vendredi 24 mai 2019 - par Desmaretz Gérard

Érosion littorale & géomorphologie côtière

Décembre 2018, le conseil métropolitain a relancé l'étude de faisabilité d'un nouveau «  port intelligent et multi-activités prévu pour au moins 100 ans », proche de l'aéroport de Nice (06). Le port actuel (capacité d’accueil de navires de 6.000 tonnes et d'un tirant d'eau 7 mètres) éloigné des axes de transports autoroutiers et ferroviaires (points nodaux) est jugé obsolète, inadapté au trafic maritime (avitaillement en carburant du port et de l'aéroport, aux bateaux de croisières géants, ferrys, yachts de luxe) et source de pollution.

La géographie volontaire prospective n'est jamais exempte de risques. Le 16 octobre 1979, des millions de tonnes d'enrochements de la plate-forme de l'aéroport de Nice-Côte-d'Azur, 3 hectares gagnés sur la mer pour y construire un port artificiel de commerce cédèrent, emportés par une « avalanche » sous-marine. Vers 13 h 45, une vague se déplaçant à 546 km/h emporta dix ouvriers, rompit les câbles téléphoniques s-m et dévasta une partie de la Baie des Anges formée d'un cordon de galets et de graviers. Personne ne semble avoir anticipé le déséquilibre de cette construction sur une zone deltaïque, composée de nombreuses couches sédimentaires instables, reposant sur un plateau continental abrupte (atteignant par endroits 80 %) sillonné par des vallées et des canyons sous-marins formant autant de conduites naturelles pour le transfert des sédiments vers les abysses ! La géologie finit toujours par écrire l'histoire.

Les mouvements de terrains, les facteurs physiques, chimiques et biologiques constituent les principaux aléas que l'occupation du littoral, des deltas et des lits des fleuves encoure avec le risque de submersions (inondations côtières) et/ou celui d'érosion de la côte (Soulac-sur-Mer), phénomènes pouvant être aggravés par l'instabilité du littoral, les conditions hydrographiques et météorologiques venant s'y surajouter (Xinthia). Les roches continentales sont altérées et produisent des matériaux formés de débris. Les plus gros sont abandonnés les premiers et le plus fins transportés plus loin. Les masses instables des matériaux détritiques accumulées sur le plateau peuvent s'effondrer le long du talus continental jusqu'à la plaine abyssale !

Le suivi des traits des côtes intéresse de nombreux ministères, le tourisme, les ressources halieutiques, l'écologie, les transports, l'énergie, la zone d'intérêt économique, la prévention des catastrophes naturelles, sans oublier les troupes amphibies. A peine 20 % des côtes mondiales sont propices à un débarquement constitué de chalands et d'engins de débarquement pour atteindre 80 % avec aéroglisseurs, ainsi que la Marine nationale, car les failles sous-marines sont autant de pièges pour nos submersibles et de voies d'accès pour l'adversaire. Une d'elle débouche à proximité de la rade de Toulon !

L'érosion des côtes et le déplacement de leurs matériaux entraînent une modification du littoral. Le profil d'une plage reste soumis à l'influence morphodynamique afin de s'adapter aux conditions hydrodynamiques, on parle d'engraissement (apports) ou amaigrissement. Le long des côtes sableuses ventées, l'énergie éolienne transporte les matériaux à l'intérieur des terres y constituant des dunes. Quand la quantité de matériaux déplacée dépasse le volume des sédiments, il y a apparition d'une plage. Lors de grandes tempêtes, les vagues emportent des matériaux qui sont déposés vers l'avant plage jusqu'à y former une barre immergée. Les deltas (avancées des terres sur la mer) sont formés par les alluvions accumulés à l'embouchure d'un cours d'eau au lieu d'en être chassés et redistribués par le courant. Pour s'opposer à l'érosion, les côtes peuvent être défendues par des épis (bois, palplanches, enrochements, digues sous-marines, etc.) et/ou végétation capables de fixer le sol et d'atténuer la dérive du littoral.

Il y a quelques cinq milliards d'années, notre planète était un amas de roches en fusion, puis avec le temps, les matériaux plus denses s'enfoncèrent plus profondément et les plus légers finirent par se durcir et former la croûte terrestre. La terre ne formait alors qu'un seul continent (la Pangée) avant de se diviser en plusieurs plaques continentales il y a deux cents millions d'années. L'activité volcanique libéra d'importantes quantités de vapeur d'eau qui provoquèrent les pluies dont l'accumulation finit par former les océans.

Le volcanisme qui témoigne de l'activité continue de la terre est principalement localisé le long des bords des plaques, zone où se forme la nouvelle croûte terrestre, tandis que l'ancienne est détruite ou bouleversée. Dans le premier cas on observe des zones de distension qui se caractérisent par des fractures (dorsales médio-océaniques) desquelles remonte le magma qui créé la nouvelle écorce terrestre et exerce une pression énorme sur les bords de la fracture (expansion). Quand deux plaques glissent horizontalement, il se crée des failles, quand les plaques sont à l'échelle d'un continent, on constate des plissements formant une chaîne montagneuse. Dans les zones de subduction, la croûte se détruit formant les canyons et les fosses océaniques ; la plaque tectonique s'enfonce sous une autre plaque phénomène qui s'accompagne de tremblements de terre et d'éruptions volcaniques.

Les sols sont des dépôts meubles formés à la surface de la terre par altération chimique ou physique des roches et par addition de matières organiques. On appelle roches les matériaux constituants de l'écorce terrestre. Les roches magmatiques se sont consolidées dans la profondeur de l'écorce terrestre (granite, basalte, obsidienne) ; les roches métamorphiques ont subi une modification chimique ou une cristallisation sous l'action d'une forte chaleur et d'une grande pression (marbre, quartzite, schistes) ; les roches sédimentaires qui représentent environ 75 % de la surface du globe, sont composées de débris arrachés par l'érosion et de sédiments déposés (sols transportés) dans les lits des fleuves, des lacs, des mers et des glaciers (calcaire, conglomérat, évaporite, grès) qui se sont déposés en strates dans les eaux calmes. Les boues, les sables et graviers sont appelés sédiments, les roches sédimentaires étant des matériaux consolidés. Dans les zones sédimentaires non plissées, les couches supérieures sont toujours les plus récentes (dans un terrain plissé, un terrain plus ancien peut recouvrir un terrain plus récent), constatation qui permet d'établir une chronologie parfois confirmée par la présence de fossiles qui différent suivant les couches de terrain et leur nature (le charbon est une roche formée de débris végétaux accumulés).

La plupart des côtes est le résultat de la remontée du niveau des mers. Les vallées basses des fleuves ont formé les estuaires (voie de pénétration naturelle à l'intérieur des terres) et les vallées calcaires les calanques. Au crétacé supérieur (-100 à 66 millions d'années), toute la « France » était couverte par une mer et 75 % des espèces disparaissaient ! L'ère quaternaire a connu quatre variations importantes du niveau des mers. Les glaciations ont entraîné une baisse du niveau marin, les inter-glaciations de restituer cette eau avec une élévation du niveau (en Bretagne et en Normandie, ces oscillations représentent environ 200 mètres (l'entrée de la grotte rupestre découverte à Cassis, se trouve à 36 mètres de profondeur). L'eau en gelant se transforme en glace, fait éclater les roches qui s'accumulent au bas des pentes, les pluies ravinent le sol, les couches calcaires sont dissoutes et les fleuves charrient leurs alluvions jusqu'à la mer. Les vagues façonnent le trait de côte tandis que les courants marins entraînent les alluvions qui vont former de nouvelles couches sédimentaires distribuées vers le large ou le long de la côte.

Le cordon littoral actuel n'est que la position à un instant donné. Les hommes ont longtemps cru que les fonds des mers étaient plats. C'est à l'occasion de la pose du premier câble télégraphique transatlantique en 1856 que l'on découvrit que les fonds sous-marins pouvaient présenter un relief tourmenté. Les mers et océans représentent 71 % de la surface terrestre, le plateau et le talus continentaux (linceul de nombreux sous-marins) 18 % des fonds marins, 82 % étant les fonds océaniques. Près de 90 % de la masse des océans est dans l'obscurité, aussi, les végétaux qui dépendent de la lumière se concentrent dans la couche d'eau superficielle, laminaires sur les fonds sablonneux et algues calcaires sur fonds rocheux.

Les fonds marins sont susceptibles d'évolutions sous l'action et l'effet physique du milieu maritime. La partie de la côte composée de roches dures (granite) résiste aux assauts de l'océan et forme des caps et des pointes, tandis que les roches tendres sont entaillées et attaquées formant des baies et des rades. Les mouvements des éléments : amplitude des marées, intensité de la houle, des vagues, des courants et la nature des matériaux transportés sont propres à une région. Les marées entraînent un déplacement des masses d'eau et des courants (mouvement des particules d'eau) réversibles. Le courant va tantôt dans un sens pour s'inverser au changement de marée. La vitesse du courant de marée est fonction : du relief du fond et de l'amplitude de la marée (coefficient). La marée en baie du mont Saint-Michel atteint une douzaine de mètres et à certains endroits la mer se retire de 10 kilomètres !

En Bretagne, les courants peuvent atteindre plus de 10 nœuds et être encore plus forts en Manche en raison du rapprochement des côtes et de la faible profondeur. Les courants ont une influence sur l'état de la mer. Un courant de sens contraire au vent peut être à l'origine de déferlantes (la lame écume). A l'approche d'une pointe, d'une île, le courant va se diviser de part et d'autre et cumuler sa force pour ensuite rejoindre la veine principale et s'accélérer en présence d'un passage plus étroit. La vitesse du courant peut être différente en surface, de sous la surface, et à différentes profondeurs. La rencontre de masses d'eau de température et salinité différentes provoque des courants. Le détroit de Gibraltar est parcouru par un courant de surface venu de l'Océan Atlantique, à l'inverse, un courant d'eau fortement salée s'écoule sur le fond vers l'Atlantique, conditions connues des sous-mariniers lors de la Seconde guerre mondiale qui les mettaient à profit.

Dans la houle, ce ne sont pas les particules d'eau qui se déplacent, mais la masse d'eau qui se soulève pour ensuite s'abaisser (oscillations). L'énergie de la houle dépend de : son amplitude - son angle d'incidence - de sa longueur - et de la période. La houle peut être comparée avec les phénomènes lumineux de : diffraction, réfraction et de réflexion. La houle peut être particulièrement destructrice, surtout s'il y a convergence des orthogonales ou alignement des lignes de crêtes. La houle est à l'origine de phénomènes vibratoires, de compression, d'expansion et d'aspiration de l'air emprisonné dans les espaces libres, phénomènes capables d'entraîner une rupture des joints dans les constructions maçonnées.

Les vagues désignent les rouleaux qui viennent s'écraser sur le rivage. A la différence de la houle, les vagues peuvent apparaître à la suite d'un coup de vent soudain. La dissipation de l'énergie de la houle provoque un brassage des sédiments. La quantité de matériaux en suspension augmente la densité du liquide (incompressible) déplacé, donc son énergie potentielle. Il suffit de 0,5 nœud pour mettre le sable en mouvement, d'un nœud (51 cm/sec) pour le gravier et 2,5 pour les galets.

A proximité de la côte, le relief du fond interfère avec l'arrivée des masses d'eau. Dès que la houle arrive sur un fond qui représente le double de sa hauteur, elle commence par se soulever, et lorsque la profondeur est sensiblement égale à sa hauteur, elle déferle et vient retomber. En approchant du rivage, la vitesse de la houle se trouve réduite, quand deux creux se rencontrent, ils peuvent venir s'affaiblir, ou quand ce sont deux crêtes se renforcer. Au pied d'une falaise vive (battue par les eaux et les sédiments) se forme un creusement que les débris arrachés à la paroi par les éléments peuvent venir combler et être à l'origine du glissement d'un pan de la falaise.

L'action humaine et les infrastructures sont parfois responsables du dégraissement des côtes. L'extension de la plate-forme aéroportuaire de Nice (1974 - 1978) pour gagner 200 hectares sur la mer, a bouleversé le maintien naturel du cordon de galets et la dynamique sédimentaire des matériaux arrachés aux Alpes charriés par le Var et le Paillon. Le cordon qui atteignait 150 mètres au XIX° siècle, s'est réduit à une trentaine de mètres ! Le déficit annuel est estimé à 15.000 m3. La Baie des Anges (4,6 kilomètres) qui fait l'objet d'engraissements hivernaux depuis 1976, totalise une quinzaine d'épis, cinquante points de contrôle et fait l'objet d'un suivi morphodynamique. Sans entretien (rechargement et reprofilage), le cordon littoral pourrait disparaître en un siècle ! Pour la ville de Nice, le défi s'apparente au mythe de Sisyphe et prendre un galet est passible de 38 euros d'amende.

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4 réactions


  • sweach 24 mai 2019 14:28

    Avec ou sans l’homme, nos plages ne sont pas figé dans le temps.

    Cela fait 7 millénaires que le niveau des mers montent de 2mm par an, donc difficile de prédire que ça ne va pas changer.

    Les problèmes qu’on rencontrent sont surtout liés aux modifications que l’on fait et aux conséquences qu’on provoque sans le vouloir initialement.

    Comme l’exemple de l’aéroport de Nice que vous citez qui détruit les plages adjacentes.

    Les constructions faitent par l’homme sont plus où moins durable dans le temps. Si on prend l’exemple des 20Km d’épis construit entre les saintes marie de la mer et le grau du roi dans les années 60 on a crée une plage totalement artificiel relativement stable aux vue des courants et les apports du rhone.

    De façon plus ressente on peut citer les Iles artificiel à dubai

    L’homme a la capacité de modifier son environnement et ses plages, mais est-ce durable dans le temps et préférable à l’inaction ?


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 24 mai 2019 14:38

      @sweach

      La Méditerranée est un lac salé. Lorsqu’ on a des couilles on affronte le Pacifique. Épicétout.


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 24 mai 2019 15:38

      @Cadoudal

      Vient avec moi faire le tour de Ua Pou (marquises) . On va rigoler . Tain dans la passe de Bora Bora j’ai faillit me pisser dessus en 2007 . Entre une houle énorme venant du sud est (du au moins 5 m ) et la chasse de la passe ...Dantesque. Le petit ferry (25 m) se levait a l’équerre.


  • baldis30 25 mai 2019 08:43

    Penser que l’on puisse maîtrise la morphologie d’une côte est une utopie ! L’évolution de l’interface «  »terre, air, mer" autrement dit des côtes met en jeu toutes les puissances issues de la dynamique interne ou externe du globe ( dont tectonique, climatologie, érosion, sédimentologie, courants...) et il est vain même à court terme de parler de pérennité ...

    Pour se rendre compte de la complexité sur la Méditerranée il suffit de voir à Marseille ce que fut le port de Phocée (derrière la Bourse) et ce qu’il en est du Vieux-Port ... à 2.000 ans d’intervalle. Un peu plus à l’ouest le phare de l’Espiguette a été construit en bordure de mer il y a moins de deux cent ans ... aujourd’hui à plus de cinq cent mètres. Quant aux cordons littoraux bien malin est celui qui les fixent pour vingt ans ....

     Pour mémoire l’évolution de la zone du sud du Ventoux a montré une surrection de l’ordre de cinquante centimètres en moins de deux cent ans ... Goguel cite la surrection de la Costière de Nîmes de l’ordre de deux cent mètres depuis le villafranchien... ce qui donne en valeur moyenne deux millimètres par an ... ( et c’était en outre une île bordée par le lit du Rhône au Nord-Ouest !)

    Les côtes rocheuses, et les ports associés ne sont pas plus pérennes compte tenu de l’érosion marine ... même à terme séculaire ...

     


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