mardi 14 avril 2020 - par Nicolas Cavaliere

Contre l’ecmnésie (assez des mêmes histoires !)

Une suite de grognements contre la reprise brutale de « l’économie », alors même que le travail va progressivement reprendre.

De temps en temps on lit des propos surprenants dans la presse. Un dimanche matin par exemple. D'après le président du MEDEF, "il faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire" ; "c'est la création de richesses qui permettra d'augmenter l'assiette des impôts et donc les recettes, et ainsi de rembourser la dette accumulée pendant la crise". Récit étrange, tout de même. Déjà entendu, déjà lu.

Quelle dette ? La France a contracté une dette ? Auprès de qui ? Pour qui ? Pour quoi ? Les juteux bénéfices de nos supermarchés après l’explosion du nombre de paquets de pâtes vendues et l’entrée massive de TVA à 5,5% dans les caisses de l’État ne suffiraient pas à financer le fonctionnement normal de nos institutions en ce mois d’avril où les déclarations pour l’impôt sur le revenu de la glorieuse année 2019 (1,3% de croissance) seront ouvertes ? Mais où va tout cet argent ? Y en a pas assez pour tout le monde ?

Et moi qui croyais que le pays était juste à l’arrêt, et que les choses allaient juste reprendre après ce long week-end décrété par le gouvernement et que c’était tout. Qu’il n’y avait aucun problème.

Les restaurants vont rouvrir, les hôtels vont rouvrir, les usines qui restent vont rouvrir, les lieux de culte vont rouvrir, les écoles vont rouvrir, et voilà. Qu’est-ce qu’un ou deux mois d’interruption vont changer ? Rien n’a disparu, tout est encore là. On va pouvoir compter les clients de nouveau, les coupes de cheveux, les bananes, les pizzas, les salades, les frigidaires, les jolis scooters… et les billets de banque. Peut-être même que les hôpitaux vont rouvrir, et qu’ils recommenceront à soigner les gens. Peut-être que l’incendie à Tchernobyl va être maîtrisé. Peut-être que mon neveu va se mettre à marcher. Peut-être que les fleurs dans mon jardin vont pousser. Peut-être même que je vais me retrouver une petite amie. Tout va rouler. Les cartes bleues vont chauffer la journée, refroidir la nuit. Il y a des répétitions saines, ce sont celles qui permettent l’activité et le repos. Celles qui permettent la vie.

Il y a peut-être même des gens qui vont sortir de chez eux avec des projets nouveaux. Ils ne sortiront pas transformés, mais prêts à suivre des vocations qui se présenteront à eux comme des idées ou des opportunités et qui changeront les choses comme elles doivent l’être dans la nature, avec cette inertie du temps retrouvé, ce temps qui nous devance depuis notre naissance vers notre mort. Ils vont piocher dans leurs économies ou ils iront à la banque contracter des prêts, s’endetter d’eux-mêmes pour financer ce qu’ils veulent réaliser. Le travail sera fait, les créances seront réglées. Il y aura des jours pluvieux, il y aura des jours ensoleillés. Et voilà. Qui paye ses dettes s’enrichit, qu’on dit. Synchronisation des montres, et le tour est joué.

Je ne comprends pas du tout le point du président du MEDEF, qui s’empresse de tirer des conclusions sur une situation d’ensemble qu’il n’a pas été élu pour gérer. Et puis, de quel droit l’État s’endette-t-il en lieu et place des particuliers ? Quelque chose m’échappe, il va falloir qu’on m’explique. C’est quoi le projet derrière cette dette ? Aller vers l’infini et au-delà ? Aller vers l’infini et l’au-delà ? Cette dette, c’est pas de l’argent qu’on place devant mon nez, mais derrière mon cul, et ça ressemble pas à une carotte, mais à un bâton. Et il y a déjà assez d’armes à feu dans le monde. Donc on a déjà assez le feu au cul.

Allez demander aux Chinois s’ils veulent s’écraser les uns contre les autres alors qu’ils sont plus d’un milliard.

Autre chose qu’il dit aussi, il parle d’une crise ? Quelle crise ? Celle qui faisait que dans les années 70, personne n’avait de smartphone, cet appareil merveilleux dont personne ne sait se servir ? Que les gens n’avaient qu’une seule télévision chez eux, et que maintenant ils en ont trois ou quatre ? Qu’il y a plus de voitures sur les routes que de piétons dans les rues ? Celle qui permet aux supermarchés de vendre des fraises à longueur d’année même quand c’est pas la saison ? Celle qui fait pousser les immeubles et le goudron sur les champs de fraises ? Celle des cages d’escalier où les gens tristes ou blasés vont acheter des remèdes psychédéliques à leur vie sans couleur à d’autres très suspicieux et agressifs dont les poings et les dents sont sertis d’or ? Celle des clubs de golfs où des gens heureux ou blasés s’affrontent amicalement au sein de forêts paisibles ? Celle des cinémas où des films de plus en plus bruyants contentent les jeunes gens en rupture de sensations fortes dans un réel qui va toujours trop vite ? Je ne veux plus entendre parler de crise. Faut arrêter cette escroquerie de langage. Y a jamais eu moins de crise que sur ces soixante dernières années. S’il y en a une, elle est à l’intérieur, mais personne n’a la clé de toutes les portes.

Je ne veux pas travailler 60 heures par semaine et tailler dans mes précieux moments de contemplation pour rembourser cet argent sorti de nulle part ou qu’on a trouvé je ne sais trop où en pleine période de crise sans raison valable et sans demander son avis à qui que ce soit, ni à moi ni aux autres personnes qui occupent ce territoire qui s’appelle France, Europe, Terre, qu’importe. A ce compte-là, c’est pas le coronamachin que je vais attraper, mais une arthrose prématurée. Et comme n’importe quel animal, je veux faire de vieux os, et des os sains, et des os qui bougent.

Note pour plus tard : je n’ai pas pu m’empêcher de mettre un mot savant dans le titre de l’article. Il faudrait que je me discipline.



5 réactions


  • machin 14 avril 2020 11:41

    Toutes les économies sont basées sur une même valeur factice basée uniquement la planche à billet et le consensus à l’utiliser ou pas....

    Ou est donc le problème ?
    Tous les joueurs sont contaminés...
    Aucun joueur ne veut quitter la partie...


    Comme les enfants au Monopoly, une distribution gratuite de billets fera durer la partie un peu plus longtemps...

    .


    • Nicolas Cavaliere Luigi Cavaliere 14 avril 2020 12:28

      @machin

      Je veux bien jouer si on me donne 2 glaces au chocolat à chaque fois que je passe par la case départ. Ça se mange mieux que quelques billets de banque.

      Plus sérieusement, une fois que toutes les rues ont trouvé leur propriétaire, on abandonne le Monopoly et on se fait un Scrabble. Ou un Cluedo... ça ne s’appelle pas des jeux de société pour rien.


  • machin 14 avril 2020 13:06

    "on abandonne le Monopoly et on se fait un Scrabble. Ou un Cluedo... ça ne s’appelle pas des jeux de société pour rien.

    "


    Ce n’est pas le cas de tout le monde loin de là, hélas...

    Amasser, amasser, amasser...

    C’est atavique chez sapiens sapiens...


    • Nicolas Cavaliere Luigi Cavaliere 14 avril 2020 16:55

      @machin

      Oui, une vraie religion, l’argent. Ancienne, déjà contestée par d’autres prophètes, sans effet sur les hommes.

      J’ai passé beaucoup de temps à trouver un titre pour ce texte, alors que d’habitude, le titre vient avant tout le reste. Au final, je me dis que j’aurais dû l’intituler « La Société ouverte et ses ennemis », parce qu’au fond, ces dettes écrasantes et imposées sans discussion à l’ensemble de la population s’apparentent quelque peu à des moyens d’étouffer les individus, en les soumettant à des rythmes décidés par décret (ou dans le contexte actuel, par ordonnance et absence d’ordonnance). Aucun accord sur le temps libre, le temps ouvert, c’est la première condition pour qu’il n’y ait pas besoin d’accord sur son usage, pour le fermer à tout autre usage que celui voulu par le Prince. On est complètement à l’opposé de la pensée libérale d’après-guerre, et encore plus à l’opposé de la doctrine ultralibérale telle qu’elle se manifeste encore dans la publicité ou même le consumérisme. Une société basée sur la consommation ouvre des débouchés à des producteurs qui peuvent essayer de travailler d’une autre façon, d’une façon individuelle, en direction de clientèles diversifiées, alors qu’une société basée sur la production forme un nœud autour du cou de l’individu/travailleur et réduit ses fruits à du standard et à du franchisé. Il va être intéressant de voir quelles vont être les prochaines mesures gouvernementales pour (ou contre) la création d’entreprise.


  • machin 15 avril 2020 10:08

    "Il va être intéressant de voir quelles vont être les prochaines mesures gouvernementales pour (ou contre) la création d’entreprise.

    "


    C’est facilement prévisible et répétitif...

    Toujours les mêmes actions ou inactions. Rien n’a jamais changé, sauf les noms des mesurettes... Juste du cosmétique.


    Pour faire simple, le but de tous les guignols énarques, que j’ai vu passer n’a jamais été de créer des entreprises pérennes, mais plus prosaïquement de faire baisser non pas le chômage, mais juste le nombre d’inscrits au chômage.

    Juste de la statistique rien que de la statistique.


    Un créateur d’entreprise ne sera plus jamais inscrit au chômage sauf s’il redevient salarié... ce qui n’est pas gagné.

    Ils incitent n’importe quel clampin à devenir entrepreneur sans aucune formation. Certains ne parlent même pas le français, c’est un des cadeaux de l’Europe.

    Ainsi, dans le bâtiment, l’on voit arriver, année après année des cohortes de nouveaux entrepreneurs qui viennent tenter leurs chances. Ils arrivent, de très loin parfois, avec juste leur courage et sans aucune connaissance de leur domaine d’activité aussi large que très vague.

    Ils ne maitrisent pas plus les techniques que les coûts ou les cotisations sociales, que les sots et les profiteurs appellent « charges ».

    Ils viennent et repartent un an, deux plus tard, en dépôt de bilan ou faillite, après avoir massacré autant le travail que les prix...

    Résultats, les litiges s’accumulent, les assurances flambent, et des entreprises saines et compétentes se retrouvent face à une concurrence de prix déloyale.


    Prestations, salaires, investissements, tout est et sera tiré vers le bas.

    .


    En France, par exemple, il faut obligatoirement un C.A.P. pour avoir le droit de rater une coupe de cheveux, mais l’on peut, sans diplôme ou connaissances spécifiques, construire des ruines toutes neuves ...

    En fait, ils ne luttent pas contre le chômage, mais contre les chômeurs.


    C’est la marque de l’Ena et ce n’est surement pas en changeant stupidement le nom de l’élevage de tocards hors sol que cela s’améliorera.



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