Ève et la folle tentation d’Autun. Lettre ouverte au journal de Saône et Loire et à FR3 Bourgogne
La chute !... Non ! Il ne s'agit pas de la chute d'Adam mais de celle des archéologues et des historiens locaux qui se sont complètement fourvoyés avec leur explication du fameux linteau sculpté d'Autun, explication que votre journal a bien naïvement reprise dans son édition numérique du 16 août et FR3 Bourgogne dans un article du 18 mai 2016.
Tragique malentendu, il ne s'agit pas de la représentaion d'Ève cueillant la pomme biblique mais d'une évocation symbolique de la rivière Arroux qui passe près d'Autun. Position bien inconfortable pour une Vénus couchée ! Ne voyez-vous donc pas que cette femme plus ou moins endormie s'inscrit dans le courant d'un fleuve ? Sa chevelure flotte et son corps ne fait qu'effleurer le fond du cours d'eau en s'y appuyant d'un coude et d'un genou. Ces pommiers au milieu desquels cette femme serait couchée ne ressemblent en rien à des pommiers. Il s'agit de rhizomes qui prennent racine dans le fond des cours d'eau paisibles et dont les tiges s'agitent mystérieusement comme des lianes, sous la surface de l'eau. Ces feuilles sont des feuilles de nénuphars ; ces bourgeons sur le point d'éclore sont des bourgeons de nénuphars. Cette griffe soi-disant du diable, c'est une pince d'écrevisse. Ce bourgeon un peu rond, que la femme saisit, c'est celui d'une fleur de lotus, étonnant symbole qui remonte à l'époque des pharaons d'Égypte.
Faut-il parler de nénuphars ou de lotus ? Bien que de la même famille, on sait qu'il s'agit de deux espèces différentes, mais à cette époque, quelle importance ! Les feuilles qui sont sur la tête de la déesse Sequana, aux sources de la Seine, sont bien les feuilles de nénuphars que nous connaissons. Il s’ensuit que les rhizomes représentés dans le linteau d’Autun le sont aussi, mais il faut comprendre que leurs feuilles sont encore plissées et qu’elles ne se déploieront et s’étaleront qu’en arrivant à la surface. Et, en effet, si l’on examine attentivement la tige qui se trouve à l’extrême gauche, il est clair que le sculpteur a voulu représenter la plante sur le point de s’ouvrir en arrivant à la surface de l’eau. Plus précisément, il a représenté la corolle de pétales en train de s’ouvrir et fait apparaître le calice avec ses grains.
Enfants, pendant les grandes vacances, notre grand-père nous emmenait pêcher au bord d’un bief tranquille de la Reyssouze. Il y a quelque chose de terriblement mystérieux lorsqu’un mouvement inhabituel se produit à la surface de l’eau. Une bulle ? quelques bulles ? une feuille de nénuphar qui bouge ? Un poisson qui manifesterait sa présence ? Le bouchon va-t-il plonger ? Et lorsque, à certaines époques, le courant s’accélère, voilà que tout ce monde sous-marin de tiges et de feuilles se met en mouvement, s’agite et se contorsionne. C’est très étonnant... exactement ce que le sculpteur d'Autun a voulu représenter. Enfin, il faut bien voir que le corps de la femme occupe tout l’espace, du fond de la rivière jusqu’à la surface, ce qui signifie bien "qu’elle est le fleuve".
Et il y a aussi l’évocation de la sève qui monte, dans les tiges de gauche, ou des pistils, dans celles de droite... c'est absolument génial !
Merci de rectifier l'information que vous avez donnée à vos lecteurs !
Mais quel est donc ce Gislebertus qui, selon les spécialistes, aurait sculpté cet étonnant linteau, ainsi que le tympan de la cathédrale où il y a inscrit son nom "Gislebertus hoc fecit" ?... Gislebertus a fait cela... ou plutôt, Gislebertus a fait faire cela. Il s'agit, bien évidemment, de l'évêque. Il figure d'ailleurs à la place d'honneur, dans le pilier du porche. Sa mître, son étole, son bâton de berger, ne laissent planer aucun doute. Les deux grandes femmes à la longue robe sont, à sa droite, les populations de la Saône à l'Est, à sa gauche, les populations de la Loire à l'Ouest.
Au début du IV ème siècle, le rhéteur Eumène dit clairement que les empereurs avaient fait venir à Autun une multitude "d'artifex" (Discours d'Eumène pour la réparation des écoles, V, IV, 3 ). Pour élever de simples murailles ou quelques maisons ? C'est peu crédible ! Ces "artifex" étaient d'habiles tailleurs de pierre. Le grand chantier de la construction d'une cathédrale, c'est à Autun qu'il faut se l'imaginer, au début du IV ème siècle.
Quel seigneur local aurait eu la puissance politique et financière pour élever au Moyen Âge un tel monument ? On n'en voit pas. Quand je lis les très mauvaises traductions que les spécialistes font des textes anciens, que cela soit pour localiser nos anciennes capitales gauloises ou pour expliquer l'histoire et la signification de notre fabuleux patrimoine, notamment sculpté, les bras m'en tombent.
Le récit du transfert des reliques de saint Lazare dans la cathédrale en 1146 nous apprend que des travaux effectués à l'entrée de l'église n'étaient pas achevés. Il ne s'agit évidemment pas des travaux de construction, comme les érudits nous l'affirment, mais de travaux de restauration ou de modification ; ce n'est pas la même chose. L'entrée qui aurait dû être l'ornement et la lumière de l'église, non seulement n'était pas consolidée, mais l'appareillage de pierres qu'on avait placé à côté du génie de l'artiste, n'était ni sculpté ni ajusté avec soin, comme cela aurait dû être dans une maison d'une telle renommée. Et il y avait encore une foule de choses qu'il aurait été digne d'ajouter dans la maison du Seigneur. Cette entrée, c'est le porche. L'appareillage de pierres, c'est l'ensemble architectural du porche. Le génie de l'artiste, c'est la cathédrale devant laquelle les hommes du XII ème siècle restaient béats d'admiration. Ces pierres qui n'avaient pas reçu le travail de finition signifient seulement que le porche a été construit ou restauré en 1146. Quant à la renommée de la maison, elle prouve, de toute évidence, que la cathédrale, lieu de pèlerinage en raison de sa beauté et de sa magnificence, existait déjà bien avant le XII ème siècle. Les pierres du porche qui n'étaient pas encore sculptées ni jointoyées correctement juraient à côté d'un édifice dont la réputation n'était plus à faire. L'acte de concession passé par le duc de Bourgogne Hugues III au sujet de ce porche d'entrée en 1178, soit trente-deux ans après, ne prouve en aucune façon que la cathédrale tombait en ruines mais signifie tout simplement que les travaux de restauration du Moyen Age n'ayant probablement pas été satisfaisants, il fallut élargir le dit porche à trois entrées. Construction du porche au XII ème siècle : oui ! Construction de la cathédrale : non ! (extraits de mon "Histoire de Bibracte, Dieu rayonnant", publié en 1995, catalogué par la Bibliothèque nationale comme "ouvrage ésotérique" et oublié, ce qui est un scandale.)
Emile Mourey, 16 août 2017.