainsi égrénés au fil des années.
1- Fait et commentaire
« Information » a d’abord été opposé à « commentaire », et l’est toujours du reste, selon un aphorisme ressassé : le commentaire est libre mais le fait est sacré. Il en ressort que « l’information » n’est pas « un commentaire », à savoir l’expression d’une opinion , mais l’énoncé d’un « fait » exempt de toute « pollution » d’opinion et donc de volonté ou d’effet d’influence qui s’y attachent ; une universitaire fait même croire à l’existence du « fait brut », prenant comme exemple la photo lauréate du prix du « Correspondant de guerre » de Bayeux 2007 qui montrait une foule de jeunes s’enfuyant pris de panique sous une roquette suspendue au-dessus de leur tête dans le ciel de Gaza (1). Or y a-t-il un « fait moins brut » que celui-là ?
Magritte a appris qu’ une pipe peinte « n’est pas une pipe », mais « la représentation d’une pipe ». Un des procédés structurels de l’image est, d’autre part, la mise hors-contexte qui ouvre sur diverses interprétations. Le choix de diffuser ou non une information est, en outre, un jugement obéissant au principe qui régit la relation d’information selon lequel « nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire ».
2- Journal d’opinion et journal d’information
Un second couple, longtemps utilisé mais tombé un peu en désuétude, est « journal d’information » et « journal d’opinion ». Ainsi l’Humanité, organe du Parti Communiste ou La Croix, quotidien catholique, étaient-ils présentés comme des journaux d’opinion et Le Figaro, Le Monde, Le Parisien comme des journaux d’information. On ne saurait le soutenir aujourd’hui sans sourire. La seule différence entre ces deux familles prétendument opposées réside, en effet, dans la manière d’afficher ouvertement son opinion ou de la glisser discrètement, en vertu du jugement que constitue toute décision de publication ou non d’une information.
3- Information et désinformation
Un troisième couple connaît une faveur toujours aussi grande : il oppose « information » à « désinformation » qui selon Vladimir Volkoff (2) vient du lexique des services de renseignement soviétiques, repris par les agents américains pendant la Guerre froide. La profession journalistique a tout de suite vu le parti qu’elle pouvait en tirer pour abuser ses lecteurs. Car, dans le contexte des services de renseignement, le mot « information » est synonyme de représentation la plus fidèle possible de la réalité, extorquée à l’ennemi, c’est-à-dire obtenue à son insu et/ou contre son gré. Par opposition, « la désinformation » est la représentation la plus éloignée de la réalité qui est livrée à l’ennemi sous forme de leurres divers pour l’égarer et le vaincre. Dans le contexte des médias qui peut soutenir qu’ « information » puisse avoir le même sens ? En revanche, pour qui ignore cette mise hors-contexte, « information » s’oppose à « désinformation » comme « vérité » à « mensonge ».
4- Information et communication
Un quatrième couple très à la mode aussi réunit « information » et « communication ». Le mot « publicité » étant discrédité par un excès de leurres employés pour tromper le public, les publicitaires l’ont remplacé par le mot « communication » qui offrait l’avantage de représenter une relation entre émetteur et récepteur sans intention d’influence. L’ennui, c’est qu’à l’usage il a fini par devenir lui aussi synonyme de publicité. Or, c’est ce dont le monde journalistique entend se démarquer en préservant le mot « information » qui, du coup, désigne « un fait exempt de toute visée d’infuence », comme si c’était possible. « Le texte ou discours informatif » a même été inventé et enseigné avec ferveur à l’École et à l’Université pour faire croire à cette absence de volonté ou d’effet d’influence. L’expérience montre malheureusement que les êtres vivants, hommes ou animaux, ne peuvent pas ne pas s’influencer entre eux, y compris par leur silence, leur simple présence ou leur absence.
5- Information et bruit
C’est dans ce contexte que survient ce cinquième couple, « information » et « bruit », évoqué par l’organisateur des "Assises du Journalisme et de l’Information". Cette fois, il semble que c’est au contexte du modèle de communication de Schannon et Weaver (1949) qu’est emprunté le mot « bruit ». Selon ces chercheurs en télécommunication qui prennent la téléphonie comme modèle de transmission d’un message, est appelé « bruit » les parasites qui peuvent venir troubler la transmission d’un message émis par une source en direction d’un récepteur.
Or, dans ce contexte le mot « message » n’est nullement synonyme de « vérité ». Shannon et Weaver ne se préoccupent pas du tout du contenu du message mais seulement de son mode de transmission, correct ou non, avec ou sans bruit. C’est donc une fois de plus par mise hors-contexte que le mot « information » est opposé à « bruit ». Et comme dans le sens courant « bruit » est synonyme de sensation sonore plus ou moins intelligible ou désagréable, ou encore de rumeur invérifiable, le mot « information » prend un sens positif de fait vérifié, voire de vérité.
La mythologie journalistique ne renonce donc pas à faire croire que l’information est synonyme de "vérité". Il semble bien que ses partisans soient inaccessibles à la rationalité. Ils ont de leur profession une image prophétique. Ils prétendent être les porte-parole de la vérité. Malheureusement, ils font penser à l’astrologue de La Fontaine qui se laisse tomber dans un puits : « Pauvre bête, se moquent les badauds, / Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir, / Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? » (3) Comment croire des journalistes qui commencent par ignorer la physique de la relation d’information dont l’une des lois est la loi d’influence. À vouloir l’esquiver avec ces couples de mots antonymes illusoires pour tromper leur public, ils ne font qu’accroître un peu plus leur discrédit. Paul Villach
(1) Paul Villach, « La tragique leçon de journalisme de Géraldine Mulhman sur France Culture », AgoraVox 12 octobre 2007, repris dans « L’heure des infos, l’information et ses leurres », Éditions Golias, Lyon/Villeurbanne, 2009.
(2) Vladimir Volkoff, « Désinformations par l’image », Éditions du Rocher, 2001.
(3) Jean de La Fontaine, « L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits », in « Fables », II-13.