Et si minuit arrivait plus tôt que prévu ?
À 5 ans, quand ma mère me disait de venir manger, je lui répondais : ‘’plus tard, je suis en train de jouer !’’
À 12 ans, quand ma mère me demandait d’aller ranger ma chambre, je lui répondais : ‘’plus tard, je suis occupée !’’
À 16 ans, quand ma mère m’a suggéré de commencer à m’impliquer, je lui ai répondu : ‘’plus tard, j’ai encore tout le temps devant moi !’’
Aujourd’hui, quand les experts me demandent d’agir face à notre société, les habitudes développées pendant ma jeunesse sont tenaces. J’ai tendance à croire que les problèmes n’existent pas pour nous, que quelqu’un, quelque part, fera ce que je devrais faire pendant que je suis trop occupée à faire des choses qui me semblent importantes, mais qui ne le sont pas tant que ça, au final. Pendant que ma famille est déchirée par des guerres d’opinions, de conspirations, elle oublie de me parler de ce qui compte vraiment. Depuis le 14 mars 2020, le Québec, plongé dans l’urgence sanitaire, a mis de côté les combats sociétaux qui durent depuis longtemps : la crise climatique, les conditions de nos travailleurs de la santé, de nos enseignants, le racisme systémique, les abus de pouvoir, la stigmatisation des membres des communautés LGBTQA2+, handicapée, l’écart des richesses et tous les autres problèmes qui demanderaient plus d’attention de la part de nos élus et de la population générale.
Pendant que l’on assiste à des débats de désinformation sur les réseaux sociaux, ce sont des Camara, des Joyce, des Basora et tous ces autres qui, malheureusement pas assez importants pour porter des noms, ne sont pas sur la scène publique pour s’exprimer et être écouté par rapport à des enjeux de plus en plus pressants. Pendant que l’on s’insulte, que l’on se juge, des gens meurent de froid, dehors, sous le couvre-feu de notre beau sol québécois. Quand ressentirai-je enfin l’urgence de me lever ? De commencer à agir ? Quand commencera-t-on à me presser ?
J’ai compris pour mon masque. J’ai compris pour mes 2 mètres. J’ai compris que ma grand-mère doit rester seule, pour son bien, pour le mien. Mais maintenant, est-ce qu’on peut revenir à notre programme habituel, pour parler de ce qui urge, de ce qui ne peut plus attendre à demain ? Est-ce qu’on peut passer du temps pour discuter, un peu plus fort, de ce qui est en train de causer notre perte ? On m’a dit que la pandémie a mis en lumière les lacunes de nos systèmes. Et pourtant, où sont les réformes, les solutions, les idées ?
Alors que l’on empêche les gens d’acheter ce dont ils ont envie dans les magasins, on encourage les Big Boss de ce monde, les transports massifs polluants et l’on donne encore plus à ceux qui ont déjà tout. Pendant qu’on restreint encore et encore les heures d’ouverture, qu’on incite la population à aller voir ailleurs, on décourage les rêves des petits entrepreneurs, qui n’en peuvent plus de danser sur un pied ou sur l’autre.
Et pendant qu’eux pleurent, devant leurs inventaires débordants, j’écoute l’horloge chanter, de ses tics et de ses tacs, et je danse dans mon salon, comme Cendrillon. Pendant que je profite de la vie, que je commande des futilités sur Ali, je ne pense pas au moment où minuit arrivera et qu’il sera trop tard. Où la planète, ayant tout donné pour nous nourrir, nous vêtir, nous divertir, n’en pourra plus. Où, précipitée, je devrai laisser mon soulier pour faire des choix qui auraient pu être tellement anticipés, même évités, s’il l’on avait pris le temps… Le temps d’en parler. Et je ne pourrai m’empêcher de me demander si l’on a bien fait de repousser minuit, encore et encore.