Christianisme, patriotisme et immigration
La publication récente de deux livres "Immigration, le grand malaise" de Laurent Dandrieu et "Identitaire : le mauvais génie du christianisme", le dernier essai d'Erwan Le Morhedec, dit Koz. a mis à jour un conflit latent entre les catholiques qui considèrent avec une certaine méfiance l'immigration incontrôlée en Europe de l'Ouest et ceux qui s'opposent aux "cathos identitaires" et prônent un accueil inconditionnel des migrants au nom d'une interprétation personnelle des valeurs évangéliques. Cet article cherche à clarifier le message biblique concernant l'accueil des migrants et la défense d'une société multiculturaliste.
Chez certains catholiques y compris des membres du clergé, toute réflexion d'ordre politique concernant l’immigration ou l'accueil des migrants, se réduit à quelques phrases tirées d'Isaïe ou du Nouveau Testament qui selon eux prouveraient qu’une nation doit s’ouvrir sans condition à l’accueil des migrants surtout si l’on remplace ce mot de migrant par celui de réfugié qui en appelle plus à la pitié, mot qui dans la majorité des cas ne correspond pas à la situation des migrants qui sont des migrants économiques. Ces catholiques accusent leurs frères qui considèrent que cet accueil inconditionnel peut constituer une menace pour l'identité nationale « d’identitaires » qui trahissent le message évangélique.
Pourtant, on peut voir principalement deux causes à ce soutien sans limites à l'accueil ides migrants : la confusion entre le niveau de la morale individuelle et celui de la morale collective ou du politique et une incompréhension plus générale du sens des textes bibliques masquée par l’utilisation de phrases prises hors contexte.
Il est souvent répété dans les milieux chrétiens que le Christianisme est une religion de l'incarnation pour la distinguer de la Gnose ou de certaines formes prises par l'hindouisme ou du bouddhisme et se caractérisant par un rejet du monde considéré comme une illusion et des désirs humains comme obstacles à la recherche de transcendance ou de la paix du Nirvana.
Cette expression est juste mais cette incarnation ne doit pas se limiter au niveau individuel mais se manifester au niveau collectif, d’abord de la famille puis de la société, de la nation et du monde.
Si l’Evangile en appelle à l’accueil de l’étranger, à aider celui qui est dans le besoin sans tenir compte de ses origines (parabole du bon Samaritain entre autres), il s’agit d'appels aux hommes pris individuellement, appels à ouvrir leur cœur et aimer le prochain mais la Bonne Nouvelle ne se limite pas à une morale individuelle.
Ainsi Jésus appelle les chrétiens dans son dernier message à faire « de toutes les nations des disciples » (Matthieu 28 :19) et non de tous les individus, même si tout commence au niveau individuel.
Ainsi, les nations et leurs cultures respectives prennent place dans la providence de Dieu comme cela était le cas dans l'Ancien Testament avec l'histoire d'Israël et le patriotisme prend une nouvelle valeur avec l’espérance du Royaume et l’idée de « hâter la venue du Royaume ».
Certains chrétiens insistent sur la phrase de Jésus "mon Royaume n'est pas de ce monde" (Jean 18 :36) pour prôner un certain désintéressement vis-à-vis de la politique ou du patriotisme.
Or si par cette phrase, Jésus exprimait clairement que le Royaume n’a pas grand-chose en commun avec ce monde de corruption, cela ne l’empêchait pas d’être un patriote au sens élevé de ce terme aimant Israël, ce qui explique qu'il alla même jusqu'à pleurer sur Jérusalem peu avant sa crucifixion s’écriant en contemplant la ville d’une colline « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour
ce qui donne la paix ! ..mais tu n’as pas connu le temps de ta visitation » (Luc 19 :41-44).
De plus, dans la prière du Notre Père, Jésus dit clairement « Que ton Royaume vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » indiquant que le Royaume n'appartient pas au monde éternel des idées cher à Platon mais doit venir avec l'accomplissement de la volonté de Dieu sur terre comme au ciel.
En résumé, le message du Christianisme ne consiste pas seulement à un appel au salut individuel mais à un changement collectif, en faisant « de toutes les nations des disciples », ce qui implique une action politique et permet de comprendre pourquoi le Pape François, même s'il n'a pas fait preuve de trop de lucidité sur la question des migrants en Europe, a raison quand il dit que la politique peut être une forme élevée de charité ou de l'amour chrétien.
Ainsi, on peut parler de providence de Dieu au niveau de chaque nation mais dans la réalité historique, cette providence correspond à un travail lent et progressif, la christianisation ou l'évangélisation progressive de nations et cultures.
Chaque pays a ses évènements clé dans cette histoire, ainsi les Français se rappellent le baptême de Clovis, la libération d'Orléans et la défait des Anglais par Jeanne d'Arc qui bien sûr ne prêchait pas l’accueil des troupes anglaises, l’effort de réconciliation des Français mené par Henri 4 après les guerres de religion entre bien d'autres évènements mais on trouve des faits héroïques semblables alliant patriotisme et christianisme dans l'histoire d'Angleterre, d'Allemagne, de Pologne, de Russie ou d'Espagne pour ne citer que quelques nations européennes.
Il ne s’agit pas d’idéaliser le passé de ces nations mais simplement de reconnaître qu’une certaine idée de la dignité humaine, de la liberté y compris politique avec entre autres la Magna Carta en Angleterre, la fin progressive de l’esclavage, se sont développées dans les pays à culture chrétienne et en relation avec cet idéal chrétien même si toute culture est un mélange d’influences et qu'il y a loin de l’idéal à la réalité. Il en résulte que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, toutes les cultures et religions ne se valent pas, en particulier en ce qui concerne le respect de la dignité de l’homme et de la femme et la structure familiale (monogame, polygame) même si toutes ont leurs qualités.
Le patriotisme comme amour de la patrie dans ce qu'elle a de meilleur, amour de son histoire et des grandes figures de cette histoire est donc une forme que prend l'amour chrétien quand il dépasse le niveau individuel pour aller vers le niveau de la nation. Bien sûr, ce patriotisme ne correspond pas vraiment à la phrase de Winston Churchill sur l’Angleterre « Right or wrong, my country », comme une justification de toutes les politiques bonnes ou mauvaises conduites par une nation pour la simple raison que c’est mon pays.
Concernant l’accueil de l’étranger si souvent vanté, il ne peut être pris comme un impératif absolu pour guider une politique d’immigration et les textes bibliques font preuve d’une grande prudence ou méfiance à cet égard.
Sans revenir à l’ordre donné à Josué lors de la conquête de la Terre Promise, d’éliminer ses premiers habitants à cause de leur idolâtrie, on voit plus tard que le roi Salomon est puni par Dieu parce qu’il a amené des épouses étrangères dans son harem (filles de princes ou rois du Moyen-Orient) qui se mettent à adorer selon leur tradition religieuse des idoles dans le Temple de Jérusalem. On trouve aussi le commandement lors du retour d’exil fait aux juifs qui avaient épousé une épouse étrangère de soit la quitter, soit quitter Israël, le prophète Néhémie (13,30) parlant de « purifier » les juifs de tout étranger. On voit ainsi qu'au niveau national, le problème pour les prophètes et les chefs religieux juifs était de maintenir la pureté religieuse du peuple et d’éviter toute forme d’idolâtrie et, donc, d’influence des cultures étrangères. Cela mènera entre autres à une guerre sanglante contre les Grecs avec Judas Macchabée et sa famille.
En exigeant le respect de la loi et le rejet de toute forme d’idolâtrie, la Bible ne se montre pas tolérante au sens actuel du mot. On est loin de l’enrichissement par la culture de l’immigré ou de l’éloge de la diversité en soi, sans critère de jugement. En résumé, on trouvera tout dans la Bible sauf un appel au multiculturalisme.
En conclusion, si l’on veut faire adopter par un pays une politique d’immigration laxiste comme le font des associations chrétiennes comme l’ACAT (Association des Chrétiens contre la Torture) qui trouve que le gouvernement socialiste n’est pas assez laxiste en la matière et appelle ses adhérents à aider de différentes manières les immigrants menacés d’expulsion en leur donnant des refuges et les moyens d’éviter une expulsion légale, on ne peut se prévaloir de l’esprit du Christianisme mais seulement d’une lecture très particulière et partiale des textes bibliques.