mardi 6 mars 2018 - par Roland Gérard

Elle est passée chez-nous la belle démocratie

Ils étaient deux, avec un piano et ils nous ont fait passer de bons moments de rencontres, de réflexion, de poésie et d’apprentissage de la démocratie comme elle se vit à Saillans commune de la Drome à la gestion municipale très innovante depuis 2014. Cette session d’information et de formation a commencé le 26 février en fin d’après midi, c’était à Grabels (34) à deux pas de Montpellier. L’enjeu c’est d’impliquer les citoyens dans la vie publique, vraiment.

Une tournée de plusieurs semaines

Nous les participants venant des communes environnantes, nous étions une grosse trentaine à la soirée et presque vingt à la formation le lendemain, garçons et filles de tous les âges. C’est Grabels en transition qui a organisé cette étape de La Belle démocratie, il y en aura 16 dans les cinq semaines à venir en passant par la Bretagne et Lille, c’est une véritable tournée. L’un des protagonistes Tristan Rechid historique de l’aventure de Saillans se présente comme un « agitateur de démocratie locale », l’autre Philippe Seranne poète et chanteur est lui engagé depuis longtemps pour l’environnement et l’éducation particulièrement.

Des choses radicalement nouvelles

« C’est le citoyen le politique, pas l’élu » c’est un des leitmotivs de Tristan. Nous sommes toutes et tous politiques et quand on voit l’état des partis aujourd’hui et le niveau de la crise écologique et sociale on comprendra que certains citoyens ressentent comme une faim de politique, autre façon de dire une faim de faire ensemble et d’engagement pour le bien commun. Organisons nous, sinon ça pourrait nous faire très mal, question de responsabilité. Il y a plusieurs choses qui peuvent apparaitre comme radicalement nouvelles dans ce que nous avons vécu et entendu. Par exemple on sépare complètement la forme du fond. Celui qui anime la réunion n’intervient en aucun cas sur le fond, il laisse ça aux autres, et s’il veut intervenir sur le fond alors il doit laisser l’animation à quelqu’un d’autre. Une autre idée forte, il y en a plusieurs, c’est l’élection sans candidat ce qui peut, c’est certain, éviter à quelques uns qui aimeraient, sans forcement en avoir conscience, plus le pouvoir que l’intérêt général, de faire une erreur en se présentant.

Une boite à outils

Ce qui compte le plus ce n’est pas de connaitre notre but mais d’avoir l’assurance d’être dans le bon chemin. Cela rappelle fortement Gandhi, d’ailleurs les règles de la communication non violente nous accompagnent. On sait bien que plein de groupes, associations ou autres, dérapent à un moment donné vers l’autocratisme. Certain(e)s dominent, croient que ce qui est tout à fait commun pourtant, est leur chose, d’autres dégoutés décrochent. Pourtant quoi de plus commun que l’intérêt général ? Veiller à éviter ces dérapages doit être une vigilance de tous les instants. Ce qui compte c’est la façon de faire, la méthode. Ce qui est bien avec « la belle démocratie » c’est qu’elle nous met sous le nez une véritable boite à outil où l’on peut piocher tout ce qui nous permet de vraiment faire vivre les groupes, de les aider à exprimer toute leur créativité sans limite.

Prise de pouvoir

A Saillans ils ont pris le pouvoir parce qu’ils avaient alors, un maire aux tendances très autocratiques qui voulait imposer un supermarché à tout le monde alors que la majorité de la population n’en voulait pas. Maintenant ils sont habitués à cette situation, ils ont les rênes de la mairie, mais quand Tristan parle de « prise de pouvoir » ça nous fait quand même tout drôle ces deux mots l’un à coté de l’autre qui ne font guère référence à la paix et à la convivialité ce que nous aimons par-dessus tout. Cela peut en même temps se comprendre tant toutes et tous nous avons été dans nos vies confrontés au manque d’écoute d’un élu ou d’une administration. Il y a un peu l’idée de prendre le pouvoir pour mieux le partager ensuite, pour éviter ça justement, éviter l’autocratie, le pouvoir d’un seul et au contraire impliquer un grand nombre d’habitants. Genre de Robin des bois du pouvoir quoi !

Qu’est ce qui fait que tu t’intéresses à la démocratie ?

La formation qui se déroulait là où elle devait se dérouler à la maison commune, autrement dit la mairie, a très bien démarré. Nous avons été invités à nous réunir par groupe de trois. L’un des trois devait raconter en 5 minutes ce qui s’est passé dans sa vie qui l’amène aujourd’hui à s’impliquer dans la démocratie. Le deuxième devait redire les éléments de fond qu’il avait entendu en 2 minutes et le troisième devait en 1 minute, dire son ressenti. Bon exercice pour mieux se connaitre entre nous et se connaitre soi aussi. C’était un peu opération vérité entre trois personnes qui ne se connaissaient pas quelques minutes avant. Moment très riche et très sympa, excellente mise en jambe, on s’est bien amusés.

Le temps

Un des points clés de la méthode c’est le respect du temps. Toute la journée à été ponctuée par la petite musique de l’ordinateur qui faisait chronomètre, il nous signalait que la séquence était terminée et qu’il fallait passer à la suivante. Ce contrôle du temps est un aspect important de ce cadre sans lequel aucune liberté ne peut être tout à fait bien vécue. Combien de groupes systématiquement dérapent sur cette question du temps ? Après cette première séance à trois, nous avons été invités à nous remettre en grand cercle et là le chrono nous laissait 1 minute pour nous présenter chacun à notre tour. Certains ont un peu empiété et continuer avec la sonnerie, c’était assez drôle, ils ou elles allaient au-delà des limites, en pleine transgression ! Cette maitrise du temps permet à ceux qui sont très à l’aise à l’oral de se limiter, voire de limiter ce qui parfois pourrait devenir un flot un peu envahissant pour tout le monde et à ceux qui, peut-être un peu timide, ont du mal habituellement à en placer une, de pouvoir d’exprimer tout simplement. Hommes, femmes, jeunes, vieux… il y avait une belle diversité dans notre assemblée.

Emergence

Tristan nous a proposé de vivre une vraie réunion participative. Pour faire émerger les idées il y a des outils, metaplan, boule de neige, six chapeaux de Bono, world café, forum ouvert, porteur de parole… Nous devions justement nous mettre dans la perspective de prendre le pouvoir lors des élections de 2020 et pour cela Tristan nous a demandé de réfléchir à une stratégie pour les trois prochains mois. Nous avions chacun deux post-its et nous devions écrire une proposition d’action sur chacun d’eux. Ensuite se retrouvant à deux, après discussion nous devions n’en retenir que trois. Puis nous sommes passés à quatre, puis nous avons formé deux groupes de 8 et nous devions n’en garder plus que 5. C’est ça la « boule de neige ». Super occasion de faire des négociations. Après nous nous sommes retrouvés en grand groupe. Tout à été lu, décortiqué… regroupé en sept actions concrètes notées sur le paperboard et nous y sommes allés à coup de gommettes pour voter avec toutes les précautions d’usage, pour nos actions prioritaires. L’attention de toutes et tous était là sans baisser. A 13h nous sommes allés manger chez Aïcha tout près de la mairie où c’est bon, bio… et avec le sourire.

Proposition et convergence

Deux personnes du groupe, volontaires, ont, pendant le repas, construit une proposition à partir de nos réflexions collectives classées prioritaires. La veille Tristan nous avait déjà bien amusés en insistant sur la distinction entre consensus et consentement. Nous sommes donc allés vers le consentement. La logique du consentement c’est d’intégrer les objections et amender la proposition initiale plutôt que d'avoir les récalcitrants à l'usure comme dans le consensus. Ensemble nous sommes passés par les phases de clarifications, réactions, amendement de la proposition, objections, bonifications, et célébration. C’est vraiment de la dentelle la démocratie participative et c’est beau. Après la pause déjeuner, nous avons même réussi à inclure un nouveau. Parmi nous, il s’est très vite senti comme chez lui. On a eu le sentiment d’aboutir à la construction d'un projet réfléchi, concret, sans laisser l'avis de personne de côté. A la fin applaudissement c’était pratiquement 17h30 l’heure prévue pour se quitter. Il nous restait à faire une dernière « météo » de bilan, nous pouvons dire que nous avons bossé.

Quelles riches journées

Ce furent des journées riches, parce que nous avons rencontré des personnes animées par les mêmes passions que nous et habitant à quelques encablures de chez nous et que nous ne connaissions pas. Riches, parce que de nouvelles fenêtres se sont ouvertes, des possibles sont apparus, des horizons si flous au départ se sont précisés. Riches, parce que la convivialité, la liberté d’expression, la tolérance, l’humour même ont régné sur nous ces deux jours. Riches parce qu’on peut dire maintenant que dans les mains, nous avons de quoi continuer. Il y a une bibliographie importante, « les nouveaux collectifs citoyens  » de Ivan Maltcheff (j’ai déjà à plusieurs reprises, travaillé avec lui c’est du bonheur) de Loïc Blondiaux « le nouvel espace de la démocratie  », « Reinventing organizations  » de Frédéric Laloux…

Rattachés à quoi ?

Non, je n’ai pas rêvé, non ce n’est pas une bulle, non ce n’est pas une illusion, non ce n’est pas l’amorce d’un nouveau coup d’épée dans l’eau. Nous sommes attachés à une histoire déjà un peu longue, Gandhi…, nous sommes dans la diversité, ce que nous inventons en nous frottant les uns aux autres, intéresse autant l’entreprise que l’association ou la gestion des affaires publiques. Nos ancrages sont multiples, nous sommes rattachés à Saillans territoire à haute valeur démocratique, nous sommes attaché au grand mouvement des villes en transition Totnes est une des capitales de notre archipel, nous sommes attachés aux Glières, à la bio-vallée, aux Colibris, à Alternatiba, aux jours heureux, à ce qui nous réunit…

Nous sommes des Indiens et nous jouons de la gommette.

Nous sommes un monde, nous sommes ceux pour qui ça compte le regard d’un enfant de trois ans*. Nous disposons d’une arme énorme, c’est la méthode. Elle se répand, merci Tristan et les autres. Après les cow-boys qui jouent de la gâchette, nous sommes des indiens et nous jouons de la gommette. Nous avons sans doute un allié plus puissant encore et c’est la poésie et comme Philippe Séranne dans son poème épique « j’attends ce jour  » je dis :

« … J’attends ce jour parce que face à la spirale infernale du repli sur soi

 J’oppose l’espoir exaltant de la construction du monde,… »

A suivre

Roland Gérard

Expert en éducation à la transition.

*« … La fillette est joyeuse perchée sur ses épaules ; le sourire radieux, elle s’agrippe à son épaisse chevelure, mais son sourire pâlit, puis disparait dès qu’il la pose devant l’église, toute chose grandit, devenant démesure, les gens se transforment en géants, elle baisse les yeux trop timide pour les relever et les montrer, ce qui est déplorable car s’il est une chose susceptible de nous sauver, ce sont bien les yeux d’un enfant de trois ans, ce que le genre humain possède de plus précieux, de plus fragile et de plus puissant habite au fond de ce regard, jamais nous ne devrions prendre la moindre décision avant d’avoir consulter des yeux comme ceux-là. »

Jon Kalman Stefansson dans - le cœur de l’homme - P 95

 



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