mardi 11 décembre 2012 - par Fabienm

Comme un besoin d’air pur

J’ai traîné cette idée bizarre toute la semaine : aller voir ailleurs… pas si j’y suis, juste aller voir ailleurs.

Et puis cette phrase croisée sur un mur noirci de tags… pourquoi me suis-je arrêté ?

Un jour mon instinct m’a murmuré

Lui que je ne savais plus écouter

Mille choses aux saveurs passées

Comme le repas d’un condamné.

J’aurais dû laisser la tristesse m’envahir

J’ai décidé de me laisser partir.

Le départ

Alors voilà… ce matin, j’aurais dû prendre un métro, ou plutôt essayer en étant un peu plus grossier et sauvage que mes congénères. J’aurais pu attraper mon « 20 minutes », pré-plier celui-ci afin de ne pas avoir à le faire dans les 2 cm2 que mes voisins de galère auraient laissé à ma pauvre disposition ; j’aurais, sans doute, fermé mon manteau, afin de ne pas offrir à la vue des pickpockets quelque incitation à la fauche, et surtout je me serais mentalement déconnecté afin de supporter les effluves matinales et les sales gueules des parisiens de base (mais existe-t-il un autre modèle ? Y-aurait-il une version gold, sourire inclus et déo en prime ? En tout cas, moi j’ai droit au standard tous les jours, celui qui ne dit pas « bonjour » et tire une tronche que même un condamné à mort n’oserait pas arborer à son dernier repas (faut dire qu’il a quand même commandé un tournedos saignant le coquin)).

Hé ben ce matin, non. J’ai craqué. Pris un billet de TGV. Direction le sud. N’importe où en fait.

Comme un besoin d’air pur, une vague mélodie lancinante dans la tête.

Pour quoi faire ?

Prendre l’air comme je disais, regarder le ciel qu’aucun nuage ne vient perturber dans sa certitude azurée, marcher sur des sentiers à peine tracés, entendre quelques pierres dérangées dans leur immobilité fragile, monter en haut de cette colline, se perdre peut-être, pour revenir avec un taux d’hématocrite digne de Virenque quand son plein gré lui faisait des misères.

Croiser une rivière avec une vraie couleur d’eau (pas ce truc vaguement merdeux et qui pue, où on a plus de chance de croiser une arme à feu ou une carcasse de bagnole qu’une truite fringante et bonne à poêler), avaler de l’air non vicié par de quelconques gaz échappés d’on ne sait où (le genre d’air qui donne l’impression à tes poumons d’exister), rencontrer des gens qui disent « hello » (euh… on se connaît ?). Bref, exister autrement que par notre vie professionnelle ou nos projets d’existence à remplir de pleins d’évènements sociaux pas culturels en tout genre. Comme un grand bol de pleins de trucs purs.

Comment déstabiliser un parisien ?

Tel un pigeon que l'on guérirait subitement de son saturnisme, plongé dans l'air pur, le parisien est comme privé de son irrépressible envie de tourner en rond, il devient sans direction.
Sans retard à rattraper et autre cours de bourse à surveiller, il n'est plus très sûr de ce que l'on attend de lui. Alors, il attend tranquille.

Il se met à observer la nature, peut-être même écouter le gazouillis des oiseaux qui vaut bien le blabla de tweeter ou de son compte Facebook.

Il est, en effet, amusant de constater que tout parisien – inutile de nier plus longtemps que j’en fais partie – extrait de son environnement habituel devient pratiquement normal (si ce n’est une vague propension à se plaindre du manque de réseau, et sa recherche frénétique du parcmètre dès lors qu’il a trouvé une place (« euh… Jean-Fab’, c’est gratuit ici » ; « gratuit ? qu’est-ce que tu entends par là ? »), phénomène si rare pour lui qu’il hurle alors en faisant sa danse de la place de parking autour de son carrosse, tel un iroquois à l’approche du scalp. Tout juste est-il légèrement dérangeant dans sa capacité quasi surnaturelle à poser des questions stupides (« y’a pas de boulangerie dans ton bled ? » ; « c’est où la Fnac la plus proche ? »).

Ainsi, le parisien, habituellement stressé à l’idée de rater un métro / se faire refuser une priorité en voiture / ne pas avoir de baguette au moment de la fermeture de la boulangerie, se fait une joie de se lever au chant des oiseaux, de se refaire un café parce que le premier était devenu froid (perdu que le parisien était dans son absence de pensées, il aura laissé passer le créneau de la température adéquate), ou même de flâner dans les rues en ne pensant à RIEN (on notera qu’il a même oublié son portable, sinon comme il n’a rien à faire, il le regarderait comme un con toutes les 2 minutes en maudissant le réseau du Vaucluse et en se demandant pourquoi Vanessa ne lui répond pas (la réponse étant sans doute qu’avec ses 3 grammes de coke de la veille au soir sniffés avec pas assez de copines, hé ben à cette heure-là, elle pionce, elle, errant entre nulle part et pas beaucoup plus loin)).

Tellement peu habitué à l'absence de mouvement sonore, il dort lui-même jusqu’à 11 heures, et semble tout étonné que le soleil soit déjà levé (l'ami Ricoré n'est sans doute pas loin avec ses pains et ses croissants (ha non merde y’a pas de boulangerie ici)).

Finalement, le parisien se demanderait-il de quoi aurait été fait son week-end ? Je veux dire : de quoi d’utile ? Vaguement de la même chose que les week-ends du provincial se serait-il imaginé (mis à part qu’il a accès à des trucs où il ne va jamais comme les cinémas d’art et essai, à l’opéra, aux concerts, au théâtre, bref à des trucs qui lui font dire « la semaine prochaine, je me bouge le fion ! » (le parisien est très grossier))… à part que… à part qu’en le faisant plus vite, il en modifie la substance même… en essayant de rattraper son retard sur ses partenaires de frénésie, en perpétuant le mouvement hypnotique, il rend sa vie mimétique et un peu plus grotesque chaque jour.

Et finalement…

Le parisien n’est-il pas finalement le simple produit de son environnement. Savoir qu’il ne peut rien à son stress et à sa condition ne le rend pas beaucoup plus sympathique, il fait juste un peu plus pitié.

Trader, dragueur nocturne, cadre commercial à la Défense, bômeur ou même jet setter, le point commun de tous ces parisiens que l’on voudrait typique est l’adrénaline. Enlevez lui cette drogue de la course permanente à l’accès aux choses, et le parisien devient presque un homme comme les autres (disons qu’il fait illusion, car il reste malgré tout un gros con prétentieux et arrogant). Osons même le dire : son exotisme de pacotille le rend presque sympathique (« ohhhh, c’est quoi ? » ; « c’est une vache Jean-Fab’… c’est ça qui donne le lait »).

Le parisien est le maillon faible du grand cycle naturel : donnez-lui du grain et il devient poulet. Ce mouton de la chaîne moderne de la vie ne vaut que par ce qui lui manque. Si vous lui montrez un peu de vraie vie, il n’est pas encore assez con pour ne pas vouloir en profiter.

Si ce petit village du Vaucluse avait eu une Fnac, un Starbucks et une boulangerie, inutile de dire que le parisien se serait senti quasiment chez lui.

Le retour… un jour.

Tout cela semble si loin désormais.

Je regarde le métro s’arrêter devant moi, les portes dégueulant des grappes de cadres en costard, et je me dis que ça m’a fait du bien quand même.

Qu’est-ce qui me manque finalement ? La caresse du vent dans mes cheveux, le bruit de la nature sans aucun autre éclat que celui de sa beauté, une rivière à la couleur naturelle et l’envie de me plonger dedans ? Et c’est pour ça que j’en fais tout un foin (haaaa… le foin) ?

Ou peut-être est-ce elle ?

Tiens mon métro.

Je vais attendre le prochain je crois.

D’ailleurs… pourquoi ne pas acheter un pied-à-terre lointain, afin de revenir régulièrement à la surface, respirer de la vraie vie ? Une résidence secondaire ?...

Quel con… voilà que je deviens encore plus parisien qu’un parisien…

Bon il est clair qu’il faut que je reparte. Je suis manifestement pas encore guéri.

Ce matin, finalement, je vais laisser passer quelques rames.

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