En Argentine, se joue la reconstitution de la IVème internationale
En Argentine, les trotskystes sont désormais la troisième force politique derrière le « Front de Todos », qui est une coalition péroniste, et « Juntos por el Cambio » qui est une coalition de droite. Cela ne peut s’expliquer que par l’histoire de l’Argentine. Sans entrer dans les détails, disons que le mouvement péroniste en Argentine pourrait être comparé à ce que fut le gaullisme en France. L’importance du trotskysme vient de l’histoire du mouvement ouvrier argentin qui n’a jamais vu une forte implantation des partis de la IIème et de la IIIème internationale et aussi au rôle exceptionnel joué par le trotskyste Nahuel Moreno.
Nous n’avons pas encore les résultats complets des élections de dimanche dernier mais ce constat peut déjà être avancé : la coalition trotskyste progresse dans ces élections où se jouait le renouvellement de près de la moitié du Parlement et d’un tiers du Sénat.
Cette coalition s’appelle le FIT-U (Frente de Izquierda y de los Trabajadores – Unidad) ce qui se traduit par « Front de Gauche et des Travailleurs – Unité » ou par « Front Unique de la Gauche et des Travailleurs ». Elle est composée de quatre partis qui se réclame du trotskysme : le Parti socialiste des travailleurs (PTS), le Parti Ouvrier (PO), la Gauche socialiste (IS) et le Mouvement des Travailleurs Socialistes (MST).
Ces élections ont été l’occasion d’une déclaration de soutien internationale au FIT-U. C’est, du point de l’AGIMO, ce qui est le plus important dans la perspective de la reconstruction de la IVème internationale,
Cette déclaration de soutien a reçu les signatures de centaines de responsables politiques et syndicalistes dans le monde. Voici la liste des 38 pays concernés : Allemagne, Australie, Biélorussie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Equateur, Espagne, Catalogne, Etats-Unis, France, Grèce, Italie, Kenya, Liban, Mexique, Nicaragua, Norvège, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Portugal, Porto Rica, Royaume Uni, République Dominicaine, Syrie, Suède, Tunisie, Turquie, Ukraine, Uruguay, Venezuela.
Disons le d’emblée, les organisations ainsi rassemblées sont trop disparates, à l’image du FIT-U pour constituer, en l’état, l’internationale révolutionnaire qui pourrait assumer la continuité du combat pour la révolution socialiste mondiale. Certaines, comme le PO, n’ont d’ailleurs pas le combat pour une internationale à leur programme. De plus, la LIT-QI, qui revendique l’héritage de Nahuel Moreno, n’est pas représentée car son implantation en Argentine est faible mais elle a un important parti au Brésil et nous estimons que c’est un fleuron de la lutte pour la reconstruction de la IVème internationale. Cependant, le rassemblement qui s’opère avec cette déclaration peut être comparé avec les conférences de Kiental et de Zimmerwald où se réunissaient les internationalistes qui avaient refusé la capitulation de la deuxième internationale alors qu’ils n’étaient pas tous d’accord avec les orientations de Lénine et de Trotsky. Le texte de la « déclaration de soutien » montre clairement la volonté des signataires d’engager leurs organisations dans un combat classe contre classe sans faire de concessions. Les signataires refusent les gouvernements de type Front Populaire dans lesquels les organisations ouvrières sont liées aux partis du capital. Ils refusent que la classe ouvrière soit saignée dans des plans d’austérité pour payer une soi-disant dette que les travailleurs n’ont jamais contractée. Il rejette ainsi toutes les désastreuses expériences récentes en Amérique Latine avec notamment le chavisme. Il refuse d’accorder leur soutien à des gouvernements de conciliation de classe comme celui d’Evo Morales en Bolivie, celui de Lula ou Dilma au Brésil, celui de Castillo au Pérou, celui de pinera au Chili. Pour ce qui concerne l’Europe la déclaration indique notamment :
« on a vu des partis de centre-gauche et pseudo-progressistes, qui ont promis une rupture avec les politiques d'austérité, mais ont fini par appliquer eux-mêmes ces mesures d’austérité. C'est le cas de Podemos dans l'État espagnol, qui fait partie du gouvernement « néolibéral progressiste » du PSOE. Avant, Syriza avait promis un gouvernement anti-austérité, mais a fini par être le meilleur élève du FMI et de l'UE (Union Européenne) pour mettre en œuvre les plans de la troïka, ouvrant ainsi la voie au retour de la droite. »
L’AGIMO prend acte que tous les signataires, en particulier les signataires français, refuse cette politique de collaboration avec le FMI et l’UE qui ne peut qu’aboutir à la mise en œuvre des plans anti-ouvriers.
Nous publions donc ci-dessous le texte de cette déclaration. Le texte original est en Espagnol. Nous l’avons traduit de notre mieux sans garantir que le résultat soit optimal. Nous laissons donc un lien sur la version en espagnol.
Déclaration de soutien international
au Front Unique de la Gauche et des Travailleurs en Argentine
Ceux qui ont signé cette déclaration (dirigeants et référents des partis qui se revendiquent du mouvement ouvrier, anti-impérialiste et/ou de gauche, de la paysannerie, de la jeunesse, des organisations féministes, du mouvement LGBTQ+, des organisations écologiques et toutes les organisations confrontées à l'oppression capitaliste) soutiennent les candidatures du Front Unique de la Gauche et des Travailleurs (FIT-U) en Argentine pour les prochaines élections législatives du 14 novembre 2021.
Le FIT-U, né il y a 10 ans, est composée : du Parti socialiste des travailleurs (PTS), du Parti Ouvrier (PO), de la Gauche socialiste (IS) et du Mouvement des Travailleurs Socialistes (MST). Il représente la seule alternative aux partis capitalistes et à la politique de l'impérialisme en Argentine.
La coalition péroniste au pouvoir, dirigée par Cristina Fernández de Kirchner et le président Alberto Fernández, a subi une sévère défaite aux élections primaires du 12 septembre 2021. Cela a ouvert une crise majeure au sein du gouvernement. La droite libérale de l'ancien président Mauricio Macri (de Juntos por el Cambio) essaie de tirer profit de cette crise. L'extrême-droite « libertaire » (i.e. populiste) cherche à canaliser une partie du mécontentement contre les partis capitalistes traditionnels en proposant un modèle économique plus strict et plus contraignant pour les travailleurs et la gauche. Face au mécontentement populaire, le Front unique de la Gauche et des Travailleurs (FIT-U) s'est imposé lors des récentes élections, comme la troisième force politique nationale.
Le « Front de Todos » apparaît comme le garant des intérêts des capitalistes argentins et internationaux bien qu'il s’était présenté comme « progressiste », promettant de mettre fin à la politique de rigueur du gouvernement précédent. Au milieu de la pandémie, des millions de personnes n’ont même pas pu recevoir les maigres revenus d'urgence – que le gouvernement a supprimé du budget la deuxième année - et ce gouvernement a imposé un ajustement fiscal sévère aux travailleurs, afin de garantir le paiement de la dette extérieure illégitime au FMI et aux grands capitalistes. La population en dessous du seuil de pauvreté dépasse les 40 % et les salaires continuent de baisser à cause de l'inflation, avec la complicité de la bureaucratie syndicale.
Dans ce scénario, le FIT-U (Front Unique de la Gauche et des Travailleurs) est devenu un canal d'expression politique de la colère de larges secteurs de la classe ouvrière, des femmes et des jeunes. Au niveau national, le FIT-U a obtenu plus d'un million de voix (5%). Dans la province de Jujuy, dans le nord (La région la plus pauvre du pays) où la population est majoritairement indigène, le FIT-U a remporté 24% des voix et se bat pour élire un député national. Dans les provinces de Patagonie (Santa Cruz, Chubut, Río Negro, Neuquén), le FIT-U a remporté environ 10 % des voix. Dans cette dernière province, un législateur FIT-U vient d'être élu pour la Capitale, lors des élections locales, avec 8,8% des voix. Dans toutes ces provinces, se sont produites de grandes grèves et mobilisations des personnels de santé, des enseignants, du mouvement écologiste… Dans tous ces mouvements de protestation, les quatre organisations du FIT-U étaient en première ligne. A Buenos Aires, le FIT-U a obtenu les meilleurs résultats à une élection de son histoire. Il pourrait être représenté au Congrès National. Dans le Grand Buenos Aires (Buenos Aires et sa banlieue), un large vote des quartiers populaires a exprimé le reflet des grandes luttes contre le chômage, la faim, la misère, pour la terre et le logement, que l'un de ses protagonistes a menées dans le mouvement « piquetero ». Cela ouvre la possibilité que des candidats du mouvement ouvrier soient également élus aux Conseils Délibératifs.
Le Front Unique de la Gauche et des Travailleurs faisait partie de la « marée verte » qui a remporté le droit à l'avortement légal, sûr et gratuit. Il est en première ligne de la lutte contre le pillage des ressources minières, l'agrobusiness et la surexploitation minière des multinationales, que favorisent tous les partis et coalitions de patrons. Il lutte pour l'indépendance politique de la classe ouvrière et dénonce l'intégration de la bureaucratie syndicale péroniste dans l'État capitaliste (Syndicats corporatifs de type « pétainiste ») et lutte pour la reprise et l'établissement de directions de classe dans les syndicats (Pour des syndicats réellement indépendants). Dans son programme, il défend le non-paiement de la dette extérieure illégitime qui condamne les pays d'Amérique latine à la pauvreté. Il propose également la réduction de la journée de travail à 6 heures et la répartition des heures de travail entre tous les travailleurs disponibles sans réduction de salaire (échelle mobile des heures de travail). Il se bat pour la nationalisation des banques et du commerce extérieur. Loin des réformistes qui soutenaient que, pour réussir électoralement, le programme devait être réduit (ne pas effrayer les capitalistes), le FIT-U propose ouvertement un programme pour « exproprier les expropriateurs ». Contre l'impérialisme et les bourgeoisies locales, il propose l'unité socialiste de l'Amérique latine.
Les résultats du FIT-U sont, en Argentine, le reflet de la lutte contre les effets de la crise capitaliste mondiale déclenchée par la pandémie sur la classe ouvrière et les masses exploitées. Pendant la pandémie, des millions de travailleurs dans le monde ont vu leurs moyens de subsistance diminuer au point d’être privés du minimum vital. D'autres ont été licenciés et ont à peine survécu grâce aux aides de l'État. Alors que les grandes fortunes de quelques centaines de milliards de millionnaires n'ont cessé de croître comme celles d'Elon Musk, Jeff Bezos, Bill Gates, Mark Zuckerberg, (Bernard Arnaud…) etc. L'Amérique latine est devenue la région la plus socialement inégalitaire du monde. Les conditions de vie se sont encore aggravées alors qu’elles avaient motivé les soulèvements populaires en Équateur et au Chili en 2019. Ces mouvements s’étaient ensuite propagés l'année dernière et cette année notamment à la Bolivie et à la Colombie.
La crise capitaliste mondiale est le moteur des rébellions ouvrières et populaires. Non seulement dans les nations semi-coloniales et dépendantes d'Amérique latine, mais aussi dans les métropoles impérialistes, en premier lieu aux États-Unis. C'est cette crise et la résistance des masses à ses mesures d’austérité qui ont abouti au renversement des régimes de droite (Bolivie contre le coup d'Añez ; rébellion populaire au Chili contre le gouvernement Piñera et en Colombie contre Duque, etc.) Cela grâce à ceux qui ont dénoncé l'impuissance et la complicité du centre-gauche et des partis « nationaux et populaires », partisans des fronts de collaboration de classe. L'extrême droite essaie de se repositionner face à la crise de la droite traditionnelle et à l'échec des variantes de centre-gauche ou "pseudo-progressistes" (Chavismo, Lulismo, Podemos ou Syriza) devenues défenseurs et exécuteurs des mesures d’austérité du FMI. On voit déjà dans l'État espagnol comment Vox a tiré parti de la crise du régime monarchique espagnol et des capitulations du centre-gauche pseudo-progressiste. Mais la crise a aussi percé le développement de cette ultra-droite. La chute de Trump, la vague de mobilisations et de grèves à laquelle a fait face le nouveau gouvernement de droite qui vient de prendre le pouvoir il y a quelques mois en Équateur et d'autres processus de mobilisation en témoignent. Au Brésil, Bolsonaro est également soutenu par la politique traitre de collaboration de classe, développée par le PT et Lula. Cette politique, menée avec les bureaucraties corrompues, a bloqué l'intervention organisée des masses exploitées. Bolsonaro continue de développer des attaques contre les conquêtes ouvrières (perte de la stabilité d’emploi des fonctionnaires, etc.) En Argentine, les candidats Javier Milei et José Luis Espert expriment les aspirations de ces secteurs ultra-réactionnaires. Avec un discours démagogique « anti-caste » et « anti-politique », ils cachent que les vrais gagnants des politiques menées par les gouvernements capitalistes lors de la pandémie sont les multinationales, les grands hommes d'affaires, les banques et toute l’agro-industries.
Sur la gauche internationale, on a vu des partis de centre-gauche et pseudo-progressistes, qui ont promis une rupture avec les politiques d'austérité, mais ont fini par appliquer eux-mêmes ces mesures d’austérité.
C'est le cas de Podemos dans l'État espagnol, qui fait partie du gouvernement « néolibéral progressiste » du PSOE. Avant, Syriza avait promis un gouvernement anti-austérité, mais a fini par être le meilleur élève du FMI et de l'UE (l’Union Européenne) pour mettre en œuvre les plans de la troïka, ouvrant ainsi la voie au retour de la droite. En Amérique latine, le Front large au Chili, qui a signé avec la droite et le gouvernement réactionnaire de Piñera l'« Accord pour la paix et la nouvelle Constitution », cherchait à désactiver la mobilisation populaire pour réhabiliter les exécrables institutions héritées de la dictature. Au Pérou, après avoir semé des illusions, le gouvernement Castillo cède aux pressions patronales. Au Brésil, Lula, Dilma et le PT veulent revenir au pouvoir avec des patrons du Frente Amplio. En Bolivie, le gouvernement de conciliation de classe MAS soutenu par Evo Morales est revenu.
Les gouvernements latino-américains dits « progressistes » comme celui de Lula/Dilma au Brésil, les Kirchner en Argentine, López Obrador au Mexique, ou Evo Morales/Luis Arce en Bolivie, au-delà de certaines frictions, avec l'impérialisme ont fini par gouverner au bénéfice des multinationales sans affecter les intérêts des grands capitalistes, ni le capital financier international. Celui de Chávez/Maduro au Venezuela, venu proposer le « socialisme du XXIe siècle », bien qu'il soutienne une agression et un blocus économique de l'impérialisme contre lesquels nous nous élevons, a capitulé devant la bourgeoisie et l'impérialisme.
Le FIT-U représente une perspective opposée au centre-gauche et à toute variante dont l'horizon étroit est de gérer le capitalisme, faisant peser la crise de ce système d'exploitation sur les épaules des masses populaires.
La FIT-U a été le promoteur de la Conférence d'Amérique latine et des États-Unis qui a eu lieu en 2020 avec la présence de 50 organisations de tout le continent.
Les représentants du FIT-U dans les parlements sont solidaires des luttes ouvrières et populaires dans les rues. Contrairement aux politiciens capitalistes qui s'enrichissent de leur fonction, ils ne reçoivent que le salaire d'un enseignant - le reste de leur salaire est reversé à un fond de combat. Ses candidats et candidates sont des travailleurs/travailleuses, des étudiants/étudiantes et des militants/militantes du mouvement ouvrier, du mouvement des femmes, LGBTQ+ et du mouvement écologiste.
Le FIT-U ne cherche pas à obtenir la majorité au parlement dans une coalition avec les partis bourgeois. Son intervention dans le processus électoral est un combat pour développer une vaste campagne d'agitation auprès des masses ouvrières pour la rupture avec les partis patronaux et pour avancer sur la voie de l'indépendance politique et de l'organisation de la résistance et de la mobilisation politique. Le FIT-U œuvre pour que les masses populaires fassent irruption sur la scène de la crise nationale comme force indépendante et proposent une alternative au pouvoir. Le FIT-U se bat pour un gouvernement des travailleurs en rupture avec le système capitaliste-impérialiste, basé sur la mobilisation et l'auto-organisation des travailleurs.
Le FIT-U fait partie de la classe ouvrière, des jeunes, des femmes et des peuples autochtones qui se rebellent contre l'exploitation et l'oppression d'un système décadent. Comme en témoignent la vague de luttes ouvrières aux États-Unis, la grève générale en Corée du Sud, les grèves en Italie, en Espagne, en France et en Allemagne, le mouvement écologiste, la mobilisation des jeunes partout dans le monde ainsi que les rébellions dans les Andes et les Caraïbes, en Amérique latine, au Moyen-Orient et dans le monde entier.
Le soutien électoral que le FIT-U reçoit aux prochaines élections, ainsi que les postes de parlementaires qu'elle conquiert, seront mis au service du développement de la lutte des classes dans une perspective ouvrière et socialiste.
Ceux qui ont signé cette déclaration déclarent leur soutien aux candidats de la FIT-U dans tous les districts du pays comme étant la seule coalition qui défend les intérêts de la classe ouvrière, des femmes et des jeunes.