vendredi 9 mai 2014 - par Fabienm

Culturons-nous la tronche

A l’instar d’un rhume qui ne demande qu’à nous sortir par le nez afin d’être partagé avec le reste de l’humanité, il est indéniable qu’un bon film donne une furieuse envie d’étaler notre culture nouvelle de peur qu’elle ne s’échappe par nos trous de mémoire. Je dis « un bon film », mais cela peut-être un bon livre, une bonne pièce de théâtre, une bonne expo, etc. Soyons fous et ne nous limitons pas.

Evidemment, si comme moi, vous êtes plongé dans un environnement professionnel où l’on parle plus à table de « Qu’est ce qu’on a fait au cinéma français bon Dieu ? » que du dernier Lucas Belvaux, les discussions culturelles peuvent vite être source de frustration, voire d’engueulade, même si soyons clair, je me suis plus souvent énervé parce qu’on critiquait Zlatan Ibrahimovic que la prestation de tel ou tel acteur inconnu (dont j’ai d’ailleurs apparemment oublié le nom).

 

Mais tout ceci n’est pas bien important, partageons et il en restera bien quelque chose.

 

Un peu de lecture

Commençons donc par le livre d’une jeune auteure plutôt marrante, Cécile Coulon (que j’ai découverte grâce à ses statuts Facebook débiles que je vous invite à aller lire, c’est plutôt rafraîchissant, tendance déjantée), intitulé « Le rire du grand blessé », roman d’anticipation où l’on est plongé dans un monde totalitaire, réglé comme du papier à musique dans lequel les livres ont été détruits (arggh) et remplacés par de la propagande officielle distillée notamment lors de manifestations publiques gigantesques. L’ambiance est pesante à souhait et on se prend vite d’affection pour un péquenot baraqué, analphabète et sans état d’âme – l’agent 1705 –, chargé d’encadrer ces manifestations (car il vient d’être recruté par le très select Service National, débouché quasi-unique pour les bouseux de son espèce). On pense évidemment à « 1984 » et autres romans dystopiques de la même veine, même si, ici, ce n’est pas tant l’univers créé par l’auteure – il ressemble furieusement à d’autres de nombreux bouquins d’anticipation – qui marque que le style incisif et efficace qui fait de ce petit bouquin un livre bien torché et vite avalé. Seul bémol d’après moi, le prix de 17 euros du livre broché (je ne parle même de la blague que constituent les 10,99 € de la version ebook…) pour un roman aussi court (140 pages à peine) qui me font me questionner : non mais dis-donc, Viviane, t’en fais quoi de tous ces sous ?

 

« Le rire du grand blessé », Cécile Coulon (Ed. Viviane Hamy).

 

Un peu de spectacle vivant

Il se trouve que, bien que cela ne soit pas nécessairement très fréquent, je me suis pas mal baladé dans les salles de théâtre ces temps-ci. Je me permets donc de vous infliger mes commentaires, histoire de rentabiliser le prix des billets, pour deux pièces qui n’ont rien à voir (sinon c’est pas drôle), à savoir l’adaptation du roman de Grégoire Delacourt « La liste de mes envies » et « Tartuffe » joué au théâtre de l’Odéon. Ah, je vous avais prévenu, ça n’a rien à voir.

Concernant la célèbre pièce de Molière, il s’agit d’une mise en scène de Luc Bondy (le directeur du théâtre de l’Odéon) d’une modernité folle comme on dit dans Telerama et particulièrement grâce à Micha Lescot qui joue Tartuffe avec une grâce élastique, voire désossée (il faut le voir pour le croire), pieds nus et traînant, tour à tour grotesque et magistral, faisant exploser les codes d’une famille qui dès les 1ères minutes nous invitent à la table de son petit déjeuner dans une mise en scène assez surprenante. Du Molière comme on en voit rarement (même si j’avoue, je ne vais pas souvent voir des pièces de Molière, mais bon, ça le fait de dire ça comme ça, non ?). C’est tout à fait surprenant et très drôle, on ne peut pas être déçu (si ce n’est quand vous saurez que tout est déjà plein jusqu’au dernier soir).

Pour « La liste de mes envies », on a le droit à une pièce envoûtante et d’un esprit assez différent du livre de Grégoire dans lequel transparaissaient une humanité et une tendresse pour les personnages tout à fait notables.

Dès les premières secondes, on est totalement happé par le jeu de Mikaël Chirinian qui joue l’ensemble des personnages du livre avec une virtuosité impressionnante. Bercé par sa diction claire et douce, on est dans un état d’esprit idéal pour goûter à la subtilité de son adaptation, plus sombre et nostalgique que le livre et qui évoque la mélancolie du rêve et du renoncement.

 

« Tartuffe » de Molière (Théâtre Odéon, salle Berthier) mis en scène par Luc Bondy.

« La liste de mes envies » (Théâtre des Béliers) de Mikaël Chirinian, mis en scène par Anne Bouvier.

 

Un peu de salle sombre

Direction le cinéma pour conclure (avec vous, pas avec ma voisine de droite) avec un film anti-popcorn de Lucas Belvaux justement (j’en parlais en intro) – « Pas mon genre » – qui narre la rencontre improbable entre un professeur de philosophie muté pour un an à Arras et une coiffeuse autochtone. Amusant d’ailleurs que chez Delacourt, Arras – où l’action se situe aussi (j’avions pas fait exprès) – soit une sorte de ville tranquille et préservée des maux du monde moderne où vivent des gens « normaux » et que pour le héros de Belvaux, ce soit la punition ultime, quasi équivalente à l’obligation de faire son service militaire pour un hippie.

En tout cas, je ne sais pas si c’est lié au climat du Nord, mais à l’instar de la pièce de Mikaël Chirinian, on est complètement absorbé par l’ambiance de ce film subtil et beau, jamais snob, sur une relation amoureuse entre deux personnages qu’a priori tout oppose. Elle est fan de Jenifer Aniston (dont il n’a même jamais entendu le nom) et il l’attend lors de leur premier rendez-vous en lisant Dostoïevski. Quand il lui dit qu’il n’a pas la télé, elle pense qu’il plaisante, il n’a pas le courage de la corriger. Ils arriveront cependant à trouver le chemin vers leur histoire, une histoire faite de moments d’éternité, mais aussi de doute et d’incompréhension. Lui n’arrivera jamais à se jeter complètement dans cette relation (quelques scènes assez dures qui montrent le gouffre qui les sépare), jusqu’à lui faire perdre ses illusions à elle.

Les deux héros sont campés par Loïc Corbery (génialissime en personnage toujours un peu ailleurs et à la mine triste) et Emilie Dequenne (rafraîchissante comme un pulco citron sur un lit de glace), et l’alchimie fonctionne à merveille.

 

« Pas son genre » de Lucas Belvaux.

 

Voilà, voilà, bon ben j’ai fait ce que j’ai pu bande d’incultes pour que vous ayez l’air moins con lors de votre prochain repas de famille, à part si celle-ci est du genre à rire de blagues pas drôles sur les noirs et les arabes. Dans ce cas malheureusement, je crains de ne pas être d’une grande aide. Un rôle que je connais bien.

 

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