jeudi 26 mai 2011 - par Paul Villach

Coloscopie géante sous la verrière du Grand Palais à Paris

Attention, chef d’œuvre à ne manquer sous aucun prétexte ! L’œuvre, nommée « Léviathan » par son auteur Anish Kapoor, est une raison de plus de venir admirer le Grand Palais à Paris. Elle est exposée dans sa nef sous sa prodigieuse voûte à treillis de métal et de verre. Elle l’emplit de son volume à elle toute seule, tant elle est gigantesque, touchant presque à la verrière. C’est manifestement chez l’artiste l’aboutissement d’un parcours. Il n’y a pas de doute, une idée forte se cache derrière cette création grandiose.

L’intericonicité du ballon captif
 
Car pour édifier œuvre aussi phénoménale, il ne faut pas manquer d’air. Les intericonicités se bousculent à l'esprit tant on découvre de parentés entre elle et d’autres objets. On dirait d’abord une montgolfière, et même très fière, non de forme ovoïde traditionnelle, mais allongée comme les dirigeables, ou modelée à la mode des ballons de foire en boudins.
 
Sans doute est-ce un trait d’humour de l’artiste pour montrer ce qu’il advient d’un ballon, appelé par vocation à s’élever dans les airs et à parcourir les espaces au gré des vents, quand prisonnier d’un hangar, il s’avachit au point de se couler dans ses formes comme à la recherche d’une ouverture pour s’en échapper. Le ballon captif dégénère en boudin. Ce nom de « Léviathan », emprunté au monstre biblique porteur de cataclysme apocalyptique, lui va comme un gant.
 
Et le symbole est à sa mesure, grandiose ! N’est-ce pas celui du sort infligé à l’esprit humain par des mythologies archaïques ? Fait pour s’élever lui aussi au-dessus de la nature et de sa condition pour maîtriser le monde, il se vautre quand l’emprisonnent leurs corsets, et se métamorphose en haricot. Ne dit-on pas à qui déraisonne : « Qu’est-ce que tu as donc dans le crâne ? Un haricot ? »
 
 L’intericonicité d’un côlon
 
Mais le propre d’un chef d’œuvre est d’être, disent les experts, polysémique. On lira ci-dessous avec profit les méditations du responsable de l’exposition, au nom si approprié de « commissaire » en matière artistique (2). Mais si lumineuses qu’elles soient, elles n’épuisent pas la richesse de l’œuvre. Une autre intericonicité conduit à voire sous la verrière lumineuse du Grand Palais, l’envers qu’une vieille conception dualiste de l’homme oppose à "l’esprit" : "le corps". Par métonymie, ce qu’on a déjà pris pour un boudin géant, devient la partie pour le tout  : le contenu est même donné pour le contenant et un côlon gonflé renvoie au corps humain tout entier et à ses servitudes digestives prosaïques.
 
Le génie de l’artiste a veillé à en montrer non seulement l’extérieur, mais aussi l’intérieur : baignant dans une lumière rouge sanguine, le visiteur devient endoscope et se prend pour la micro-caméra d’une coloscopie géante. L’effet est saisissant de pénétrer ainsi dans les souterrains digestifs et suggestifs de la condition humaine.
 
Un boudin dans un écrin ?
 
Sous la verrière éclatante de lumière du Grand palais, le paradoxe ne peut alors manquer de sauter aux yeux : a-t-on jamais recherché un écrin pour exposer un objet trivial ? Place-t-on un boudin dans un coffret précieux ? On renoue une fois encore avec la prophétique fulgurance de Marcel Duchamp qui a révolutionné et dévasté l’art officiel au 20ème siècle en exposant dans un musée un urinoir baptisé « Fontaine ». Ce n’est pas l’œuvre d’un artiste qui fait l’art, mais le marché qui l’achète et le vend et le musée qui l’abrite, comme un écrin transforme du gravier en pierre précieuse. « Le médium est le message ». Seule l’autorité confère fiabilité à l’information. On n’en sort pas ! L’art officiel contemporain ne cesse d’asséner ce dogme et de sommer le peuple de s’agenouiller devant lui. On attend donc avec impatience que la grande nef du Grand Palais, débarrassée de cet embarras intestinal, resplendisse à nouveau sous sa verrière rayonnante.
 
Pygmalion et Galatée
 
Mais, le comble, c’est que dans l’attente de cette délivrance, elle n’a jamais été plus resplendissante qu’encombrée de ce côlon gonflé à se rompre. Le contraste est saisissant. Quoi de plus étonnant qu’un écrin embellisse à la vue de l’objet qu’il expose ? À l’entrée du Grand Palais, un groupe sculpté rappelle d’ailleurs opportunément aux visiteurs que l’art peut être conçu comme l’effort de l’homme pour tenter de donner vie à la matière. On y voit Pygmalion, le sculpteur chypriote, le maillet suspendu, ébloui par la statue de femme sortie de ses mains : c’est l’instant où l'artiste est pris d'une folle envie de l’étreindre et Galatée va naître femme dans ses bras.
 
Il ne viendrait évidemment à personne pareille envie devant le boudin géant qu’on a laissé derrière soi en haussant les épaules. On se réjouit seulement de relever parmi les mécènes et partenaires de cette exposition mémorable, aux côtés de la Fondation EDF, des organismes locaux de l’Éducation nationale : le CRDP de l'Académie de Versailles, la DAAC, les Inspections pédagogiques, Inspection académique des Yvelines, et enfin la DAAC du Rectorat de Créteil (1). On ressort rassuré : l'’enseignement de l’Art est en de bonnes mains. Paul Villach 
 
 
(1) DAAC = la Délégation Académique à l'Action culturelle et à l'Enseignement Artistique
 
(2) Voici la présentation que fait de « Léviathan » le commissaire de l’exposition  :
 
« Propos du commissaire
 
Cette quatrième édition de MONUMENTA sera la première grande exposition à Paris d’Anish Kapoor depuis trente ans. Celui-ci est considéré comme l’un des plus importants sculpteurs d’aujourd’hui et, en effet, son travail a profondément renouvelé l’étendue des possibilités de la sculpture contemporaine tant par sa maîtrise de l’échelle monumentale que par la sensualité colorée et l’apparente simplicité qui se dégagent de ses œuvres.
 
Lorsqu’en novembre 2008, à l’invitation du ministre de la Culture et de la Communication, Anish Kapoor visita la Nef du Grand Palais sachant qu’il serait le prochain artiste invité à répondre au défi de cet immense vaisseau, il parut impressionné, certes, mais pas très hésitant, comme si mûrissaient déjà les réponses qu’il formula quelques mois plus tard. Immédiatement, alors que cet endroit exceptionnel pose de grandes difficultés d’échelle bien sûr, mais aussi de lumière, en raison de l’excessive clarté de la verrière et de construction, puisque les structures du monument ne peuvent ni être touchées, ni même approchées, il annonça, pour reprendre ses propre termes, qu’il y aurait « un seul objet, une seule forme, une seule couleur ». Après quelques semaines, dans son atelier, une maquette posée au sol contenait le projet. L’artiste le commentait comme s’il n’en était pas l’auteur, comme si celui-ci était né des propriétés du lieu lui-même sans décision particulière de sa part. Puis, d’autres ébauches et d’autres configurations apparurent, sans doute pour essayer autre chose, mais toujours cette première intuition prévalut, celle qui sera réalisée pour MONUMENTA.
 
On retrouvera dans cette oeuvre plusieurs des caractéristiques de la démarche de l’artiste qui sont à l’origine de la fascination que produisent ses réalisations sur les regardeurs, qu’ils soient connaisseurs, ou même simples curieux ainsi que le montre le succès public du Cloud Gate à Chicago par exemple. Un soin très particulier est apporté à la réalisation technique de l’ouvrage. L’objectif de cette maîtrise n’est pas un simple exercice de virtuosité, mais correspond au souci de donner la sensation que l’objet est généré par sa propre énergie, comme produit par la nature, et qu’il s’est développé en dehors de la main de l’artiste. Par ailleurs, les formes obtenues paraissent surgir par évidence : pas de composition ou d’expression psychologique de l’auteur, mais une relation osmotique entre le lieu et la sculpture. Puis l’échelle, qui est calculée pour que, dans la relation de notre corps à l’œuvre, se construise une relation d’absorption ou de domination qui met en relation l’humain et les proportions immenses que la nature nous propose. Cet intérêt pour le sublime au sens où les philosophes l’entendaient au 18ème siècle est une constante de la réflexion d’Anish Kapoor. Enfin, et c’est là l’essentiel peut-être, une résonance inhabituelle des formes et de la couleur choisies pour, à dessein, créer en nous un écho organique ou mental, un en deçà de la raison, comme si l’artiste cherchait à toucher des ressorts anciens, une partie archaïque de nous-mêmes qui, lors de cette rencontre particulière, nous enseigne, ce que nous sommes et surtout d’où nous venons.
 
L’œuvre nous invitera, comme les autres sculptures de l’artiste, à une expérience physique et mentale globale, à une immersion sensorielle produite par une triple attention et qui nous indique trois thèmes essentiels pour l’artiste : une réflexion sur l’espace au sujet duquel il précise : « l’espace selon moi est une entité philosophique et pas seulement l’endroit où adviennent des choses ». Un propos sur l’imaginaire puisque si une grande partie des évènements que nos sens recevront sont produits par la matière, une certaine irréalité, une disposition à la fiction, montre, comme dit le souhaiter l’artiste, que l’objet, par ses connotations ou grâce aux effets psychiques de son apparence, dépasse sa matérialité. Et enfin une pensée sur la pensée, puisque l’enjeu majeur de son travail ainsi qu’il le formule : « est de parvenir par des moyens strictement physiques à proposer une expérience philosophique inédite. Jean de Loisy  »


18 réactions


  • docdory docdory 26 mai 2011 17:16

    Cher Paul Villach

    Plutôt que de subventionner ce qui, sur la deuxième photo prise sous la verrière, ressemble à un étron géant, ( ou à un boudin antillais géant si l’on est gentil ), l’EDF ferait mieux de nous facturer l’électricité un peu moins cher ...
    Quant aux autres mécènes émanant de l’éducation nationale ( en entendant galvauder son nom de façon si douteuse, le pauvre Caius Cilnius Mæcenas doit s’en retourner dans sa tombe ), ils feraient mieux de dépenser leur argent ( qui est celui des contribuables, ) à faire ce pour quoi ils sont ( en principe ) payés : apprendre aux enfants à dessiner.
    Or, force est de constater qu’à la fin de la troisième, c’est à dire à la fin des cours de dessin ( euh, pardon, des cours d’arts plastiques ) les élèves des collèges actuels ne savent même pas réaliser une perspective à un seul point de fuite, mettre des ombres et des lumières sur un dessin ( ne parlons pas des reflets ) , et encore moins dessiner un visage , une main, un cheval, un arbre, une voiture, un avion, etc ... alors qu’au début des années 70 , toutes ces compétences étaient maîtrisées par tous les élèves en fin de troisième ( du moins ceux qui avaient travaillé ).
    Une dernière remarque : une fois cette exposition terminée, cet étron géant ( ou ce colon ) , qui a du être payé plusieurs dizaines de milliers d’euros par la collectivité, sera mis en pièces ( qui pourrait acheter et mettre chez lui une pareille incongruité « artistique » ? )
    Cet argent public jeté par les fenêtres aurait sans doute par exemple permis d’équiper la France d’un ou deux appareils d’IRM supplémentaires ( vu son retard accablant dans ce domaine ) . Au lieu de quoi, tout ceci « finira aux encombrants » !!! 
    Une « oeuvre » monumentale du même acabit avait orné pendant trois mois l’an dernier un pont de Rouen, avait coûté des centaines de milliers d’euros et avait été détruite en fin d’exposition...

    • Paul Villach Paul Villach 26 mai 2011 18:48

      @ Cher Docdory

      Tout à fait d’accord avec vous ! Mais que penser de ceux qui s’agenouillent devant pareille imposture ?
      Vous avez vu la logorrhée du « commissaire » de l’exposition que j’ai mise en note ? Paul Villach


    • Antoine Diederick 26 mai 2011 21:12

      a Docdory, nous avons eu le plaisir aussi de ce chapiteau en allumettes géantes à Bruxelles....

      c’est plutôt de l’architecture et il y a un malentendu : ce serait plutôt de l’architecture sans fonction architecturale....

      donc une fiction, une gratuité monumentale, subsidiée sous forme de mobilier urbain temporaire....

      Tout cela ne dit rien sur la sensibilité , l’intériorité ,la nécessité intérieure de l’artiste....


    • docdory docdory 26 mai 2011 22:59

      @ Paul Villach

      Oui, nous sommes là devant un sommet d’imposture intellectuelle : comment faire semblant d’être intelligent en écrivant un texte plus ou moins inintelligible, à la limite de la non-signification, autrement dit, l’art de faire passer des vessies ( ou plutôt, en l’espèce, un colon géant ! ) pour des lanternes.
      Je suppose que ce « commissaire » est payé fort cher par l’argent du contribuable ...

    • docdory docdory 26 mai 2011 23:09

      A noter la « trouvaille » linguistique de ce commissaire qui, pour faire moderne, recycle dans son texte le mot moyen-âgeux « regardeur » ( qui était employé au XIV ème siècle par Nicole Oresme, mais était à peu près sombré dans l’oubli depuis cette époque )

      Comment faire à bon compte du neuf avec du vieux !


  • srobyl srobyl 26 mai 2011 17:50

    Cet étron-là, il faut payer pour aller le voir...Seuls les esthètes avertis déboursent. Il en est d’autres, hélas qu’on a réussi à imposer à la vue de tous, aux frais de la collectivité. Par exemple ce superbe mécano rouillé à l’entrée de la grotte de Niaux, un des plus beaux sites ariégeois... 


  • Pierre de Vienne Pierre de Vienne 26 mai 2011 18:29

    Ah ! c’est donc cela, des problèmes digestifs, mais cela se soigne très bien de nos jours !


  • Clouz0 Clouz0 26 mai 2011 19:19

    Un jour Paul a regardé un tableau « non figuratif ».

    Il a cherché ce que cela pouvait bien représenter dans ses souvenirs, et, of course, il n’a rien trouvé.
    .
    Depuis, Paul qui ne comprend pas, et qui pourtant s’estime « pas plus con qu’un autre, voire moins », a une règle simple : 
    Ce qu’il ne déchiffre pas du premier regard ne saurait être de l’art.
    .
    C’est commode et ça fait de jolis articles sur Agoravox.
    (Que l’on comprend facilement.)
    .
    Est-ce de l’art pour autant ??? smiley

  • Antoine Diederick 26 mai 2011 20:26

    Bonsoir Paul Villach,

    « Vous avez vu la logorrhée du »commissaire« de l’exposition »

    Vous illustrez parfaitement le propos que j’ai tenu sur Avox il y a peu.

    Cette « logorrhée » est caractéristique des présentations des oeuvres d’art contemporain....un pseudo discours savant qui sert de justification, une pédanterie...


    • Antoine Diederick 26 mai 2011 20:29

      un comble :

      "Un propos sur l’imaginaire puisque si une grande partie des évènements que nos sens recevront sont produits par la matière, une certaine irréalité, une disposition à la fiction, montre, comme dit le souhaiter l’artiste, que l’objet, par ses connotations ou grâce aux effets psychiques de son apparence, dépasse sa matérialité. "

      Toute oeuvre d’art est un propos sur un imaginaire etc....

      Ou l’art d’enfoncer des portes ouvertes.....sur l’art....et sur la sensibilité....


    • Antoine Diederick 26 mai 2011 20:33

      bref, quand la critique radote.....


    • Antoine Diederick 26 mai 2011 20:36

      en conséquence, je suis donc d’accord avec vous Paul....


  • Antoine Diederick 26 mai 2011 20:57

    C’est comique...

    "....puisque si une grande partie des évènements que nos sens recevront sont produits par la matière ....." ,

    Ah, tiens qui l’eut cru ... !

    une certaine irréalité, une disposition à la fiction, montre, comme dit le souhaiter l’artiste, que l’objet, par ses connotations ou grâce aux effets psychiques de son apparence, dépasse sa matérialité. "

    Non, incroyable .... !


  • Chem ASSAYAG Chem ASSAYAG 27 mai 2011 11:20


    Vous n’avez pas aimé et c’est votre droit mais il me semble que vous êtes totalement passé à côté du sujet - les très nombreux commentaires positifs des visiteurs qu"on pouvait entendre en déambulant dans et à côté de l’oeuvre montraient au contraire un réel enthousiasme pour l’installation de Kapoor, dont la simple expérience physique (taille, couleur, matière) constituait déjà un sujet d’intérêt.


  • Antoine Diederick 27 mai 2011 13:55

    Ici, un lien pour une remarque connexe de ma part

    La video est intéressante pour son contenu. Elle illustre l’utilité d’un discours officiel autour de l’art (les mots : mondialisation, identité....etc tous ce mots qui sont fort utilisés pour l’instant) et autour d’un art quasi officiel....

    A quoi peut bien servir ce type d’exposition ?


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