Dopage, racisme : la chute de Pascal Mancini
Surnommé "la panthère brune" à cause de l'admiration qu'il voue à des militaires nazis, le sprinteur suisse Pascal Mancini ne pourra pas se présenter aux Championnats d'Europe d'Athlétisme qui se déroulent en Allemagne du 6 au 12 août 2018. Swiss Athletics, la fédération d'athlétisme suisse, vient en effet de lui signifier la perte de sa licence. Alléluia ! L'extrême-droite s'est trouvé un nouveau martyr après Amalek le "prisonnier politique" et Gabriac le "penseur censuré".
L'affaire a en grande partie été relayée par le site Suavelos et la chaîne russophile RT France. Voici leur version : jeune étoile montante de l'athlétisme suisse, voire mondial, le sprinteur Pascal Mancini est persécuté pour ses opinions politiques au point que la Fédération d'Athlétisme vient de le priver de sa licence pour un simple tweet où il citait Léon Daudet.
Horreur et consternation dans les rangs dextrogyres : une cagnotte a même été mise en place pour aider le camarade Mancini que sionistes et franc-maçons auraient juré (sur le Talmud de la Mecque ?) de réduire à la mendicité. "Ils m'ont avoué que leur but était de me ruiner", dit-il sur sa page facebook. Des smicards attendris ont volontiers versé leurs maigres deniers pour leur camarade persécuté.
RT (dont l'une des présentatrices est la petite-fille du dictateur géorgien Edouard Chevardnadze) et Suavelos (site "faf de souche" dirigé par le napolitain Daniel Conversano) sont loin d'être des parangons d'honnêteté journalistique. Il est toujours intéressant d'imprimer leurs articles et de souligner en rouge toutes les contre-vérités : il n'y a presque plus de noir à la fin (du calme, Jean-Marie, je parlais du noir de l'encre…). Dans le cadre de l' "affaire" Mancini, la désinformation a évidemment été au rendez-vous.
Le fameux "Léon D." cité par Mancini dans ses tweets n'est absolument pas le maurrassien Léon Daudet (ce qui poserait déjà question) mais Léon Degrelle (1906-1994), un militant national-catholique et fasciste belge qui a soutenu le Troisième Reich au point de s'engager dans la Waffen-SS. Sa division (la 28ème Panzergrenadier Wallonie) a notamment combattu dans le Caucase et la région de Donetsk où elle se serait rendue coupable de centaines de massacres de civils soviétiques. Peu d'Occidentaux connaissent l'histoire du "match de la mort" : c'est la tragique épopée des footballeurs du Dynamo Kiev exécutés après avoir disputé et gagné haut la main un match contre une équipe allemande composée en majorité de militaires : s'ils savaient que la victoire signerait leur trépas, l'honneur soviétique qui bouillait en eux n'a pu s'accommoder d'une lâche défaite face à l'Occupant. La petite histoire raconte que Léon Degrelle était alors sur place et que sa division aurait participé à l'exécution des onze joueurs qui sont tombés en chantant l'Internationale. En 1965, Leonid Brejnev, Secrétaire Général du PCUS, a fait émettre un mandat d'arrêt contre Léon Degrelle, réfugié en Espagne, afin qu'il soit extradé et réponde des crimes dont il avait été au moins complice. Mais le Caudillo n'a jamais accédé à la requête soviétique et l'ancien SS a pu terminer sa vie, presque nonagénaire, dans l'insouciance méditerranéenne. Il n'est certes pas illégal d'admirer Degrelle pas plus qu'il n'est interdit d'admirer Che Guevara, mais qu'un athlète fasse l'éloge d'un type qui a peut-être participé à l'exécution d'autres sportifs, c'est au moins là une faute morale lourde.
D'autre part, si l'athlète de vingt-huit ans a été privé de sa licence, ce n'est pas pour avoir cité Léon Degrelle mais pour une vidéo postée sur sa page facebook au lendemain de la victoire des Bleus : les supporters et joueurs français étaient comparés à une horde de singes. De tels propos constituent une violation de l'article 6-2 du code de déontologie de la Fédération Suisse d'Athlétisme que M. Mancini ne pouvait ignorer puisqu'il l'avait signé à l'instar de tout sportif licencié. Rappelons également que Mancini avait déjà écopé de deux avertissements (un pour une quenelle antisémite et un pour "comportement non-sportif"), or, en vertu des règles en vigueur au sein de la Fédération Suisse d'Athlétisme, le troisième avertissement entraîne automatiquement une suspension de la licence. La perte de celle-ci n'est cependant pas définitive : l'athlète ne peut plus se présenter aux championnats en cours d'année mais pourra librement demander à repasser la licence en 2019 sous réserve d'avoir le niveau sportif requis. Il peut également, comme l'ont fait de nombreux sportifs, se faire naturaliser en Russie et concourir sous la bannière poutinienne, à condition que les Russes acceptent de parrainer un type qui admire la SS : rappelons que 20 millions de Soviétiques ont trouvé la mort durant la Seconde Guerre mondiale. Quoi qu'il en soit, la carrière de Mancini n'est pas brisée, contrairement aux affirmations de RT France qui parlait de "sprinteur maudit", une expression d'autant plus ignoble qu'elle parodie "le boxeur maudit", surnom donné à Alexis Vastine qui a trouvé la mort dans le crash de Villa Castelli en mars 2015. Comparer la suspension d'un suprémaciste paumé à la mort tragique d'un héros de la boxe est une insulte à la famille de ce dernier.
Laurent Meuwly, le propre entraîneur de l'athlète, s'est dit consterné par le comportement de son jeune padawan : "Quand tu signes un engagement et que tu ne le tiens pas, il faut t'attendre à un retour de bâton. Tu peux accuser tout le système que tu veux, c'est ta parole et ta signature que tu as enfreintes en toute connaissance de cause", a-t-il déclaré aux journalistes du Temps. C'est que le jeune Suisse n'en est pas à sa première incartade : outre ses deux avertissements, il avait déjà écopé de deux ans de suspension en 2012 suite à un contrôle antidopage positif : l'intéressé avait alors assuré s'être fait une injection "par erreur", une explication qui n'avait pas convaincu les instances sportives. Cette suspension ne saurait être mise sur le dos des idées de l'intéressé, personne n'étant au courant en 2012 qu'il fricotait avec les suprémacistes blancs.
Les sites d'extrême-droite ont saisi l'occasion de faire un parallèle entre Mancini et Sarah Jeong, une journaliste embauchée par le New York Times qui avait twitté en 2014 : "Cancel White People" (supprimez les personnes blanches). Le but de ce parallèle : démontrer qu'être anti-Blanc serait gage de réussite tandis qu'être patriote vouerait aux gémonies. Cet argument est, sur la forme, d'un infantilisme abyssal : "ouin, ouin, si lui a pas été puni pourquoi moi je suis puni ?" et d'autant plus savoureux que l'extrême-droite se dit politiquement opposée à l'égalité mais la brandit dès lors qu'elle s'estime lésée. S'il est ridicule sur la forme, ce parallèle ne tient pas plus sur le fond : comme l'a expliqué Arthur Sutzberger, directeur de la publication du NY Times, les tweets de Sarah Jeong datent de 2014 et elle a présenté ses excuses au peuple états-unien dans un communiqué de presse, s'engageant même à verser une donation à des fonds de bienfaisance. Qui sait si Swiss Athletics n'aurait pas accepté une lettre d'excuses de M. Mancini ? Au lieu de cela, il a préféré s'enfermer dans un discours de persécution. De plus, la faute de Sarah Jeong n'est que morale et ne relève pas du domaine pénal, en vertu du 1er Amendement de la Constitution des États-Unis. Enfin, le NY Times est une entreprise privée : nulle comparaison donc avec la Suisse qui, malgré les apparences, n'est pas une firme mais un État.
La question qui demeure en suspens est de savoir s'il fallait ou non autoriser malgré tout Mancini à participer aux championnats européens. Si sa suspension est juridiquement fondée et moralement recevable, elle constitue un mauvais choix stratégique : dans notre société pétrie de christianisme, persécuter équivaut à donner la victoire. Était-il bien judicieux de donner à la fachosphère une énième occasion de se victimiser ? N'est-ce pas l'entretenir dans son autisme politique et valider ses thèses complotistes ? Chacun se forgera son opinion. Voici celle, excellente, de Laurent Favre, journaliste sportif au Temps : "Le voir bras dessus, bras dessous, souriant, et peut-être médaillé, avec Suganthan Somasundaram, d’origine sri-lankaise, et Alex Wilson, né en Jamaïque, aurait sans doute constitué le plus cinglant désaveu de ses prises de position politiques. Une suspension le conforte aujourd’hui dans la certitude d’avoir raison seul contre tous. Mais Swiss Athletics pouvait-elle faire autrement ?"