Européennes 2019 en France : Triple Sanction
Les résultats des élections européennes du 26 Mai en France, marquent une triple sanction (cf article sur les types de votes, ref 1) : à l’encontre de l’UE telle qu’elle fonctionne actuellement, à l’encontre de Macron et son gouvernement, et plus largement à l’encontre du libéralisme financier mondialisé dont ils sont les exécutants. Concernant les deux principales listes, les résultats sont dans la lignée de ce que les sondages prédisaient (réf 2).
Le taux de participation plus fort qu’en 2009 et 2014 accentue la représentativité des résultats (réf 3).
Sanction du fonctionnement actuel de l’UE
Toutes les listes pour cette élection européenne ont parlé de changer l’Europe, aucune n’a défendu l’idée qu’elle est bien telle qu’elle est. Mais les listes UEphiles préconisent d'aller plus loin dans le même sens (élargissements, fédéralisme, défense et diplomatie commune...) et font miroiter des illusions (ainsi un smic national sans aucune convergence sociale ne fera que geler les écarts entre pays). Certains parlent d’Europe à plusieurs vitesses, mais s’il s’agit de mettre davantage de contraintes pour les uns (dont la France), tout en laissant aux autres l’accès au marché unique, c’est une Europe de dupes. La Liste LREM/Modem qui est la principale force pro-UE, rassemblant du centre gauche jusqu’à la droite libérale, n’est pas parvenue, malgré la « dramatisation » de fin de campagne, à arriver en tête, et son score est très en deçà de celui des législatives, c’est un désaveux sur ce point.
Pour les eurocritiques, l’UE actuelle est une « Europe des marchands et des financiers », avec un « marché unique » mais sans harmonisation fiscale et sociale, donnant lieu à des disparités (dumping, paradisage fiscal, lobbying institutionnalisé…).
Le premier parti en nombre de suffrages avec plus de 23 % est le Rassemblement National, qui a mené une campagne très eurocritique, même si ce parti ne préconise plus une sortie de l’Union, ni même de l’€uro. Cela correspond au sentiment général dans le pays, qui considère que les économies européennes sont imbriquées, et que face aux autres blocs, pour un pays comme le nôtre mieux vaut une zone de coopération, mais prenant en compte l’intérêt des peuples, qui doivent pour cela reprendre une part de souveraineté.
La France Insoumise a fortement reculé depuis les présidentielles, mais représente l’aile eurocritique de la gauche, avec les petits partis plus extrêmes.
D’autres listes souverainistes étaient en lice : DLF, Patriotes, UPR, GJ, etc. mais leur division a éparpillé les suffrages et ne conduit à aucun élu, même si le total atteint voire dépasse 10 % (voir ref1 concernant la notion de « vote utile »).
Sanction à l’encontre de Macron et du gouvernement
Le fait que la majorité ne recueille qu’environ 22 %, malgré le forcing et la dramatisation, est une sanction du pouvoir actuel. En outre, les partis d’ « opposition modérée » LR et PS ont eux-même connu une déconfiture électorale historique. c’est donc l’ensemble des courants eurolibéraux qui sont en échec, sous les 40 % au total.
Paradoxalement, le mouvement des Gilets Jaunes a eu peu d’influence sur les grandes tendances par rapport à la situation de début novembre 2018, si ce n’est une accentuation de la bipolatisation LREM/RN surtout dans les dernières semaines (voir diagramme ref 2). La « protestation » de la rue n’a pas donné lieu à recomposition, et une hypothétique liste GJ qui semblait prometteuse en janvier a finalement donné lieu à des micro listes sans audience significative. Globalement le RN semble avoir hérité de la dynamique du courant protestataire
Macron avait tenté de « reprendre la main » par les mesures annoncées le 10 Décembre (prime d’activité, baisse CSG sur moyennes retraites…) et suite au Grand Débat (réindexation petites retraites, baisse de la première tranche d’IR…). Mais il s’agit de mesures catégorielles, s’adressant notamment à des catégories qui lui sont défavorables, au lieu de mesures générales profitables à tous (baisse TVA sur produits de premières nécessité, réindexation de toutes les retraites, RIC…). De ce fait, une partie de son coeur de cible électoral n’ayant profité ni des mesures en faveurs des très riches ni de celles en faveurs des assez modestes n’a pas été motivée pour apporter son soutien dans l’urne, et certains ont même émis un vote protestataire.
Sanction à l’encontre du libéralisme financier mondialisé
De manière générale, la France reste un des derniers pays d’Europe réticent au modèle libéral, surtout dans sa variante mondialisée. Lors de l’élection de Macron, les observateurs étrangers avaient cru que les Français prenaient [enfin] les rails du modèle dominant. Cette « divine surprise » pour les thuriféraires de Davos était en fait un trompe l’œil, les « réformes » (en fait contre-réformes) de début de quinquennat ont été prises sans déclencher les mouvements de contestation qu’avaient connus les lois travail du quinquennat précédent, mais les impacts négatifs sur le pouvoir d’achat et l’activité économique n’ont pas tardé à accroître l’hostilité d’une part croissante de la population. La perspective de hausse de taxes sur les carburants dont les prix mondiaux augmentaient fortement a déclenché en Novembre dernier la colère des Gilets Jaunes, largement soutenue par l’opinion. Mais c’est bien plus largement la politique générale néolibérale qui était rejetée, comme ayant augmenté les inégalités, au profit des très riches (d’où le « totem » du retour de l’ISF). Dans la jeunesse, le vote de gauche a donné place à un vote écologiste et altermondialiste. Même si c’est utopique, c’est bien la mondialisation libérale qui est sanctionnée.
Conclusion
On voit que le clivage traditionnelle droite-gauche a vécu et que prédominent désormais de nouveaux clivages : eurolibéralisme mondialisé vs nations, économie traditionnelle vs écologie. Pour l’instant souverainisme et écologie paraissent aux antipodes idéologiques, et pourtant il existe une convergence réaliste : une économie locale et durable, plutôt que le gaspillage consumériste mondialisé.
ref 1 : types de scrutin : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/vote-d-adhesion-vote-barrage-vote-215202
ref 2 : historique des sondages pour les européennes https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sondages_sur_les_%C3%A9lections_europ%C3%A9ennes_de_2019_en_France.svg?uselang=fr
ref 3 : résultats : https://www.lemonde.fr/international/live/2019/05/26/elections-europeennes-2019-suivez-la-soiree-electorale-en-direct_5467528_3210.html