lundi 10 février 2014 - par Pierre JC Allard

Culture : le défi de la transparence

Culture ? Il semble utile, même au figuré, de distinguer entre deux (2) acceptions du concept de culture. Une « culture » au sens large, que l’on pourrait assimiler à la somme de ce que l’on connait, résultat global de nos apprentissages… et une « culture » au sens plus restreint, désignant les éléments qu’on a choisi plus ou moins consciemment d’extraire de ce connu global pour les hiérarchiser, s’y identifier et en faire la signature de notre personnalité. La culture, comme discriminant, dans tous les sens du terme.

C'est de la culture en ce sens restreint que l'on veut parler, bien sûr, mais on ne peut la dissocier de son contexte global de « somme du connu », car ce qui modifie notre rapport à la culture comme identifiant procède justement de la tendance irrésistible qui transforme notre connu global, en y introduisant une nouvelle transparence qui est la conséquence inéluctable de l’essor des communications et dont l’Internet est le volet emblématique

Transparence totale, car les roseaux pour répéter que le roi Midas des oreilles d’âne sont maintenant partout et personne n’y échappera. TOUT SERA CONNU. Le phénomène est bien visible au palier des médias. Au mensonge pur, il faut désormais substituer la suggestio falsi des théologiens et, à la censure des barres noires ou des espaces vides, celle par des fables dont la crédibilité est précaire et qu’il faut sans cesse remplacer par de nouvelles, plus « intéressantes ». Le défi devient de capter l’attention… pour détourner de la vérité qui suinte de partout. Voyez ce qu’il advient de l’espionnage, désormais banalisé à en devenir une rigolade !

Dans les médias, de plus en plus, la nouvelle, la publicité, la propagande se confondent dans l’esprit des plus simples comme des plus retors et il ne leur en reste que la perception vague d’un magma de cancans et d’affabulations accueilli avec scepticisme. 

 
Même dans le domaine privé et celui des relations interpersonnelles, le mensonge devient une gageure risquée. On passe donc à la vérité… , avec résignation et désinvolture : il devient aujourd’hui plus habile d’avouer et de justifier que de mentir. Le cynisme remplace donc la traitrise. Il en sortira peu à peu une nouvelle moralité. Une nouvelle amoralité, consensuelle.
 
Impact sur la culture comme discriminant ? Fatal. Cette transparence qui permet de tous connaitre, fait d’abord disparaitre la barrière artificielle, devenue inefficace, de la discrétion et du secret. Toute connaissance devient accessible à tous, et tous les mots de passe et shibboleths qui permettaient l’exclusion élitiste du « cultive » sont divulgués. Diafoirus est démasqué. 
 
Evidemment, l’élite a une position de repli qui est de lacaniser les mots et d’ajouter des subordonnés aux phrases jusqu’à ce que l’on puisse raisonnablement penser que Foucault même ne s’y retrouverait plus, mais cette approche a une grave lacune. Que faire si l’invité au diner de con ne vient pas ?
 
Bien sûr, en étant suffisamment abstrus, on peut bloquer le message à la jointure où l’information devient compréhension. On peut alors tout dire, sans que le voile d’Isis ne perde son opacité qui protège la nudité des élites des regards curieux des sans-cultures.
 
 On peut tout révéler à qui ne comprend rien : le reste est affaire de degrés…. Mais le résultat est frustrant pour le « cultivé », car celui qu’on a laissé en friche, si on peut dire, n’accepte pas de ne pas comprendre d’aussi bon gré qu’il acceptait de ne pas connaitre. 
 
 Il ne se sent plus victime de sa propre insuffisance, qui pourrait être corrigée, mais d’une volonté de son interlocuteur d’en abuser qui elle ne peut pas l’être Sa réaction normale est de rompre ce contact qui n’est plus gratifiant, se désintéressant d’un discours devenu charabia… et privant le cultivé de l’admiration révérencielle que celui-ci recherchait. La culture de ce dernier lui devient alors totalement inutile.
 
Démocratisée, vulgarisée, la culture voulue non-utilitaire se recroqueville. Comme une grande mare qui s’assèche au soleil et devient une multitude de petites flaques distinctes où ne reste finalement dans chacune qu’un souvenir de l’eau. La culture comme discriminant est condamnée. 
 
D’autant plus surement, que la totale transparence qui la rend impossible a d’autre effets infiniment plus évidents pour la société actuelle. Quand toute connaissance est accessible à tous, qu’en est-il des droits d’auteurs ? Qu’advient-il des créateurs ? De leur reconnaissance et de leur rémunération ? De leur motivation… ?
 
Et ce n’est que la pointe du iceberg. Quand toute connaissance est accessible à tous et que vouloir en empêcher la diffusion est illusoire, qu’en est-il de la valeur des brevets ? Qu’advient-il de la recherche et des chercheurs, de leur reconnaissance, etc ? Quid du progrès de la connaissance qui est l’élan vital de la civilisation ? 
 
Nous en parlerons ailleurs. Pour l’instant ne parlons que culture ; mais soyons bien conscient que ce n’est qu’une facette d’une problématique plus vaste.
 
La culture comme discriminant n’a plus d’avenir, car comme discriminant sa valeur repose sur la rareté, alors que, communication aidant, elle est devenue potentiellement ABONDANTE. Surabondante, dans un monde où le loisir croît plus vite que l’imagination encore frileuse des héritiers de l’Age du Labeur ne permet d’en faire un usage optimal. 
 
La culture, toutefois, a un avenir - elle EST l’avenir - si on lui donne son vrai rôle de récompense, de dépassement, de plaisir du guerrier-producteur à qui l’abondance permet désormais le repos.
 
Il faut voir la culture comme un plaisir offert en surabondance. Comme tout ce qui est surabondant, elle peut et doit être gratuite. Une réflexion à engager que nous amorçons dans le Tome 5 – Education et Culture – de la collection Nouvelle Société
 
Pierre JC Allard

 



11 réactions


  • Vipère Vipère 10 février 2014 13:29

    Bonjour JC

    Il n’y a pas « la culture », mais des cultures plurielles.

    Un occidental ne survivrait pas une semaine au fin fond de l’Amazonie, contrairement à des tribus dont la culture dite« tribale » c’est à dire, une somme de savoirs et d’expériences transmises oralement, une culture différente mais plus adaptée à l’environnement et la nature, leur permet de vivre en harmonie dans la forêt, alors que la culture d’un occidental n’est d’aucune utilité pour sa survie.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 février 2014 17:13

      @ Vipere


       La culture que ’appelle « au sens large » revêt en effet bien des formes et l’environnemnet et autres facteurs les déterminent ; je suis d’accord avce vou : il yen a plusieurss. Comme je le précise, toutefois, je vise surtout dans ce bouquin l’evolution de ce qu’o appelle restrictivement « la culture » qui est essentiellement un dicriminant social et qui nous sert comme identifiant .

      PJCA

  • Francis, agnotologue JL 10 février 2014 13:47

    Bonjour PJCA,

    j’ai admiré la prose.

    Mais j’ai relevé ça : ’’Quand toute connaissance est accessible à tous, qu’en est-il des droits d’auteurs ? Qu’advient-il des créateurs ? De leur reconnaissance et de leur rémunération ? De leur motivation… ?’’

    Si vous ne confondez pas information et connaissance, culture et produits culturels, en revanche, votre phrase parait amalgamer tout ça.

    Vous enfoncez le clou puisque vous ajoutez : ’’ Quand toute connaissance est accessible à tous et que vouloir en empêcher la diffusion est illusoire, qu’en est-il de la valeur des brevets ? Qu’advient-il de la recherche et des chercheurs, de leur reconnaissance, etc ? Quid du progrès de la connaissance qui est l’élan vital de la civilisation ? ’’.

    Ici encore, confusion entre brevets et produits culturel.

    Sachez que la vocation des brevets c’est d’être publiés, et gratuitement. Que serait un système des brevet qu’il faudrait payer pour consulter ? Le deal, justement, c’est que la protection est accordée en échange de la publication. C’est pourquoi on ne peut pas mélanger les genres.

    Maintenant mon point de vue :

    -une invention relève davantage des connaissances à un instant donné de l’histoire que du génie de l’inventeur : souvent même, les inventions sont faites par plusieurs inventeurs, c’est le premier qui dépose le brevet qui rafle la mise. Ou plutôt, le plus souvent son employeur. Les actionnaires de Monsanto usent et abusent d’inventions qu’ils n’ont pas faites mais achetées : ce sont les chercheurs de l’entreprise qui ont inventé. Je trouverais juste que les inventions tombent dans le domaine public bien plus vite que ce qui se fait aujourd’hui (20 ans et plus pour certains types de brevets).

    En revanche, pour la propriété intellectuelle (musique, littérature, etc) les œuvres sont intimement liées à l’artiste et n’existeraient pas sans lui. Il me parait juste qu’elles soient protégées, et il convient de distinguer le droit d’auteur du Copyright. Une autre fois.



    • trevize trevize 10 février 2014 16:43

      Qu’il en soit conscient ou pas, l’artiste qui crée une oeuvre a été influencé par toutes les autres oeuvres (livres, musiques, films...) qu’il a rencontrées au cours de sa vie. Alors, chaque oeuvre n’est jamais 100% originale et est aussi le reflet d’une époque et de la vision du monde, les connaissances, de son créateur.
      Dans certains cas (pas toujours) l’oeuvre est aussi influencée par les technologies de l’époque : que serait jimi hendrix sans sa guitare électrique, fruit de la technologie de l’époque ? Tout son style repose sur l’utilisation de cet instrument ; son oeuvre a été en partie modelée par la technologie de l’époque.

      La distinction que vous faites entre brevet et créations artistiques, bien qu’elle existe, n’est d’après moi pas tellement marquante.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 février 2014 16:57

      @ JL


      Avant toute chose, le lien vers le livre même. Je crois que tous vos points sont repris et expliqués, ce qui est impossible sur une article de blogue. Voyez :


      Pour en dire ici ce qu’il est posible d’en résumer :

      Le lien entre droits d’auteurs et brevets - et je reparleri in extenso de ceux-ci dans le tome #6 ( à paraitre dans 3 semaines) de le collection NS - est qu’il est opportun qu’une information soit diffusée largement, et soit donc gratuite pour l’utilisateur. il faut donc que le coût de production/diffusion soit assumé par la collectivité. Le livre explique comment y parvenir.

      « Je trouverais juste que les inventions tombent dans le domaine public bien plus vite... » Je suis d’accord : je dis « IMMEDIATEMENT ».

      « Pour la propriété intellectuelle... Il me parait juste qu’elles (les oeuvres) soient protégées.. » Remunerées, indubitablement. Protégées ? Pourquoi ? Vous ne payez pas celui qui a fait le trottoir où vous marchez ! La collectivité s’en charge.

      PJCA




    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 10 février 2014 17:30

      @ Tous. 


       Voici le lien exact vers le livre en version intégrale


      Et, pour les curieux, l’accès à mes bouquins précédents smiley



    • Francis, agnotologue JL 10 février 2014 19:24

      @PJCA et Trevise,

      en effet, c’est un sujet complexe et qui ne être que survolé par le medium. C’est pourquoi, je vais essayer de faire court. Je ne reviens pas sur la distinction que j’ai évoquée dans mon premier post.

      Pour y voir clair, il faut comparer un brevet et une publication scientifique.

      Sans entrer dans les détails techniques, je dirai qu’une publication scientifique ou une conférence sont susceptibles de révéler exactement la même chose que ce que révèle un brevet tel qu’il est enregistré à l’INPI (ou l’OEB, OMPI, etc), à savoir la description de l’invention et des revendications. La différence, c’est que l’invention décrite dans une publication tombe dans le domaine public immédiatement dès sa parution, non pas du fait de sa communication mais de l’absence de brevet. La décision de choisir le brevet ou non appartient à l’inventeur (ou à son employeur). L’intérérêt d’une publication c’est qu’elle empêche un autre inventeur de protéger à son profit la même invention.

      Le droit d’auteur, qui comme son nom l’indique protège le créateur, est le système mis en place dans les sociétés libérales qui permet de rémunérer les artistes, écrivains, etc. Une chanson interprétée chez soi, entre amis ne tombe pas sous le coup du droit d’auteur, ce qui n’est pas le cas quand elle est interprétée en public.

      Le Copyright n’est pas un droit d’auteur, c’est un droit d’éditeur. Et les éditeurs, et plus généralement ceux pour qui les œuvres de l’esprit constituent la matière première et qui sont généralement des gens d’argent, aimeraient acheter moins cher et vendre le plus cher possible : le droit d’auteur est du point de vue des éditeurs, des formes de salaires et de charges sociales.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 11 février 2014 04:24

      @ JL


       Je comprends parfaitement. La proposition que propose le bouquin pour les droits d’auteur me semble avantageuse pour les créateurs. Concernant les brevets - qui ralentissent naturellemne le rythme des innovation, puisqu’ils force à faire en séquence des recherches qui poiurrainet être menées en parallele - nous pourromns en discuter au moment imminent de la parution du Tome 6, mais soyez rassuré que le but n’est pas de priver les createurs de leur part du butin...

       PJCA

  • claude-michel claude-michel 11 février 2014 08:25

    Il y a actuellement en français deux acceptions différentes pour le mot culture :

    • la culture individuelle de chacun, construction personnelle de ses connaissances donnant la culture générale ;
    • la culture d’un peuple, l’identité culturelle de ce peuple, la culture collective à laquelle on appartient.

    Ces deux acceptions diffèrent en premier lieu par leur composante dynamique :

    • la culture individuelle comporte une dimension d’élaboration, de construction (le terme Bildung est généralement traduit en éducation), et donc par définition évolutive et individuelle ;
    • la culture collective correspond à une unité fixatrice d’identités, un repère de valeurs relié à une histoire, un art parfaitement inséré dans la collectivité ; la culture collective n’évolue que très lentement, sa valeur est au contraire la stabilité figée dans le passé, le rappel à l’Histoire.

    C’est dans cette dichotomie que ces deux significations peuvent s’opposer :

    La culture collective comporte une composante de rigidité pouvant s’opposer au développement des cultures individuelles, ou pouvant conduire à des contrecultures, concept qui est inimaginable avec le sens individuel, la connaissance ne pouvant être que positive.

    La science, toujours en évolution, n’est de ce fait pas raccrochée au concept de culture individuelle, dans les acceptions populaires, alors qu’elle en est une des composantes principales dans la teneur initiale du terme.

    Mais c’est par l’art et l’histoire que les deux concepts se rejoignent. La culture individuelle inclut la connaissance des arts et des cultures, celle des différentes cultures humaines, mais bien évidemment celle affiliée à la culture (collective) à laquelle l’individu s’apparente.

    C’est là le point d’amalgame entre les deux acceptions : la culture (individuelle) est comprise comme connaissance de la culture (collective) dont on dépend. Fusionnant ainsi deux acceptions différentes, le terme culture tend actuellement, en France, vers un compromis dans son acception courante, où il désignerait essentiellement des connaissances liées aux arts et à l’Histoire, plus ou moins liées à une identité ethnique....Wikipedia...

    Les deux sens doivent cependant être analysés distinctement : la culture collective et la culture individuelle se recoupent en réalité, non seulement par leur homonymie, mais aussi par la filiation de l’espèce et de l’individu à une entité culturelle....Wikipedia


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 11 février 2014 16:24

      @ Claude-Michel


      Merci pour ce commentaire qui, à mon avis, dit parfaitement tout ce qui doit être dit sur le sujet. J’espere que, si vous en avez le temps et le goût, vous commenterez aussi mes autres articles ; je vous invite a visiter le site « Les 7 du Quebec », que je n’édite plus depuis l’automne, mais auquel je collabore toujours. 

      Pierre JC Allard

    • Francis, agnotologue JL 11 février 2014 16:36

      Bof,

      Claude Michel aurait pu au moins se donner la peine de nous épargner tous ces liens en nous balançant sans autre forme de procès ce copié-collé extrait de Wikipedia.


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