Echos du Rhin : La Jacquerie de Lalo et Coquard
Après la belle réussite que fut la recréation du Cinq-Mars de Charles Gounod (1818-1893), le Palazzetto Bru Zane exhume dans sa collection de livre-disques un nouvel opus du répertoire opératique français, La Jacquerie, créée en 1895, elle-même inspirée d'une pièce éponyme de Prosper Mérimée (1803-1870). Si la composition de cet opéra naît sous la plume d’Édouard Lalo (1823-1892), ce dernier n'aura le temps que d'en terminer le premier acte avant de disparaître. Sur demande de la famille du défunt compositeur, c'est Arthur Coquard (1846-1910), élève de César Franck (1822-1890), qui est choisi pour en terminer l'écriture, tâche dont il s'acquittera avec brio, ne laissant paraître aucun problème d'homogénéité stylistique.
Empreinte d'échos wagnériens(*), la forme reste pourtant accrochée à la tradition française par la présence de grands ensembles et son découpage en numéros. Sous la direction de Patrick Davin, l'Orchestre Philharmonique de Radio France est incisif et alerte sans jamais devenir agressif, même dans les moments les plus dramatiques caractérisés par une orchestration souvent chargée. Cette pugnacité est d'autant plus intéressante qu'elle s'oppose à des moments d'un raffinement inouï comme dans la sérénade orchestrale du troisième acte. Si le Choeur de Radio France offre une prestation plus que louable, il est à déplorer malgré tout quelques passages où le texte peine à passer. Sur cette question d’intelligibilité, on notera que l’articulation des solistes est a au rendez-vous si ce n'est le rôle de Guillaume tenu par Boris Pinkhasovich, défaut qu’il compense par un investissement convaincant. Dans le reste du cast masculin, le ténor américain Charles Castronovo fait forte impression. Malgré une inversion de mots cocasse dans la deuxième scène du deuxième acte qui nous rappelle que le disque est le produit d’une captation d’un concert donné à Montpellier le 24 juillet 2015, le ténor livre une interprétation passionnée où la voix reste colorée, parfaitement maîtrisée sans jamais tomber dans la surenchère malgré la largeur vocale demandée par le rôle. En face de lui, Véronique Gens campe une Blanche de Sainte-Croix exemplaire, faisant fi des difficultés vocales de sa partie. Elle témoigne d’une constance époustouflante depuis ses dernières parutions dans le répertoire français, couronnée récemment par le Gramophone Classical Music Award pour le disque Néère (Alpha Classics) chroniqué ici-même il y a un an. On saluera aussi Nora Gubisch, impressionnante et touchante de véracité dans sa caractérisation de la mère malheureuse.
En dépit de quelques scories inhérentes à la prise de son live, Ediciones Singulares et le Palazzetto vénitien réussissent une fois de plus leur pari. Véritable opéra-kaléidoscope de la fin du XIXème, cette Jacquerie nous fait voyager entre lyrisme wagnérien et goût français à une vitesse effrénée grâce à une dramaturgie claire et efficace, servie par un casting une fois de plus de grande qualité.
Maxime Melnik
(*) Le livret aussi n’y échappe pas : les quatrième et cinquième scènes du dernier acte entre Blanche et Robert sont à comparer avec le célèbre duo d’amour entre Tristan et Isolde (Acte II) de l’opéra éponyme : tous deux incarnent un amour qui ne peut s’accomplir que dans la mort.
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Édouard Lalo et Arthur Coquard
La JacquerieOpéra en quatre actes (1895)
Livret d’Édouard Blau et Simone Arnaud
Création : Opéra de Monte-Carlo, 9 mars 1895Véronique Gens, Nora Gubisch, Charles Castronovo, Boris Pinkhasovich, Jean-Sébastien Bou, Patrick Bolleire, Enguerrand de Hys
Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœur de Radio France
Patrick Davin, directionLivre-disque bilingue en français et anglais
Collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane (Ediciones Singulares) Vol. 12 | 2016 ES 1023
Ce livre-disque peut être acheté ICI