mardi 11 mai 2010 - par Christophe Certain

Des pique-nique pour refaire le monde, et vous êtes invités !

Pour ceux qui comme moi sont nés dans les années 60, il était acquis que les horreurs de la guerre étaient du passé. L’avenir était à l’espoir, la construction de l’europe nous préserverait à jamais des malheurs du passé, le futur serait insouciance, la possibilité d’avoir un métier intéressant et une vie agréable seraient nos seules préoccupations. Vint la crise, dès 73, époque à laquelle cela n’avait pas une grande signification pour les enfants que nous étions, à part la « chasse au gaspi » et le célèbre slogan de l’époque « en France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées » . Puis la gauche arriva au pouvoir en 81, espoir qui fut vite déconfit avec le tournant de la rigueur en 1983. En fait d’avenir radieux, nous n’avons pas connu grand chose d’autre dès notre arrivée dans la vie active que l’inquiétude du chômage et la lente dégradation du niveau de vie de la population, qui n’a cessé jusqu’à aujourd’hui.

Nous avons vu arriver Reagan, puis Bush aux Etats-Unis, cela paraissait tellement exotique que nous ne pensions jamais que ce qui se passait là-bas pourrait arriver ici. Nous avons vu l’Amérique du sud, à peine remise des traumatismes des dictatures d’extrême-droite, se faire étriller, et être mise en coupe réglée par le FMI et la banque mondiale. Nous ne pensions pas qu’un jour cela pourrait nous arriver.

Et aujourd’hui ça se passe en Grèce. Certes la Grèce c’est encore un peu loin de chez nous, mais déjà beaucoup plus proche que l’Argentine. Et demain ce sera le Portugal, puis l’Espagne, il suffit de suivre l’agenda des agences de notation. L’Espagne a construit ces dernières années une croissance basée sur une bulle immobilière qui a éclaté, et il n’y a pas de plan B là-bas. Il y a 20% de chômeurs. Il y a un surendettement endémique qui ressemble terriblement à celui des USA mais sans le dollar. Et quand les spéculateurs vont se déchaîner sur l’Espagne, c’est l’ensemble de l’Europe qui va prendre le bouillon, et c’est pour demain. La Grèce n’est qu’un amuse-gueule.

Europe au nom de laquelle j’ai avalé des couleuvres pendant des années avant de comprendre que c’étaient les mêmes terroristes sociaux qui étaient à l’oeuvre sur ce terrain que ceux qui avaient déjà ravagé une bonne partie du monde.

Et ensuite ce sera notre tour, quand l’état français sera enfin ruiné et démembré, ce que s’acharnent à faire les gouvernements qui se succèdent depuis des dizaines d’années ici en bradant le pays aux vautours.

Que nous proposent les gens qui prétendent nous gouverner dans ce pays ? Quel avenir nous propose-t-on aujourd’hui ? Simplement de baisser notre niveau de vie, de régresser socialement sans aucune contrepartie, et sans fin. Voilà ce qu’on nous promet aujourd’hui, à droite comme à gauche. Alors que peut-on espérer aujourd’hui ?

Quand Descartes, au bout de ses méditations métaphysiques est arrivé à « Je pense donc je suis » il a commis une erreur. Il y a deux parties en nous. La première est le raisonnement, la pensée « cartésienne » précisément, la base de la science, qui, forte de son infinie prétention pense comprendre le monde en le divisant en petits morceaux, pour avoir plus de prise sur chacun de ces morceaux, et arriver un jour à reconstituer ce puzzle. (Il y aurait un livre à écrire sur le sujet mais ce n’est pas le format de ruminances, il faudra donc prendre ça comme une graine à planter dans votre jardin). Mais de séparation en division nous sommes arrivés aujourd’hui à ce que la main gauche ne sait plus ce que fait la main droite. Les économistes inventent des produits dérivés qui créent les subprimes pendant que d’autres scientifiques nous expliquent comment le monde court à sa perte, sans qu’il n’y ait aucune connexion entre les deux.

Nous ne sommes plus capables de maîtriser le monde dans lequel nous vivons. L’illusion du rationalisme est en passe de nous plonger une fois de plus dans le chaos, comme cela nous est déjà arrivé à de multiples reprises, dont la dernière était la deuxième guerre mondiale, entre des pays riches de scientifiques, de philosophes et d’humanistes, mais tout cela s’est avéré inutile devant la cupidité des banquiers et des industriels, et la folie de ceux qui nous gouvernent.

Nous sommes aujourd’hui au seuil d’une répétition de ces terribles années.

Nous en sommes là car nous avons oublié la moitié de nous-même : la conscience, c’est-à-dire l’appréhension de la vie sans qu’on ait besoin d’y penser. La conscience c’est l’amour, qui n’a pas besoin de calcul, c’est aussi la sensation que vous éprouvez quand vous vous arrêtez en chemin pour contempler la beauté d’une forêt, le calme d’un lac au soleil couchant. C’est le plaisir qu’on peut éprouver à rencontrer des gens et à passer une bonne soirée, quelle que soit leur religion, leur couleur ou leur appartenance politique. C’est le bonheur intense qu’on peut éprouver dans un concert, une manifestation ou un match de foot, quand on fait corps avec tous les gens qui sont autour de nous. Une immense force qui rayonne autour de nous et qui nous donne une force qu’on n’aurait jamais imaginé.

Nous avons presque oublié cette moitié euphorique de nous-même pour céder à la peur omniprésente, la peur médiatisée dont l’objectif est de diviser les gens et de les opposer. Diviser pour régner à toujours été la règle des gouvernants.

Il arrive parfois qu’on passe un agréable moment avec des gens dont on sait que leurs opinions sont très loin des nôtres, et on est surpris de rencontrer des gens prévenants, affables et sympathiques, alors qu’on pense avoir tellement de différences avec eux. On pense être loin de ces personnes car le système dans lequel nous sommes nous contraint à nous mettre dans un camp ou dans un autre, et à l’intérieur de ce camp, dans une quelconque subdivision. Donc ce qui n’est pas dans le camp qu’on croit être le nôtre est forcément mauvais, et on a vite fait de trouver des défauts à ceux qui nous sont différents, sans regarder les nôtres.

Pourtant, la plupart des hommes sont d’accord sur l’essentiel quand on leur parle avec le coeur (le coeur et la conscience c’est la même chose). Les divisions viennent quand on commence à parler de ce que l’on croit, qui n’est forcément, de part et d’autre, qu’une vision tronquée des choses, causée par la pensée simplificatrice, et l’habitude de fonctionner avec des règles qui mettent en valeur les pires défauts de l’homme.

On va m’accuser là de naïveté. C’est vrai qu’une partie de la société profite et fait ventre de ces divisions, et les met en place, mais ces gens sont finalement peu nombreux, même si ce sont eux qui dirigent ce monde.

On parle aujourd’hui d’une nécessaire révolution. Mais il ne pourra y avoir de véritable révolution que si nous revenons à cette erreur cartésienne, et si nous refondons la société autour de ce que nous inspire la conscience, plutôt que de la peur paranoïaque de notre prochain qu’on voudrait nous instiller. Alors oui, tout est à faire.

Après la crise des années 30 il a fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que le comité national de la résistance, qui avait retrouvé dans l’épreuve de la guerre cette conscience et cet amour du prochain qui leur ont donné la force de résister, fasse émerger une société plus juste, avec la sécurité sociale, la retraite et une bonne partie des acquis sociaux qui sont en train de fondre aujourd’hui comme les neiges de l’antarctique. Denis Kessler, après être passé du maoïsme au service du grand capital, a avoué avec gourmandise aux journalistes que son objectif était de détricoter le programme du CNR, et Sarkozy s’emploie en ce moment à terminer cette tâche. Voilà l’agenda. Après nous attend la ruine, et très certainement la guerre, qui a été jusque là la seule méthode efficace du capitalisme pour éliminer les bouches inutiles et recréer de la croissance. Comme le disait Anatole France à l’époque de la guerre de 14, « on croit se battre pour sa patrie et on se bat pour des industriels » eh oui, déjà.

Alors la tâche qui nous attend est immense et pourtant elle est simple. Si vous lisez cet article c’est grâce à internet qui est en train de révolutionner les consciences du simple fait qu’on ne soit plus dépendants des Pravda locales et qu’on ait la possibilité de parler avec tous les gens avec qui on a envie de parler. Il n’y a plus de media entre nous, il n’y a plus d’experts, il n’y a plus rien qui nous sépare, alors parlons.

Autre chose : ma grand-mère est née à Alger, d’une mère espagnole et d’un père italien. Elle me disait qu’elle aurait pu apprendre 5 langues quand elle était gosse tellement elle vivait dans un environnement multi-culturel. C’était l’Algérie française. Alors oui, il y avait des colons exploiteurs, planteurs d’orangers ou autres, il y avait du racisme. Mais en France aujourd’hui il y a des exploiteurs, il y a du racisme. Et le pire de tous est le racisme des bien pensants qui vitupèrent le racisme et les racistes et se fâcheraient à jamais avec leur fils ou leur fille si il/elle se mariait avec quelqu’un « de couleur », ou adoptait un enfant venu d’ailleurs. Notre société est pourrie par l’hypocrisie.

Oui c’est vrai, la France n’avait pas à envahir l’Algérie, mais à toutes les époques, les pays les plus forts ont envahi leurs voisins, et c’est pour cela que nous Français parlons une langue dérivée du latin. A qui la faute ? C’est vrai la France n’avait pas à coloniser l’Algérie et nous n’avions rien à faire là-bas. Mais ceux qui y sont nés n’y étaient pour rien. Il y a eu en même temps là-bas à un certain moment une véritable expérience de société multi-culturelle, et un véritable respect entre les différentes cultures. A chaque fête religieuse, chrétienne, juive ou musulmane, chacun distribuait les gâteaux à ses voisins, quelle que soit sa religion, et même s’il était communiste ou athée. Il y avait quelque chose de ce que je recherche, même si tout ça a commencé et a terminé dans le sang.

Il se trouve que pour honorer les talents de cuisinière de ma grand-mère j’ai voulu écrire à sa mémoire un livre de ses recettes, et que ce livre a continué avec un site et que j’ai depuis l’année dernière, devant le succès, organisé des pique-nique, pour les amoureux de la gastronomie, mais aussi pour retrouver la concorde qui a pu exister là-bas, à un certain moment, entre les gens.

C’est ça que je vous propose aujourd’hui de tester. Je suis pour les travaux pratiques, je ne crois pas trop aux symboles ni à l’abstraction, et je suis partisan de prendre les choses au pied de la lettre.

J’organise donc cette année 3 pique-nique, un à Paris, un à Nantes et un à Montpellier. Le principe est simple : chacun amène un plat, et on partage. Le thème est la cuisine pied-noir, ou plus largement la cuisine méditerranéenne. Si vous ne connaissez pas, apportez quelque chose qui vient de chez vous, ce sera apprécié.

Ce sera l’occasion de se réunir plutôt que de se diviser. Il est temps de penser à construire le monde d’après.

Tous les détails sur les pique-nique ici : http://www.cuisine-pied-noir.com/piquenique_2.php
 


1 réactions


  • Radix Radix 11 mai 2010 20:05

    Bonsoir

    Qu’ajouter au premier commentaire qui résume très bien les désillusions d’une génération élevée avec les valeurs révisées par la guerre, vivant leur enfance dans une époque où tout semblait possible et arrivée enfin dans le monde du travail a vu le début de « la crise » qui perdure encore aujourd’hui !

    Sinon que Owen a oublié « le bout du tunnel » que voyait Raymond Barre (il avait une sacrée vue le Raymond) et que la période Giscard était si peu enthousiasmante que c’est grâce à sa « performance » que Mitterrand a été élu.

    Mais il est vrai que je suis un peu plus vieux ayant commencé à travailler en 1970.

    Radix


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