Etre patriote aujourd’hui
Une discussion à la radio, avec un historien spécialiste de la Belgique et de son histoire récente, à la veille de notre fête national, me posait questions.
On naît quelque part et pas ailleurs. Maxime Leforestier le chantait très bien. Si l’endroit de naissance n’a pas toutes les raisons pour imprimer un destin, il y contribue même involontairement. Si on ne se sent pas bien dans sa peau, désynchronisé dans son époque et son environnement, s’expatrier devient bien plus facile aujourd’hui que hier.
Suis-je patriote, puisque j’y suis resté, en Belgique ?
La Belgique, un pays artificiel, est-il souvent entendu.
Rares sont les pays complètement naturels avec des frontières naturelles, comme un cours d’eau, une montagne pourraient, seules, justifier une telle dénomination. Les politiques supplantent les processus naturels et rendent les frontières mouvantes avec le temps.
Une carte présumée de la géographie de l"’Europe du 20ème siècle" avait été dessinée en 1863 par Henri Druon, qui s’improvisait géopoliticien. Idéaliste, il imaginait uniquement pour le 20ème siècle, dix grands empires comme l’Ibèrie, l’Italie, la France, l’Allemagne, la Britanique, la Grèce, la Pologne, la Scandinavie, la Russie et la Circassie avec Vienne comme capitale de l’Europe et Lisbonne, capitale du monde. La Circassie, nouvel état, était censée arrêter toutes les invasions en provenance de l’Asie.
La carte fut refusée par la censure par deux fois. Nous en sommes évidemment très loin aujourd’hui. Etait-ce une utopie de rechercher une paix durable en rassemblant les peuples ? Plus marrant, encore, comme la Belgique n’y existait plus, il décernait la couronne impériale de cette Circasie, au... roi des Belges.
Les utopies sont des besoins mais la politique, à n’importe quelle époque, garde toujours des prérogatives que la raison garde au fond de ses neurones d’intelligence service. Les frontières signent les appartenances à une culture, une langue, un dialecte.
Les peuples sont souvent orphelins d’idéaux. Les souverainetés sont plus politiques et économiques.
On est passé de la socio-utopie à la techno-utopie.
Plus on se rapproche des frontières, plus on rencontre d’appartenances mitigées. Les frontaliers dans un "no man’s land" s’assurent des avantages des deux horizons dans des calculs d’apothicaire.
La Belgique s’est progressivement divisée, fédéralisée, dirons-nous en l’espèce. Cela, de réformes en réformes. Allez toujours plus loin dans l’explosion et tomber dans le confédéralisme dont la plupart des gens ne saisissent pas toujours complètement les nuances.
On se retrouve dès lors plus sur la défensive tentant de défendre les droits acquis, tandis que les crises servent souvent au grand capital pour démanteler les conquêtes sociales du 20ème siècle.
Les nationalismes identitaires ne se collent plus à la dimension, à l’entité du mot "pays".
Les drapeaux nationaux ressortent alors des tiroirs pour contrer d’autres, plus régionaux.
En 2007, Bruxelles n’avaient pas connu autant de drapeaux belges aux fenêtres. Bruxelles, parce que à l’intersection de populations qui se trouvaient, coincées, à la croisée des chemins entre deux idéologies, deux cultures qui collent à la capitale.
1993, 2007 ont été des années charnières pour la Belgique. 2010 en sera peut-être une autre.
Lors de la mort du roi Baudouin, en 1993, on pensait que cela précipiterait la fin de la Belgique. Ce fut l’inverse qui s’était produit.
L’électro choc de l’émission de télé "Bye bye Belgium", fit que 36.000 personnes se déplacèrent vers Bruxelles. Les réactions, très différentes de régions en régions. Bruxelles, était-il le dernier bastion de belgicains ?
Les nationalismes sont toujours à géométrie variable de personne à personne, de formation à formation. Dernièrement, lancer un sentiment de recréer un esprit Wallon plus uni, germait dans la tête de certains politiciens. Sans beaucoup de succès.
On se retrouve en opposition derrière des drapeaux que ce soit lors de grandes manifestations sportives. J’ai aussi entendu des paroles comme "Quand Justine n’est pas là, le tennis m’intéresse moins". J’entendais cela, sans rien dire, tout en n’en pensant pas moins que le sport existait même sans drapeau.
Les temps ont pourtant changé. Pendant, la première guerre mondiale, de 1914-18 des volontaires s’engageaient, fiers d’aller défendre la patrie. Qui n’a pas eu un membre dans sa famille mort pour cette chère "Patrie" ? Les vétérans des grandes guerres se retrouvent moins nombreux d’année en année lors des fêtes nationales. Les patriotes de cette sorte seraient certainement moins nombreux aujourd’hui.
Aujourd’hui, l’entité de base s’est restreinte à la famille. Défendre son nid et pas celui de son voisin est devenu le nouveau patriotisme. A la rigueur, les populations veulent bien l’étendre à la région qu’ils habitent, mais plus loin, on se méfie. L’éducation est peut-être à la base de ce revirement protecteur avec la vie qui a pris plus de prix que les idéaux. Avancer que ce serait l’égoïsme, le "chacun pour soi" pour l’expliquer serait impropre. La vie, seule, a plus d’importance.
Un billet local allait dans ce sens. Le rédacteur belge allait plus loin dans le consensus souvent défendu par les politiques. Compromis sans passer à la compromission.
Les régionalismes greffés à des entités linguistiques et de cultures sont de plus en plus nombreux. La fête flamande et wallonne à d’autres dates que le 21 juillet et fêtant des événements historiques propres prennent plus de valeur.
Certains se disent "enfants du monde", mondialistes, d’autres bien plus nombreux, plus locaux aussi, "enfants de papa et maman". Pour se dire "enfant du monde", il faut avoir eu l’envie et les moyens de connaître le monde pour aller voir si l’herbe n’était pas plus verte ailleurs.
En parallèle, pour éviter une nouvelle guerre mondiale, des alliances se sont crées pour réinstaurer une envie plus mondialiste avec une Europe pacifiée. Deux blocs, dans cette même Europe géographique, se retrouvaient face à face avec les alliés américains de poids totalement extérieurs à cette même Europe. Plus tard, cela s’est évaporé face à la mondialisation. Pas encore de "EU" comme plaque minéralogique sur les voitures, pourtant.
Le plus cocasse, c’est de s’apercevoir que ceux qui sont dans l’Europe, veulent parfois en sortir, alors que ceux qui n’en font pas partie, ne rêvent que d’y entrer. Pour se rendre compte, qu’en définitive, le côté social avait été plus ou moins oublié dans la belle aventure.
L’Europe est aimée quand elle est dans les cordes socialisées de ses administrés et haïe dès qu’elle en sort de ses rails.
La guerre n’est d’ailleurs plus cantonnée derrière des frontières mais derrière des sociétés commerciales. On se bat pour gagner des contrats. Batailles sans armes, achetées chez l’armurier, mais exprimant la même idée de victoire ou défaite.
"L’union fait la force" est la devise belge. Dès le départ, il fallait une phrase choc pour garder une cohésion ne fut-ce que fictive dans ce pays, volontairement déséquilibré au départ. La patrie devenant à la limite la société pour laquelle on travaille. Mercenaires des temps modernes ? On pourrait le penser à certains moments.
Le temps, les générations durcissent les idéologies et les différences. Le mouvement flamand est plus puissant que jamais sur le plan politique. Alors, pour un temps, bizarrement, la finance ne fait plus la pluie et le beau temps.
L’historien rappelait toutes ces périodes belges du "je t’aime moi non plus"...
"...des discours, des textes, qui annoncent la fin de la Belgique. Bismarck, par exemple en 1866, pense que la Belgique en a peut-être pour dix années. Du côté français, c’est à la fin de la Première guerre mondiale, qu’on dit : enfin, nous sommes convaincus qu’il y a une Belgique. Il y a un sentiment national belge, parce que la réaction belge, durant la Première guerre mondiale, l’a prouvé …qu’il y avait une Belgique… Et il a fallu convaincre effectivement, à l’étranger, que la Belgique était un Etat qui était moins artificiel qu’on ne l’écrivait, si on regarde l’histoire, mais qui pouvait avoir un avoir. Même si après la Seconde guerre mondiale, de nouveau, dans les années 60, on parle d’une Belgique pour 20 ans. L’Ambassadeur de France à Bruxelles estime que la Belgique est en voie d’évaporation. Même le Premier ministre Paul Van Den Boeynants déclare à la Chambre qu’il faut prévoir une Belgique pour 20 ans, dans l’espoir qu’elle puisse se fondre dans un ensemble européen plus vaste, à partit des années 80.".
"La Belgique d’aujourd’hui, c’est un peu un pays qui s’en va, un pays qui part avec certains qui essayent de la retenir".
Clichés ou réalités ? L’historien interrogé rappelait tous les événements qui montraient que l’idée d’une Belgique artificiellement crée avait déjà de multiples fois eu des envies d’évasion, de changement d’air dans les séparations culturelles. Pourtant, même si cela coinçait, 180 années de différences par rapport aux pays voisins ne sont pas négligeables. Des couples mixtes, des travailleurs en navette de région à région, des ex-flamands qui se trouvent en régions francophones et vice-versa, ont aussi leurs impressions à prendre en compte.
Le Bruxellois, lui, est un "zinneke", un bâtard par nature. Il le revendique avec fierté. Capitale de l’Europe, il se tourne plus vers cette dimension ne pouvant faire autrement.
L’excitation politique se retrouve plus cette fois dans les générateurs de troubles. Qui en profite ? On place, en effet, plus de pions politiques à la têtes, plus il y a de morceaux à remplir. Les mentalités évoluent en fonction des événements. Les spectateurs écoutent, discutent, se préoccupent de leur demain au mieux de leur connaissance des problèmes, inquiets et actifs sur des sables mouvants. La démocratie se perd en conjectures, en hésitations, en mauvaises compréhensions des phénomènes qui échappent la base qui n’est consulté que pour départager des têtes de pipe avec un programme, des enjeux, trop complexes à cerner pour le citoyen lambda.
La politique est peut-être le seul endroit où on oublie un peu les côtés financiers des changements. Beaucoup d’entreprises et de chefs d’entreprises, voyant leurs intérêts, freinent des deux pieds un éclatement de leurs activités en pensant à tous les effets secondaires inhérent à tout éclatement des pouvoirs. Les multinationales, elles, ne se préoccupent pas trop d’appartenir à un pays plutôt qu’à un autre. Elles ne voient qu’un avantage, celui de déplacer les bénéfices là où ils seront le moins taxés.
Les sportifs sont encore moins intéressé de se retrouver avec des règles différentes pour pouvoir exercer leur passion.
Ce que rapportent les médias n’est qu’un reflet partiel, un sondage extrapolé avec un degré d’erreur technique accepté et non pas vérifiable qu’après la sortie des urnes. Indices très valorisés pourtant.
La volonté de plus de nationalisme sortie le 13 juin des urnes, s’il était étonnant, n’en demeurait pas moins un besoin de changements, une réponse à un mal être conjoncturel que les crises ont amplifié ou parfois écrasé. La problèmes aux Pays Bas, non culturels, eux, mais également sous le régime de la proportionnelle, ne sont guère plus enviables actuellement dans des calculs d’apothicaires d’attribution de postes.
L’historien ajoutait pour le cas belge : "d’une certaine façon, l’Etat fait la nation. Déjà avant 1830, on voyait l’émergence d’un sentiment national belge. Pour preuve, 1777, à la période autrichienne, un cours d’histoire Belgique est imposé et les questions d’examen qu’on a retrouvées : quand est née la Belgique ? La réponse était le 15ème siècle… Évidemment ce sentiment national belge, qui émerge déjà, avant 1830, c’est surtout au sein d’une élite, mais, surtout, après 1830, que l’Etat va, petit à petit, faire la nation. "
Chacun a ses propres spécificités. La culture y est pour une part, bien sûr, mais elle ne fait pas tout. Les utopies existentielles sont parfois plus fortes.
L’humour français, s’il est proche, reste néanmoins différent par sa manière de l’exprimer ou d’en espérer un écho parmi ses spectateurs. Même différent à une échelle plus restreinte, encore.
Un Breton, un Chti, un Parisien, un Méditerranéen même sous le même chapeau ne parle pas avec les mêmes sentiments faces aux événements. Je ne parlerai pas des Basques que je n’ai pas rencontré assez souvent. Rien d’anormal donc.
La Wallonie et la Flandre accusent le coup de la même façon.
Langue de base identique, mais beaucoup de dialectes. Culture identique mais impressions de recevoir en retour un message différent. La Flandre s’affirme plus que la Wallonie. La belgitude qui les enveloppe, si on ne parle pas vraiment de patriotisme, dans ce cas, reste une valeur non négligeable et cela, sans même la conscience du fait.
Ma conclusion, je l’ai trouvé dans les commentaires :
"Qu’est-ce que la patrie ?
C’est simplement l’endroit sur terre où chaque homme ou chaque femme trouve sa part de bonheur. Chaque citoyen qui n’est ni patriotique ni national mais économique.".
On pourrait comprendre mieux l’esprit séparatiste entre partie anglophone et francophone dans un pays comme le Canada plutôt que dans un pays comme la Belgique qui n’a pas les dimensions d’une des sous-régions canadiennes, mais qui néanmoins a une densité de population cent fois plus importante au kilomètre carré.
En Belgique, les droits des gens se mettent en opposition avec les droits du sol.
Une envie de vivre ensemble latente, de trouver des compromis, des ouvertures, n’a pas de patrie, pas de drapeau.
Le patriotisme est en perte de vitesse aujourd’hui ou a changé d’idéal, c’est évident. Ce ne sont pas les discours patriotiques, identitaires belges ou français qui en changeront quelque chose. Manque de solidarité ? Peut-être. Grand mot, tout de même, tellement galvaudé, celui de "solidarité".
Le discours du Roi de la fête nationale, toujours contresigné par le gouvernement, allait dans le sens du patriotisme réformé. Un des thèmes prenait en compte cet aspect communautaire sans vexer personne.
Au moment où j’écris ces lignes, nous en sommes toujours à la phase pré-formateur. Di Rupo, dans cette fonction, compte les "pour" et les "contre" partagé entre deux exercices : la réforme de l’Etat et la gestion des crises. Exercices qui ne demandent pas les mêmes majorités. Faudra-t-il ensuite, un fixateur, un polisseur ? De toutes manières, pas de débardeurs, pas de terminators en vue.
Le patriotisme d’aujourd’hui ?
A notre époque, dire que naître quelque part, ne veut pas dire devoir y rester ad vitam aeternam par patriotisme. Les migrations font aussi partie de l’Histoire avec un "H".
Mais cela reste une impression d’être né quelque part que l’on ressort dans les moments les plus inattendus. Impression qui bizarrement, prend plus d’extension, plus on s’éloigne de ce point de départ et qu’on se met à rêver à de bêtes convenances comme le steak, les moules, les chicons, les frites ou le chocolat. Le ventre a ses raisons que la raison ou les utopies oublient.
Le patriotisme revient toujours avec les choses simples, moins avec les complexités politiques. Il faut être patient avec lui, car il change en fonction de tellement de choses.
L’enfoiré,
PS : Voici quelques images matinales de la fête nationale belge, ce 21 juillet.
Qu’en dire de cette fête 2010 ?
Une assistance exceptionnelle à la télé. Toujours plusieurs patriotes avec la conscience d’être "belge". Succès de foule pour la Fête nationale était-il annoncé. Le feu d’artifice, encore une fois, sensass, mais court.
Ce fut aussi, plus que d’autres années, une présence organisatrice plus ou trop importante de l’armée et de la police. Organisation qu’il faudra peut-être, une autre fois, rendre plus au civil. Il faut rappeler que les miliciens volontaires sont en plein recrutement depuis que le service militaire obligatoire a été supprimé depuis 1995, et ceci explique cela.
Le batiment du Parlement fédéral a, une fois de plus, fait le plein de visiteurs. Pas d’incidents, même pas de drache nationale comme annoncée. La famille royale toujours acclamée. Fabiola s’est tenue à carreau sans pomme.
RAS, quoi...
Citations :
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"Au fond de tout patriotisme, il y a la guerre : voilà pourquoi je ne suis point patriote", Jules Renard
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"Le patriotisme est la plus puissante manifestation de l’âme d’une race. Il représente un instinct de conservation collectif qui, en cas de péril national, se substitue immédiatement à l’instinct de conservation individuelle.", Gustave Le Bon