Comprendre l’ascension de l’Europe face au monde de l’islam et du reste du monde. Une Europe qui s’africanise à l’horizon 2070-2080 ?
Le plus étonnant, dans l’évolution de l’humanité, c’est que malgré sa complexité dans les trames des événements passés qui font d’ailleurs, il faut le dire, malgré les crises et les guerres passées, sa richesse passée, c’est qu’elle doit toujours aller de l’avant. Et c’est surtout de l’Europe, à partir de la Renaissance, il faut le rappeler, que vont surgir les idées qui changeront la face du monde. Dans l’espace de son évolution, déroulées à travers son histoire, les strates passées qui se succèdent verticalement et horizontalement, toujours visant un sommet, toujours vers plus d’espaces géographiques, toujours vers plus d’espace dans la pensée sans que l’Europe en ait conscience, « le monde va en se retreignant de plus en plus mais se développant et se dévoilant néanmoins ». Et c’est cela qui est incroyable, l’Europe menant le monde mais aussi menée par le monde ; avec le recul, son histoire et l’histoire du monde se lisent presque à livre ouvert.
Des philosophes, hommes de lettre, des savants, en Europe, impulseront un mouvement des idées sans égal dans l’histoire. Au point qu’ils annonceront sans le savoir la mort de la philosophie. La philosophie n’aura plus ou peu d’impact sur l’homme dès le XXe siècle. Mais est-elle morte la philosophie ? Des penseurs et savants du XVIIIe, du XIXe siècle et avant, ont révolutionné l’histoire et la science. De Descartes, Pascal, Newton, Rousseau, Kant, Hegel… Louis blanc, Owen Proudhon, Marx, Bakounine, Nietzsche… à Pasteur et Einstein vont, par une pensée à la fois « pure et pratique », théoriser la condition humaine ; d’autres, montrer le nouveau chemin du monde.
Ce qui est étonnant, c’est l’Europe qui va bénéficier, au départ, des innovations scientifiques, créant de véritables révolutions scientifiques dans les domaines les plus importants du développement de l’humanité ; elles concerneront l’agriculture, l’industrie, de même les idées politiques et sociales qui l’élèveront sur un piédestal, l’érigeront en « centre du monde ». Pourquoi l’Europe ? Et non les autres régions, la Chine, l’Inde, le monde musulman, qui ont des civilisations millénaires ; pourtant celles-ci furent longtemps dominées depuis que l’Europe s’est lancée à la découverte du Nouveau Monde.
Pour le monde musulman, après des siècles d’essor, il a commencé à décliner ; les historiens situent le déclin à partir du XIIIe siècle. Est-ce que réellement le monde de l’islam a décliné ? L’histoire rapporte qu’à partir du deuxième millénaire, et durant cinq siècles, le monde musulman a été ravagé par des invasions chrétiennes (croisades) et asiatiques (seldjoukide, mongols, turques). Depuis l’« âge d’or » de l’empire des Abbasides, il n’a pas évolué ; de grandes régions d’islam furent maintenues à l’état féodal. À partir de 1800, il a subi la colonisation européenne. Est-ce pour autant que le monde musulman a décliné ?
Une précision sur le déclin musulman, la domination européenne, à cette époque, n’a pas touché que le monde musulman, l’Asie aussi fut dominée ; l’Inde en premier, la Chine a suivi, le Japon n’a échappé à la domination occidentale que par sa position insulaire et une politique accélérée de modernisation de son économie et de son système politique et sécuritaire. Et si nous partons de l’histoire universelle et postulons que le déclin du monde de l’Islam en fait n’est pas un déclin, comme ce qui s’est passé pour toutes les civilisations anciennes, et que l’évolution des peuples relève, tout compte fait, d’un cours naturel de l’histoire.
Qu’en réalité, le monde d’une manière générale n’a pas décliné et si l’Europe a pu s’élever par rapport aux autres régions du monde, c’est qu’elle a « bénéficié » essentiellement de conditions historiques propres qui lui ont permis de s’élever durant les cinq derniers siècles. Conditions qui étaient totalement différentes pour le reste du monde et lui ont permis d’évoluer et régner pratiquement sans partage sur le monde. Et l’histoire de la montée en puissance de l’Europe a commencé dès la première moitié du XVe siècle avec le début de découverte du Nouveau Monde. Et durant les trois siècles qui ont suivi, l’exploration de l’Amérique, de l’Afrique, d’abord par les côtes maritimes, s’est approfondie sur les terres intérieures et s’est terminée par la colonisation de grands territoires, tant dans les deux Amériques qu’en Afrique et en Asie.
Le XVIe et XVIIe siècle ont été une époque de découvertes du Nouveau Monde, mais une phase d’expansion de l’Europe sur le monde qui, bien que limitée, portait déjà en elle des frictions entre les puissances européennes pour le partage du monde ; s’ensuivit une succession de guerres interminables entre les puissances européennes jusqu’à la phase finale au XXe siècle, close avec les deux guerres mondiales.
Aussi une question se pose. Pourquoi le monde musulman n’a pas évolué à l’instar de l’Europe ? Le monde musulman n’ayant pas avancé a-t-il pour autant régressé ?
Sur le plan purement religieux, est-ce que la lettre de l’Islam a changé ? Au-delà des interprétations, l’islam n’est-il pas resté lui-même durant quatorze siècles ? A-t-il décliné ? Ne gagne-t-il pas des âmes, et encore aujourd’hui, au XXIe siècle ? L’Islam est une religion révélée comme les religions venues avant lui, le Judaïsme et le Christianisme ; celles-ci sont citées dans la lettre de l’Islam. Qu’a-t-il avoir l’islam dans la stagnation ou le déclin des Musulmans ? Comme toute religion, il ne montre que la voie droite à suivre.
Comment expliquer qu’il y a, aujourd’hui, plus d’un milliard et demi de Musulmans dans le monde qui tiennent absolument à leur religion ? Comme les peuples d’Europe au Christianisme, les Juifs au Judaïsme, les Hindous au brahmanisme, les Chinois au bouddhisme (ou à défaut à l’idéologie communiste).
Si on part du postulat qu’il y a eu déclin du monde de l'islam, pourquoi alors l’Europe a « avancé » sur tous les plans au point de dominer non seulement le monde de l'islam mais l’ensemble du monde ? Il y a certainement des causes concrètes. On ne peut accepter qu’il y a des peuples surdoués et des peuples sous doués comme l’a tant vanté l’écrivain britannique Rudyard Kipling dans son poème « Le fardeau de l’homme blanc » (The White Man’s Burden).
L’histoire d’un peuple ou d’une civilisation, peut être comparée à l’histoire d’un homme. Et l’homme à travers son œuvre dans le monde. « L’Homme naît, grandit, vit, œuvre puis décline et meurt ». Un processus humain en somme naturel. Mais si l’homme meurt, il se reconstitue, en laissant une descendance, et cette descendance augmente, et forme des groupements humains, des peuples, puis des nations. Ainsi s’est constituée l’humanité, et au sein de laquelle l’histoire des peuples et des nations. Précisément, l’Europe comme d’ailleurs les autres régions du monde ont subi ce processus. Sauf que l’Europe, après l’arrivée de l’Islam sur ses terres, s’est mise sur la défensive dans un premier temps, puis a commencé, après s’être reconstituée, à « grandir » et à « sortir » de ses frontières, tel cet homme dont la descendance a grandi.
Le début d’expansion de l’Europe sur le monde de l'islam a commencé à la fin du XIe siècle, en 1095, à la demande du pape d’Urbain II. Des croisades qui ont duré plus de deux siècles ; on fait état de huit croisades, probablement il y a eu plus. Et ces croisades n’ont été rendues possibles que par une « expansion démographique » qui a commandé ces croisades. Sans la poussée démographique en Europe, les croisades n’auraient pas été possibles, ni le mouvement ultérieur qu’a été la colonisation des Amériques et du reste du monde.
Toujours sur le plan démographique qui a été unique dans le monde, un autre élément a joué, la religion chrétienne. L’Europe, il faut le souligner, était une mosaïque de peuples ; bien qu’ils aient une même religion, les peuples européens ne parlaient pas la même langue. Dans un espace aussi restreint, une formidable diversité ethnique, qui ne figure dans aucune région du monde, dénote, malgré les antagonismes, un avantage pour l’Europe. Et celui-ci a joué dans une organisation politique, économique et sociale poussée en Europe.
Une poussée démographique dans une Europe au territoire exigüe était confrontée au problème de subsistance ; le blé, par exemple, était distribué aux peuples selon un prix établi par le Trésor du roi. Une donnée essentielle pour l’existence des souverains et des peuples d’Europe sur le plan de la stabilité politique et sociale compte tenu des famines auxquelles étaient confrontés les peuples d’Europe. Qui détient le blé en Europe commande aux peuples d’Europe ; cette organisation économique centralisée par les monarchies européennes existait peu dans le monde musulman dont les territoires étaient immenses et sans frontières véritablement définies. Le monde musulman était plus une Oumma plus unifiée que diversifiée dont le socle était l’Islam.
Enfin, deux autres éléments ont joué dans la propulsion de l’Europe de s’ériger en maître du monde, ce sont le climat froid de l’Europe et les guerres continuelles entre souverains européens dont l’ambition était d’agrandir leurs fiefs, en rapport avec l’évolution croissante de leurs populations. Et les souverains d’Europe avaient entre eux des liens de parenté ; on peut comprendre les animosités familiales qui surgissaient entre eux ; ambitions, sentiments de jalousie, etc., bref toutes sortes de menaces du fait de leurs pouvoirs royaux ; il n’y avait pas d’entente entre eux, et des guerres qui éclataient alors que leurs peuples croulaient dans la misère (servage des paysans), provoquant souvent des disettes (famines), jacqueries et émeutes.
Ces situations qui perdurent expliquent pourquoi les guerres continuelles qui ne cessaient pas sont liées aux relations conflictuelles entre les souverains d’Europe, à l’exiguïté de leurs territoires respectifs, et son leur éclatement en comtés, duchés, et royaumes, ce qui avait des conséquences souvent graves sur la situation politique, économique et militaire de ces États. Cependant ce sont les grands royaumes européens qui ont eu la primeur dans tous les conflits et guerre en Europe. Pour le seul XVIIIe siècle, les historiens recensent 80 guerres, entre conflits d'intérêts, conflits coloniaux, conflits dynastiques. On peut citer des guerres de succession en Espagne (1701-1713), en Pologne (1733-1738), en Autriche (1740-1748), et la guerre de Sept Ans (1756-1763), qui fut la première guerre véritablement mondiale, et qui a touché plusieurs continents (Europe, Inde et Amérique. Des guerres qui ont mis l’Europe à feu et à sang.
Ce qui n’était pas le cas pour le monde de l'islam qui avait une évolution démographique très faible en regard des territoires immenses qu’il peuplait, nécessitant moins de subsistances contrairement aux peuples européens confrontés à l’exiguïté des espaces géographiques, à l’augmentation démographique et à un climat plus froid. L’unité religieuse et linguistique qui prévalait dans le monde de l'islam dont les territoires étaient immenses et une bonne partie de leurs populations était nomade ont joué aussi dans cette évolution plutôt pacifique que l’état de guerre continuel en Europe.
Toutes les caractéristiques historiques et aussi géographiques qui ont joué dans l’expansion de l’Europe n’existaient pas dans le monde de l'islam. Ce qui explique les assauts des pays d’Europe pendant « neuf siècles » sur le monde de l'islam, qui n’ont été interrompus que par la Mort noire (peste bubonique) qui a décimé, écrivent les historiens occidentaux, un tiers de la population européenne au XIVe siècle et l’irruption de l’Empire Ottoman qui a joué un « rôle tampon » entre l’Europe et les pays arabo-musulmans durant quatre siècles.
A partir de 1800, la situation se retourna. L’Empire Ottoman commença à s’effriter, le rôle tampon s’amenuisait. La colonisation de l’Inde et une partie de l’Asie par l’Europe était déjà achevée pour l’essentiel en 1820. Le monde arabo-musulman et chinois était désormais dans la ligne de mire de l’Europe. La domination européenne qui suivit marqua un tournant dans l’histoire de l’humanité ; l’Europe était à son apogée.
Pour avoir une vision comparée, plus mesurée de l’évolution du monde et de l’Europe, il est évident qu’il faut faire appel aux données chiffrées qui permettront d’avoir concrètement une idée réelle sur l’évolution démographique de l’humanité, et au travers de laquelle comprendre les causes de l’affirmation de l’Europe sur le monde.
Selon les données de l’ONU, la population européenne (avec la Russie) est estimée en 1300 à 86 millions d’habitants ; après la Peste noire, elle est estimée en 1400 à 65 millions d’habitants. Cette hémorragie de morts en Europe par la peste bubonique a eu pour conséquence, on doit le comprendre, la « fin des croisades » qui ont duré plus de deux siècles. On peut penser que, sans la peste noire, probablement d’autres croisades auraient été organisées, et toujours à la recherche de dividendes territoriaux sous le couvert de la religion « délivrer les Lieux saints qu'occupaient les musulmans ».
En 1500, la population européenne est passée à 84 millions d’habitants ; en 1700, elle passe à 125 millions d’habitants ; en 1800, à 195 millions d’habitants ; en 1900 à 422 millions d’habitants.
Et pour ne donner que l’évolution démographique de l’Afrique du Nord qui groupe cinq pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Lybie et Egypte), la population est estimée en 1300 à 9 millions d’habitants ; en 1400 à 8 millions d’habitants ; respectivement en 1500, 1700, 1800, 1900, l’Afrique du Nord comptait 8 millions, 9 millions, 9 millions (n’a pas évolué) et 23 millions d’habitants.
Comparativement à la population en Europe, la population en Afrique du Nord était extrêmement faible pour un immense territoire d’environ 5,7 millions de km2, qui n’a pratiquement pas augmenté, pendant trois siècles ; alors que la superficie de l’Europe était de 4,2 millions de km2, la population européenne comptait plus de 20 fois la population de l’Afrique du Nord, en 1800 et 1900.
Sur le plan démographique, l’Europe était donc prépondérante. La France, par exemple, en 1801, année du premier recensement, avec 28 millions d’habitants, était classée « quatrième puissance démographique mondiale », après la Chine (330 millions d’hab., l’Inde (120 millions d’hab.) et le Japon (30 millions d’hab.). Le facteur démographique a donc été prépondérant dans l’expansion de l’Europe et du Japon sur le reste du monde.
D’ailleurs ces chiffres ne manquent pas de montrer des disparités manifestes en termes de répartition des populations entre les différentes régions du monde. La France, par exemple, a une pression démographique de 50 habitants au km2 en 1801. Le Royaume-Uni qui comptait, à cette date, 11,9 millions d’habitants, a une pression démographique de 49 habitants au km2. A la même date, la Chine (avec la Corée) et l’Inde (avec le Pakistan et le Bangladesh) avait, en 1800, une pression démographique respectivement de 33 et 44,7 habitants au km2, donc inférieure à celle de la France et du Royaume-Uni.
Quant aux cinq pays d’Afrique du Nord, la superficie des cinq pays étant de 5 millions 752 891 km2, la pression démographique était incroyablement basse (presque négligeable) 1,56 habitant au km2, moins de deux habitants au km2. Ne prenant qu’un tiers de la superficie totale de l’Afrique du Nord, le reste étant des contrées désertiques (Sahara), la pression démographique des cinq pays n’était que de 4,69 habitants au km2.
Si on regarde l’évolution démographique des cinq pays d’Afrique du Nord, en 1300, 1400, 1500, 1700 et 1800, on constate que la population globale de 9 millions d’habitants n’a pratiquement pas changé durant cinq siècles. En prenant en compte les proportions du nombre d’habitants que ces pays ont aujourd’hui, on obtiendrait, en 1800, respectivement pour chacun d’eux, les nombres approximatifs d’habitants suivants : 3,25 millions pour l’Egypte, 2,25 millions pour l’Algérie, 2,25 millions pour le Maroc, 450 000 pour la Lybie et 800 000 pour la Tunisie.
L’Algérie, au début de la colonisation française, comptait environ 3 millions d’habitants ; les décennies qui ont suivi, sa population a même baissé suite aux conséquences de la guerre qu’a menée la France contre le peuple algérien pour sa soumission ; à la deuxième moitié du XIXe siècle, l’Algérie comptait environ 2,5 millions d’habitants.
Il faut aussi souligner que l’espérance de vie à la naissance, durant ces siècles, était très basse, de l’ordre de 25 à 30 ans, pour l’ensemble des pays du monde. Evidemment, ces chiffres ne sont que des extrapolations occidentales puisqu’il n’y avait pas de recensement dans les temps passés. Il faut attendre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle pour que ces données commencent à se constituer en Europe, puis s’étendent aux autres régions du monde.
En 1900, la population de l’Afrique du Nord a commencé à augmenter et « paradoxalement avec la colonisation » ; elle compta « 23 millions d’habitants » et la pression démographique sur la surface non désertique (1/3) passa, à cette date, à 12,3 habitants au km2. Une pression encore très faible, sans comparaison avec la pression démographique de la France qui était à la même date de 72,5 habitants au km2.
Doit-on penser que « la colonisation a été un mal nécessaire » ? Puisque les deux grands pays de la planète sont passés de 1800 à 1900, respectivement pour la Chine de 330 à 415 millions d’habitants, et pour l’Inde de 190 à 290 millions d’habitants. En 2000, ces deux pays ont respectivement 1273 et 1320 milliards d’habitants. Les cinq pays d’Afrique du Nord, en 2000, passent à 143 millions d’habitants avec une pression démographique dans les territoires non désertiques de 76, 6 habitants au km2 environ. Ce taux comparé à la pression démographique de la France (Population de 58,796 millions en 2000) qui est de 106,6 habitants au km2 montre que les pays d’Afrique du Nord ont évolué très positivement depuis leurs indépendances ; l’écart démographique avec la France a très fortement diminué, sans comparaison avec les siècles passés.
D’autre part, l’espérance de vie à la naissance a beaucoup augmenté, elle se situe aujourd’hui entre 70 et 80 ans ; cette espérance de vie touche globalement une grande partie des pays du reste du monde. Aussi force de souligner que ces progrès relèvent des formidables avancées de la médecine, dans le travail que ce soit dans la vie urbaine ou rurale, dans l’organisation politique, économique et sociale qui a beaucoup évolué à travers le monde, et du confort inhérent à ce progrès naturel auquel est arrivé pratiquement l’humanité entière ; bien sûr des exceptions existent pour des pays, surtout en Afrique, qui n’ont pas pu décoller économiquement, et ce par des contraintes géographiques et économiques, et les faibles ressource du sol.
Cela étant, il demeure que l’Europe, avant la colonisation de l’Afrique du Nord, du Proche-Orient et de l’Asie, avait la plus grande pression démographique dans le monde. L’Europe, qui était un territoire restreint et n’assurait pas les subsistances nécessaires aux excès de populations sans rapport avec les autres régions du monde explique l’expansion coloniale.
De plus, la surpopulation en Europe n’était pas le seul facteur ; comme nous l’avons énoncé plus haut, l’absence d’homogénéité linguistique, religieuse et politique en Europe qui a provoqué, par des antagonismes, de nombreuses guerres entre les pays d’Europe, pour la plupart étaient des monarchies. Alors dans les grands ensembles indien, chinois et musulman, compte tenu de leurs systèmes politiques centralisés (Empire chinois, Empire moghol et califat ottoman), les conflits étaient moindres. Contrairement à l’Europe dont le pouvoir politique était disséminé entre les rois ; des souverains absolutistes de droit divin, souvent liés par le sang, maintenaient, par un jeu d’alliances qui se faisaient et se défaisaient, leurs autorités absolutistes sur leurs peuples ; l’Europe était dans une situation de guerre presque perpétuelle. Ainsi se comprend l’extrême agressivité de l’Europe qui a cherché à se tailler des empires sur le reste du monde.
Mais l’ambition coloniale nécessitait encore des moyens humains et matériels. Si les moyens humains ont été donnés par la forte pression démographique, les moyens matériels seront donnés à l’Europe par les révolutions agricole et industrielle qui contribueront à la fois à l’augmentation de la population européenne et aux progrès des armements. L’essor des armements qui ne se trouve nulle part que dans l’Europe permettra d’asseoir sa puissance militaire sur le monde.
Ces supports étaient essentiels pour l’Europe dans la conquête du monde. Sans les « progrès scientifiques qui ont donné les révolutions agricole et industrielle », sans la pression démographique, sans l’agressivité naturelle des systèmes politiques absolutistes des souverains européens et hérité ensuite par des systèmes plus libéraux mais maintenant toujours une mainmise sur le monde, l’Europe serait restée limitée à ses frontières ; il n’y aurait tout simplement pas d’expansion coloniale. Et le monde n’aurait pas évolué et serait probablement resté aujourd’hui à l’état du XVIIIe- XIXe siècle.
Alors se pose la question sur l’origine de ses progrès qui ont joué un rôle central dans les avancées de l’Europe sur le monde.
Et là nous entrons de plein pied dans la « métaphysique de la transformation du monde ». Il n’y a pas d’autres moyens de chercher ce qui a causé la révolution scientifique en Europe. Nous savons que l’Europe a beaucoup profité durant des siècles des progrès puisés dans le monde grec, musulman, chinois, et des autres civilisations passées. Donc les révolutions qui sont nées ne sont pas venues ex nihilo, mais ce qu’on peut remarquer, c’est que l’Europe a « merveilleusement » approfondi les sciences, a augmenté les connaissances de l’homme, la compréhension du monde et des phénomènes dans tous les domaines qui touchent à l’humain (industrie civile et militaire, médecine, urbanisme, philosophie, psychologie, etc.).
Au-delà de la colonisation et des horreurs indescriptibles qui ont suivi (esclavage, colonisation, génocides, épurations ethniques), les avancée scientifiques auront une portée majeure pour toute l’humanité au XXe et XXIe siècle. Les progrès scientifiques ont transformé le visage du monde, y compris le mode de penser de l’humanité. Et comme le montrent les avancées en particulier dans le domaine des nouvelles technologies (high-tech), la médecine, la recherche spatiale, l’humanité a lancé deux sondes sur Mars en 2021, par les États-Unis suivis trois mois après par la Chine, n’est-ce pas là un prodige pour « les humains que nous sommes » ? Qui, peut-être, vont coloniser après les continents les planètes proches de la Terre mais néanmoins lointaine et qui demandent plusieurs mois de voyage pour y accéder à des vitesses phénoménales d’environ 40 000 km à l’heure (11,2 km/s), une vitesse de libération nécessaire pour échapper à l’attraction gravitationnelle de la Terre ? » Tout est possible.
Comment cela est possible ? Comment cela aussi a été possible, au fil des siècles ? Pourquoi, au-delà de ces avancées, des armements extrêmement destructeurs issus des progrès scientifiques sont tombés aux mains des colonisateurs européens ? Et cela nous mène aux savants européens qui ont élargi le champ de la science, le champ de la connaissance. Aussi peut-on se poser la question : « pourquoi les grandes découvertes scientifiques et les techniques qui en ont issues se sont réalisées en Europe et non dans les pays du reste du monde (qui constituaient la majorité de l’humanité) ? »
Si ces avancées scientifiques avaient eu lieu un peu partout, en Europe, en Chine, en Inde et dans le monde musulman, une telle expansion n’aurait pas eu lieu. L’Europe se serait cantonnée à l’Amérique, à l'Australie, au Canada... et même ses acquisitions territoriales américaines et dans les autres régions du monde seraient disputées et partagées avec les autres puissances du monde.
Evidemment, une réponse à cette situation ne peut pas être « physique » dans le sens de la rationalité, mais « métaphysique » dans le sens du dépassement de la rationalité pour que la rationalité ait un sens. Et une réponse métaphysique, si elle respecte le processus de la raison, dans un certain sens, peut être aussi rationnelle et compréhensible que la raison qui se limite à l’ordre physique, à l’ordre concret, à l’ordre pratique. En clair, la métaphysique complète la physique. Elle est même la source de la physique, en tant qu’elle relève de la Pensée pure dont dépendent les hommes mais ne relèvent pas des hommes.
Précisément, les peuples d’Europe ont bénéficié de la « Pensée Pure » contrairement aux autres peuples ; qu’ils soient d’Amérique, d’Afrique et d’Asie, ils ne pouvaient rivaliser tant sur le plan démographique, géographique, économique, scientifique, militaire avec la petite Europe. En clair, la Pensée Pure qui gouverne le monde ou l’Esprit du monde affirmé par Hegel a jeté son dévolu sur l’Europe et permis son rayonnement sur le reste du monde. Se comprend alors, et on ne peut en disconvenir, le mouvement de son expansion sur le monde qui lui appartient certes mais surtout est dicté par l’« herméneutique causale des événements qui se sont réalisés durant les siècles passés », et se réalisent encore aujourd’hui, puisque l’Occident reste toujours dominant, même aujourd’hui.
Le monde a ainsi évolué ; et cela relève de l’Essence de la « Pensée Pure » qui gouverne le monde ; autrement dit de Dieu.
Accepterons-nous cette vision de l’évolution de l’Europe et de ce qui fut sa force pour dominer le monde ? Là est la question. Mais c’est aussi la question sur cette Raison divine qui domine le monde. « Notre proposition : la Raison gouverne et a gouverné le monde, peut donc s’énoncer sous une forme religieuse et signifier que la Providence. […] On entend souvent dire qu’il est présomptueux de vouloir connaître le plan de la Providence. C’est là une conséquence de l’opinion, devenue aujourd’hui un axiome, selon laquelle il est impossible de connaître Dieu. Lorsque la théologie elle-même en doute, il faut se réfugier dans la philosophie si l'on veut connaître et honorer Dieu en toutes choses et en premier lieu dans l’histoire. […] La nature occupe un rang inférieur à l’histoire La nature est l’existence inconsciente de l’Idée divine ; c’est seulement dans le domaine de l’Esprit que l’Idée se manifeste dans son propre élément et devient connaissable. Armés de ce concept de la Raison, nous devons aborder sans crainte n’importe quelle matière. » (Pages 60-62, la Raison dans l’Histoire, Hegel).
Cette proposition de Hegel montre simplement les possibilités qu’offre la pensée humaine. Nous existons par la Pensée, nous sommes en quelque sorte la « pensée pratique » de la Pensée pure qui est l’Essence qui fait avancer le monde. Aussi, en revenant à notre sujet, la domination du monde par l’Europe et la stagnation du reste du monde qu’il s’agisse du monde de l’islam ou des autres mondes, personne ne peut disconvenir que par les destructions qu’elle a opérées sur le monde et aussi sur elle-même – deux conflits mondiaux qui ont ravagé l’Europe et l’Asie – aujourd’hui elle subit un déclin naturel qui n’incombe pas à elle mais aux nouvelles forces, aux nouveaux changements de l’état du monde. Et même aujourd’hui, malgré son déclin naturel, l’Europe « ne continue-t-elle pas de marquer de son empreinte le monde ? »
De même, pour le monde de l'islam et des autres mondes subissent-ils aujourd’hui un déclin ? Ou commence-t-il à remonter la pente ? Un déclin, comme le cours de la vie d’un homme, n’appelle-t-il pas à un crépuscule d’une existence, et ensuite son extinction ? Ensuite une renaissance par une nouvelle génération. Comme ce fut pour les civilisations passées (sumérienne, babylonienne, égyptienne, athénienne, romaine…) qui ont vécu puis se sont éteintes. Et même éteintes, elles existent encore dans la Mémoire de la civilisation universelle de l’humanité.
Est-ce que le monde de l'islam et les autres mondes comme l’Europe sont en déclin ? Ou, au contraire, ces mondes ne témoignent-ils pas d’une vitalité d’existence qui ne se voit peut-être pas mais est pressentie dans les remises en question des certitudes et de la volonté de changer leur destinée ? Et si ce déclin qu’on attribue non plus à la seule Europe mais à l’Occident entier, intégrant les États-Unis, depuis au moins un demi-siècle, aujourd’hui face à la Chine, à la Russie, au monde de l’islam, n’entre-il pas dans un processus causal, logique, naturel en cours de fin d’une ère.
Donc l’effervescence politique, géopolitique et guerrière qui se joue en leur sein tant pour l’Europe que l’Occident tout entier, que pour les autres mondes, il reste que celle-ci est un passage obligé mais aussi un moyen agissant pour un dépassement. Aussi peut-on dire que déclin de l’Europe et stagnation (retard dans le développement) pour le reste du monde, du moins pour ceux qui n’ont pas beaucoup avancé et il concerne en particulier les pays d’Afrique et du monde de l’islam qui sont pourvus de ressources naturelles mais sont très en retard par rapport aux autres nations doit être « relativisé ».
Dans le sens factuel que ni l’Europe n’a cherché la puissance et ensuite le déclin ni les pays du reste du monde n’ont cherché à leur tour la puissance. Le monde est ainsi constitué ; aucun peuple n’a choisi sa destinée. L’Europe a dominé le monde ; elle a apporté ce dont avait besoin la marche du monde ; de même le reste du monde comme le monde de l’islam a lui aussi cherché sa place dans la marche de l’histoire. L’idée de domination, de déclin et de stagnation est une situation qui vient après une expansion, une situation tout à fait naturelle comme l’atteste l’histoire des civilisations passées.
Aussi toute analyse, tout jugement sur l’évolution des peuples ne doivent pas faire l’impasse sur le cours naturel de l’Histoire. En réalité, tout est lié aux facteurs intrinsèques des nations telles la démographie, la géographie, la religion, l’économie, l’organisation politique, économique et sociale qui sont différentes pour chaque peuple, et qui paradoxalement font l’identité de chaque peuple.
Si les peuples sont différents, et des races différentes (blanche, noire, jaune…), c’est parce que c’est voulu dans les gènes même qui font l’humanité. Ce sont ces facteurs internes et externes aux humains qui font la trame de la « marche, de la dynamique de l’Histoire ». Ne prenant qu’un exemple, pourquoi les Chinois sont renommés pour leur travail sur tous les plans, ou les Japonais avant eux ? Ou les Allemands considérés comme les plus travailleurs en Europe. Alors qu’il en va autrement pur l’Europe du Sud, ou pour les peuples d’Afrique. Relèvent-ils de leurs tempéraments humains, de leurs comportements propres à chaque peuple ? Comme de leur climat, de leur position géographique, de leurs démographies, de leurs ressources et richesses de leurs sols, et évidemment du cours de leur histoire ? Il est clair que toutes ces différences jouent pour chaque peuple mais travaillent aussi à une humanité qui est une, seule espèce vivante pensante sur terre.
Sur un autre plan, à voir l’Occident aujourd’hui, face aux flux migratoires d’Afrique, une situation qui relève aussi des forces de l’histoire, et donc de la Pensée pure qui régit le monde. Pour avoir une idée de la situation du monde d’aujourd’hui, prenons l’auteur Stephen Smith qui a fortement influencé le débat public en Europe, par son dernier ouvrage, paru en février 2018, au titre évocateur : « La ruée vers l'Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent ».
Sa principale thèse avance que le sous-développement économique de l'Afrique alimente les migrations massives vers l'Europe. Bien sûr, l’immigration africaine, bien que lente dans la durée, deviendra massive à terme (une immigration qui a commencé dans les années 1950) ; elle constitue une crainte légitime pour les Européens qui craignent pour leur existence, leur niveau de vie, leur bien-être ; ils se sentent envahis.
L’ouvrage suggère que les conditions sont désormais réunies sur le continent pour un accroissement significatif des flux du Sud au Nord : « l’Afrique émergente est sur le point de subir cet effet d’échelle : hier dépourvues des moyens pour émigrer, ses masses sur le seuil de la prospérité se mettent aujourd’hui en route vers le « paradis » européen ». (p. 149).
L’auteur écrit à la page 178 : « 150 millions [d’Africains] vont embarquer pour l’Europe d’ici à 2050 ». La première question qui se pose : est-ce la faute aux Africains d'émigrer ? C'est la situation politique et économique de leurs pays qui les poussent à quitter leur pays, c'est pratiquement une question de survie. Par conséquent, ces migrants africains ne font que suivre une voie, une lucarne qui leur est ouverte au péril même de leurs vies. Ces migrants qu'ils soient africains, sud-américains, asiatiques, moyen-orientaux vers les paradis proches de leurs sols, ne commandent pas leurs destinées. Ils font ce qui leur est donné, en quelque sorte l'espoir de vivre dans des terres nouvelles qui leur assureraient une certaine existence qu'ils pensent certainement meilleure que dans leurs pays d'origine.
Quant à Stephen Smith, il est évident que c’est une vision futuriste qui n’est pas dénuée de sens. A voir la dénatalité de la population blanche de souche dans la plupart des pays d’Europe, aux États-Unis, au Japon, bref dans tout l’occident, y compris en Russie, en Chine. Force de voir dans l’immigration africaine un « facteur démographique compensatoire ». Mais cela ne signifie pas qu’il y a colonisation ; on peut penser que dans trois ou quatre générations, il existera, précisément, par cette forte immigration, une possibilité d’union économique et politique de deux continents mitoyens que sont l’Afrique et l’Europe. En clair, « l’Europe finirait par progressivement s’africaniser » et c’est très possible, à l’horizon 2070-2080.
A voir seulement le président des États-Unis Barack Obama d’origine africaine diriger, pendant deux mandats, la première nation du monde ; et très probablement, la vice-présidente Kamala Harris, la première femme afro-américaine et asio-américaine (indo-américaine), devenir la première femme présidente des États-Unis, en janvier 2025, après les élections du 5 novembre.
Le monde change ; les mentalités évoluent ; tout est possible avec la mutation du monde en cours ; surtout qu'à l'horizon 2070-2080, le problème de la dépopulation sera réellement aggravant.
L’Europe n’a-t-elle pas apporté le savoir-faire scientifique et technologique à la Chine, comme le fait déjà la Chine avec l’Afrique. Le monde de l’islam et de l’Afrique apporterait les bras à l’Europe et la terre en tant que débouchés économiques pour l’Europe et surtout vivifieraient par un nouveau sang les peuples d’Europe en chute démographique (dépopulation et dénatalité). Il faut encore ajouter qu’avec ce mixage racial, rien n’empêcherait « avec l’africanisation, une poussée de l’islam en Europe. »
Les peuples d’Afrique ne demanderaient qu’à se développer, à vivre en Europe comme sur leurs terres, et rien d’autre, comme l’ont été les peuples d’Europe durant leur développement, comme l’a été aussi la Chine, et tous les pays qui se sont hissés au rang aujourd’hui de grandes puissances économiques. Aussi, il n’y a rien d’absurde d’émettre ce qui pourrait se prévaloir après une mutation historique des peuples si on prend en compte que les peuples et les pays ne sont pas devenus des puissances économiques par eux-mêmes mais l’ont été par des conjonctures historiques qui leur ont été favorables.
Comme l’ont montré les facteurs démographiques allant de pair avec les développements scientifiques et techniques qui ont permis à l’Europe de dominer le monde. Comme pour la Chine, le développement économique le doit à sa forte population, au changement de politique, au coût d’une main d’œuvre très compétitive et au formidable débouché qu’a été le marché chinois. Ce sont ces facteurs relevant de la marche de l’histoire qui ont favorisé des délocalisations massives d’une grande partie de l’industrie occidentale vers la Chine, une industrie qui n’avait plus de débouchés en Europe et dans le reste du monde car non compétitive dans le commerce mondial, sinon condamnée à fermer les portes de ses entreprises de production. Les délocalisations d’entreprises de production ont été de véritables sauvetages industriels pour l’Occident, sauf qu’ils ont boosté économiquement l’adversaire qui cherche à les supplanter ou, à défaut, à partager la puissance.
Et qui commande la marche de l’histoire ? N’est-ce pas la Pensée Pure dans un processus herméneutique causal naturel ; en clair « la cause est à la Pensée pure ce que l’action est au monde humain. » Et rien ne doit nous surprendre dans la marche du monde parce que c’est ainsi, toute l’humanité est dépendante « par ce elle-même qu’elle ne commande pas ».
Medjdoub Hamed
Chercheur