Éric Zemmour a-t-il encore sa place à la télévision ?
"Votre mère a eu tort [de vous appeler ainsi]" et d'ajouter : "Vous auriez pu vous appeler Corinne ; c'est très bien, Corinne", c'est avec ces mots que le polémiste Éric Zemmour s'est adressé à l'entrepreneuse Hapsatou Sy le 16 septembre dernier, sur le plateau de Thierry Ardisson. Mais ce n'est là que la partie diffusée dans l'émission. Une partie coupée au montage, et diffusée par Hapsatou, montre Zemmour en train de hausser le ton face à la jeune femme et de lui dire : "Vous n'êtes pas une enfant de la République : votre prénom est une insulte à la France". Rien que ça !
Hapsatou, un prénom pourtant très agréable à entendre, pose donc problème à notre polémiste qui porte un prénom viking – peuple d'envahisseurs et de pilleurs s'il en est. Le nom Zemmour désigne quant à lui l'olivier dans la langue berbère.
Après cette énième incartade, la question se pose : Éric Zemmour a-t-il encore sa place dans les médias ? Une question que l'on pourrait étendre à l'ensemble de l'extrême-droite. Les chaînes de télévision doivent-elles continuer à leur donner la parole ou bien faut-il les reléguer définitivement dans les latrines de la société ?
Le débat a fait rage sur le plateau de TPMP, mercredi dernier, entre André Bercoff et François Durpaire. Là où le premier défend une "liberté d'expression totale à l'américaine", le second rappelle inlassablement que "en conformité avec la loi de 1881 sur la liberté de presse, le racisme n'est pas une idée mais un délit". Une déclaration qui a du faire hurler tous les juristes et historiens. Le spécialiste des États-Unis a également rappelé qu'outre-Atlantique, il y a des talk-shows où l'on peut voir des débats entre néonazis et descendants de déportés, ou entre Noirs et membres du KKK.
Des théories du complot commencent déjà à fleurir de part et d'autre : certains clament que Zemmour serait toujours invité sur les plateaux télévisés sur pression des producteurs qui constateraient une nette hausse de l'audience ; les dextrogyres affirment, quant à eux, que la jeune Hapsatou Sy aurait monté de toutes pièces cette affaire pour "faire le buzz" : pourtant, nous avons tous entendu Zemmour lui dire qu'elle était une insulte à la France, ce qui constitue (quelles que soient les intentions et les arrière-pensées prêtées à Hapsatou) une déclaration délictueuse. D'aucuns plaideront pour Zemmour par accointance idéologique. Certains l'agoniront par soutien à la belle Hapsatou. L'auteur de ces lignes plaidera pour la liberté, par libéralisme et par raison, n'étant ni un zemmouroïde ni un SJW.
Demandons-nous avant tout à qui (et au nom de quoi) il revient de décider qui mérite ou non d'être sur les plateaux télévisés. Décréter que telle opinion est interdite de cité, c'est ouvrir un précédent dangereux et aplanir le chemin de la tyrannie. Au pays de Voltaire, ce serait un comble. En second lieu, il faut laisser de côté le pathos pour se concentrer sur l'efficacité stratégique : on est en droit de vouloir crier "Ta Gueule !" à Zemmour face au nombre d'absurdités qu'il débite (Verdez voulait même le gifler) mais l'important n'est pas de satisfaire un besoin émotionnel pavlovien, c'est de combattre efficacement la pensée de ce polémiste.
Soit. Imaginons que Verdez se lève vraiment et gifle Zemmour, que le polémiste soit à jamais rayé de la liste des invitables et que son nom devienne plus imprononçable que celui de Voldemort. Quelles en seront les conséquences ? Surement les mêmes que celles du bannissement de Soral et de Dieudonné, dont la popularité a explosé sur les réseaux sociaux, passant de quelques milliers à presque un million d'abonnés. N'étant plus soumis aux impératifs de fréquentabilité médiatique, les voilà partis en roue libre. L'un fait une quenelle devant un mémorial de la Shoah, l'autre fait carrément l'apologie du terrorisme. Ceux que bannit la société fondent une contre-société, avec l'orgueilleuse prétention d'avoir raison et d'être victimes d'une cabale : précieux sésame dans notre société judéo-chrétienne où être persécuté signifie avoir raison.
L'extrême-droite se réduit au RN et à Zemmour dans l'imaginaire populaire. Mais, le parti de la famille Le Pen et le polémiste dégarni ne sont que la face émergée de l'iceberg. L'extrême-droite (surtout sa partie agissante, la fachosphère) est une nébuleuse de braillards, de pseudo-intellectuels, d'agitateurs et de propagandistes que peu de gens connaissent en dehors de leurs fans. Raptor Dissident, Henry de Lesquen, Daniel Conversano, Kroc Blanc, Amalek, Aldo Sterone, Boris Le Lay, Serge Ayoub, Tepa, Frédéric Delavier, Stéphane Blanchonnet, Marion Sigaut, Marianne Durano, Hervé Ryssen, Willem Le Bel, Hervé Juvin, Christine Tasin et autres hurluberlus que vous ne risquez pas de voir à la télévision. Racistes, islamophobes, masculinistes, antisémites ou carrément néonazis, ces individus (et des dizaines d'autres) forment une contre-société qui grandit invisiblement et endoctrine la jeunesse. Mais les médias sont tranquilles : on ne les voit pas à la télévision. Ouf !
L'hypocrisie est sans doute l'un des grands défauts de notre peuple. Or, dans la prétendue stratégie de "lutte contre l'extrême-droite", elle est hélas à l'œuvre. On préfère cacher le mal plutôt que de le guérir. L'État promulgue une pléthore de lois antiracistes, les associations en vivent (tout en sachant que la fin du racisme signera aussi la leur), le peuple applaudit, et tout ce beau monde se contemple dans le miroir avec la bonne conscience du devoir accompli. Les lois réprimant le racisme sont très commodes : on bannit cette idéologie de l'espace public et on a l'impression de vivre entre gens respectables. Ouf ! A croire que les Français sont davantage dérangés par le bruit du crime que par le crime lui-même. Car, montrer ces fascistes à la télévision équivaudrait à dire que, oui, au pays de Voltaire la peste brune sévit encore et fait même des adeptes.
Emmanuel Macron a compris, mieux que tous, le meilleur moyen de vaincre la peste noire du fascisme : lui donner la parole. Durant l'entre-deux-tours, les sondages créditaient Marine Le Pen d'un score entre 40 et 44%, d'autant plus après l'alliance du 28 avril avec Dupont-Aignan. Si le candidat Macron avait écouté ses conseillers qui l'adjuraient de refuser le débat avec la fille Le Pen, en se drapant dans la toge de la dignité et en arguant qu'e "l'on ne parle pas à l'extrême-droite", comme l'avait fait Chirac en 2002 contre le Menhir, que se serait-il passé ? Non seulement personne n'aurait vu la nullité de Le Pen, mais celle-ci aurait même eu une aura de "victime du Système" qui lui aurait peut-être garanti, sinon la victoire, du moins un score honorable entre 45 et 48%, l'installant de fait comme cheffe de l'opposition. En acceptant le débat, Macron a donné à son adversaire l'occasion historique de perdre tout crédit ; elle en pâtit encore ! N'en déplaise aux "associations de lutte contre la haine" et autres chanteurs organisant des concerts contre le FN, leurs méthodes sont parfaitement inefficaces pour vaincre le nationalisme : il suffit de lui donner la parole pour qu'il se couvre de ridicule et se discrédite pour de longues années.
Que l'on invite les négationnistes Reynouard et Ryssen pour qu'ils vomissent en direct leur ignorance haineuse. Que l'on donne la parole à Renaud Camus pour qu'il s'enfonce dans ses explications vaseuses sur le Grand Remplacement. Que ce cher Hervé Juvin nous vienne expliquer comment il concilie son patriotisme économique avec sa carrière passée à travailler dans des pays étrangers. Que le rappeur Amalek nous démontre en quoi les chats menacent la civilisation européenne (oui, il a vraiment dit ça) et que Laurent Glauzy affirme, en direct au JT de 20 heures, que la mission des franc-maçons est de nous cacher la platitude de la Terre. Traînons-les face aux caméras pour que le peuple voie ce qu'est la véritable nature de l'extrême-droite ! Quoi, avons-nous peur qu'ils séduisent le peuple ? Alors, c'est notre propre modèle de société que nous devrions questionner : qu'est-ce qui cloche pour que des gens soient séduits par un tel ramassis de tarés ? Peut-être est-ce cette question qui fait peur…
A l'inverse, cantonner l'extrême-droite dans une zone interdite équivaut à lui donner une aura d'obscurité qu'elle ne mérite pas. Car elle est plus clownesque que maléfique (des "bouffons dangereux", pour reprendre l'expression de la mère de Clément Méric). Ostraciser ces clowns, c'est leur octroyer un statut de victime et favoriser la curiosité morbide que suscite toujours l'interdit, surtout parmi une jeunesse qui cherche à tout prix la transgression. En outre, cela augmente leur orgueil de vaincus : on est ostracisés car ils ont peur de ne pas faire le poids face à nos arguments. Il suffirait pourtant d'opposer des débatteurs sérieux à ces gens pour que leur argumentaire s'effondre. Que l'on mette Todd face à Lesquen, que l'on oppose Paxton à Faurrisson, Christine Tasin à Gilles Keppel et Marion Sigaut à Laurent Alexandre. Ces experts auraient-ils quelque chose à craindre de braillards nationalistes ? Le regretté Elie Wiesel avait déclaré sur France Culture dans les années 1980 : "Les négationnistes, je ne leur parle pas. Car je ne sais pas quoi répondre à la laideur. Quand il y a un négationniste dans la pièce, je me lève et m'en vais". Avec tout le respect que l'on peut avoir pour cette figure de la lutte contre l'antisémitisme, sa stratégie était erronée. C'est justement une telle attitude indignée mêlant mépris romanesque et moraline mièvre qui fait le lit de l'extrême-droite depuis des décennies. "Vas-y mon facho, vomis toute ta haine et toute ta propagande, montre-nous à quel point ton idéologie est débile pour que le peuple s'en détourne !", voilà ce que nous devrions dire à l'extrême-droite en leur tendant le microphone.
Judiciariser le débat et jouer aux effarouchés est la meilleure chose à faire pour valider la paranoïa de l'extrême-droite. Cette jeune Hapsatou aurait mieux fait de se battre (verbalement) contre Zemmour au lieu de transporter leur débat au prétoire. En agissant ainsi, elle aurait remis à sa place ce défenseur des mâles blancs et montré que les minorités ne sont pas d'éternelles victimes mais peuvent aussi se défendre seules, sans l'aide de l'État-Maman, et avec des arguments autres que mémoriels ou juridiques. Au lieu de ça, elle a préféré jouer la musique victimaire et lancer une campagne médiatique contre Zemmour, lui donnant de fait raison. Et puis, quand on va débattre avec un type comme Zemmour ou Soral, on sait à quoi s'en tenir, même si, évidemment, rien ne saurait justifier leurs propos. Enfin, cette judiciarisation du débat est totalement contre-productive car elle n'enlève en rien la haine : elle ne fait que la bannir de l'espace public, à l'instar de la morphine qui endort le mal mais ne le guérit point. Or, il est plus sain de savoir à qui l'on a affaire plutôt que de subir les relents ponctuels de haines rentrées mais tues par peur de la loi. Comme le disait Cicéron à propos des partisans de Catilina : "Que l'on puisse lire sur le front de chacun ce qui est gravé en son cœur !"
La question est : voulons-nous réellement vaincre l'extrême-droite ? Si, comme moi, vous répondez "oui", il faut admettre que l'on s'y est mal pris depuis le début. A grands renforts d'hystérie juridico-associative, de concerts pour la fraternité et de bannissements médiatiques, on a victimisé et renforcé l'extrême-droite. Continuons et la France sera réellement sous leur férule. On en vient à se demander si cette lutte contre la haine est sincère ou si elle constitue un fond de commerce pour ces associations et intellectuels de gauche.