jeudi 17 août 2017 - par Emile Mourey

Ève et la folle tentation d’Autun. Lettre ouverte au journal de Saône et Loire et à FR3 Bourgogne

La chute !... Non ! Il ne s'agit pas de la chute d'Adam mais de celle des archéologues et des historiens locaux qui se sont complètement fourvoyés avec leur explication du fameux linteau sculpté d'Autun, explication que votre journal a bien naïvement reprise dans son édition numérique du 16 août et FR3 Bourgogne dans un article du 18 mai 2016.

Tragique malentendu, il ne s'agit pas de la représentaion d'Ève cueillant la pomme biblique mais d'une évocation symbolique de la rivière Arroux qui passe près d'Autun.   Position bien inconfortable pour une Vénus couchée ! Ne voyez-vous donc pas que cette femme plus ou moins endormie s'inscrit dans le courant d'un fleuve ? Sa chevelure flotte et son corps ne fait qu'effleurer le fond du cours d'eau en s'y appuyant d'un coude et d'un genou. Ces pommiers au milieu desquels cette femme serait couchée ne ressemblent en rien à des pommiers. Il s'agit de rhizomes qui prennent racine dans le fond des cours d'eau paisibles et dont les tiges s'agitent mystérieusement comme des lianes, sous la surface de l'eau. Ces feuilles sont des feuilles de nénuphars ; ces bourgeons sur le point d'éclore sont des bourgeons de nénuphars. Cette griffe soi-disant du diable, c'est une pince d'écrevisse. Ce bourgeon un peu rond, que la femme saisit, c'est celui d'une fleur de lotus, étonnant symbole qui remonte à l'époque des pharaons d'Égypte. 

Faut-il parler de nénuphars ou de lotus ? Bien que de la même famille, on sait qu'il s'agit de deux espèces différentes, mais à cette époque, quelle importance ! Les feuilles qui sont sur la tête de la déesse Sequana, aux sources de la Seine, sont bien les feuilles de nénuphars que nous connaissons. Il s’ensuit que les rhizomes représentés dans le linteau d’Autun le sont aussi, mais il faut comprendre que leurs feuilles sont encore plissées et qu’elles ne se déploieront et s’étaleront qu’en arrivant à la surface. Et, en effet, si l’on examine attentivement la tige qui se trouve à l’extrême gauche, il est clair que le sculpteur a voulu représenter la plante sur le point de s’ouvrir en arrivant à la surface de l’eau. Plus précisément, il a représenté la corolle de pétales en train de s’ouvrir et fait apparaître le calice avec ses grains. 

Enfants, pendant les grandes vacances, notre grand-père nous emmenait pêcher au bord d’un bief tranquille de la Reyssouze. Il y a quelque chose de terriblement mystérieux lorsqu’un mouvement inhabituel se produit à la surface de l’eau. Une bulle ? quelques bulles ? une feuille de nénuphar qui bouge ? Un poisson qui manifesterait sa présence ? Le bouchon va-t-il plonger ? Et lorsque, à certaines époques, le courant s’accélère, voilà que tout ce monde sous-marin de tiges et de feuilles se met en mouvement, s’agite et se contorsionne. C’est très étonnant... exactement ce que le sculpteur d'Autun a voulu représenter. Enfin, il faut bien voir que le corps de la femme occupe tout l’espace, du fond de la rivière jusqu’à la surface, ce qui signifie bien "qu’elle est le fleuve".

Et il y a aussi l’évocation de la sève qui monte, dans les tiges de gauche, ou des pistils, dans celles de droite... c'est absolument génial !

Merci de rectifier l'information que vous avez donnée à vos lecteurs !

Mais quel est donc ce Gislebertus qui, selon les spécialistes, aurait sculpté cet étonnant linteau, ainsi que le tympan de la cathédrale où il y a inscrit son nom "Gislebertus hoc fecit" ?... Gislebertus a fait cela... ou plutôt, Gislebertus a fait faire cela. Il s'agit, bien évidemment, de l'évêque. Il figure d'ailleurs à la place d'honneur, dans le pilier du porche. Sa mître, son étole, son bâton de berger, ne laissent planer aucun doute. Les deux grandes femmes à la longue robe sont, à sa droite, les populations de la Saône à l'Est, à sa gauche, les populations de la Loire à l'Ouest.

Au début du IV ème siècle, le rhéteur Eumène dit clairement que les empereurs avaient fait venir à Autun une multitude "d'artifex" (Discours d'Eumène pour la réparation des écoles, V, IV, 3 ). Pour élever de simples murailles ou quelques maisons ? C'est peu crédible ! Ces "artifex" étaient d'habiles tailleurs de pierre. Le grand chantier de la construction d'une cathédrale, c'est à Autun qu'il faut se l'imaginer, au début du IV ème siècle.

Quel seigneur local aurait eu la puissance politique et financière pour élever au Moyen Âge un tel monument ? On n'en voit pas. Quand je lis les très mauvaises traductions que les spécialistes font des textes anciens, que cela soit pour localiser nos anciennes capitales gauloises ou pour expliquer l'histoire et la signification de notre fabuleux patrimoine, notamment sculpté, les bras m'en tombent.

Le récit du transfert des reliques de saint Lazare dans la cathédrale en 1146 nous apprend que des travaux effectués à l'entrée de l'église n'étaient pas achevés. Il ne s'agit évidemment pas des travaux de construction, comme les érudits nous l'affirment, mais de travaux de restauration ou de modification ; ce n'est pas la même chose. L'entrée qui aurait dû être l'ornement et la lumière de l'église, non seulement n'était pas consolidée, mais l'appareillage de pierres qu'on avait placé à côté du génie de l'artiste, n'était ni sculpté ni ajusté avec soin, comme cela aurait dû être dans une maison d'une telle renommée. Et il y avait encore une foule de choses qu'il aurait été digne d'ajouter dans la maison du Seigneur. Cette entrée, c'est le porche. L'appareillage de pierres, c'est l'ensemble architectural du porche. Le génie de l'artiste, c'est la cathédrale devant laquelle les hommes du XII ème siècle restaient béats d'admiration. Ces pierres qui n'avaient pas reçu le travail de finition signifient seulement que le porche a été construit ou restauré en 1146. Quant à la renommée de la maison, elle prouve, de toute évidence, que la cathédrale, lieu de pèlerinage en raison de sa beauté et de sa magnificence, existait déjà bien avant le XII ème siècle. Les pierres du porche qui n'étaient pas encore sculptées ni jointoyées correctement juraient à côté d'un édifice dont la réputation n'était plus à faire. L'acte de concession passé par le duc de Bourgogne Hugues III au sujet de ce porche d'entrée en 1178, soit trente-deux ans après, ne prouve en aucune façon que la cathédrale tombait en ruines mais signifie tout simplement que les travaux de restauration du Moyen Age n'ayant probablement pas été satisfaisants, il fallut élargir le dit porche à trois entrées. Construction du porche au XII ème siècle : oui ! Construction de la cathédrale : non ! (extraits de mon "Histoire de Bibracte, Dieu rayonnant", publié en 1995, catalogué par la Bibliothèque nationale comme "ouvrage ésotérique" et oublié, ce qui est un scandale.)

Emile Mourey, 16 août 2017.



11 réactions


  • Decouz 17 août 2017 14:04

    Je comprends vos exigences de précision, mais il me semble que le lien entre Eve et le fleuve, la déesse du fleuve ou ses habitantes aquatiques pourrait malgré tout se comprendre  :

    -dans les langues sémitiques, le lien sémantique Eve-Vie-Serpent apparait nettement dans la phonétique : Hawa, Hayat, Hayyat, arabe ou hébreu quelques variations mais les lettres racines sont les mêmes, enfin pour ma part je ne peux m’empêcher de voir cette association, étant entendu que le symbolisme n’est jamais univoque mais se prête à plusieurs lectures.

    -Le fleuve et les eaux, leur caractère ophidien, le fleuve qui fait des méandres, l’eau qui fait des ondes, les ondines, l’eau qui vivifie etc

    Mais sans trancher cette question d’interprétation, regardez cette figure d’un déesse serpente ou anguille de Bretagne, ce qui est curieux c’est que comme dans votre figure, elle tient dans sa main un fruit arrondi et la forme de la chevelure est la même :
     

    https://matricien.files.wordpress.com/2014/01/dc3a9esse-serpente-de-sizun-sirc3a8ne-cueille-larbre-de-vie.jpeg

    Tiré de cet article :

    https://matricien.org/matriarcat-religion/christianisme/serpent/

    Nul doute que le symbolisme procède par analogie et sur un mode poétique, je ne peux écarter que dans l’esprit d"un artiste ou de ses spectateurs il puisse y avoir des fusions qui n’ont pas un caractère strictement scientifique.


    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 17 août 2017 14:17

      @Decouz

      Dans le panthéon gaulois encore largement présent au moyen-age, de nombreuses divinités secondaires dont les fées et les vouivres avaient la faculté de se transformer et d’apparaître sous des formse trompeuses. 

      Il est flagrant dans la sculpture incriminée que les jambes du personnage féminin restent volontairement dans le flou et que les pieds sont absents, comme s’il s’agissait d’une sorte de sirène en cours de métamorphose, une divinité aquatique. laquelle ? La question n’a peut-être pas plus d’objet que s’il s’agissait d’un dragon de gargouille ou d’un faune cornu aux pieds fourchus...

    • Emile Mourey Emile Mourey 17 août 2017 15:06

      @Decouz

      Très intéressant. Il me semble que nous sommes dans le même symbolisme fluvial ancien d’avant le christianisme ; déesse ou nymphe aquatique allongée, longue chevelure, plante aquatique avec racine, fruits ronds. On dirait que la dame portait un collier, un torque (?) usé par les intempéries ? Maison d’un batelier ? Non loin d’un cours d’eau naviguable ?






    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 17 août 2017 15:41

      @Emile Mourey

      «  un torque (?) usé par les intempéries » ou escamoté par le ciseau du récupérateur ...


    • Alren Alren 17 août 2017 19:54

      @Emile Mourey

      Je souscris d’autant plus à vos explications que les artistes dont le thème est la déchéance de l’Eden mettent en scène aussi Adam à qui Ève tend la pomme de la connaissance et que le serpent est nettement figuré.

      D’autre part, l’eau est toujours dans toutes les cultures anciennes un symbole du féminin, du froid.


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 17 août 2017 14:07

    « ...mon »Histoire de Bibracte, Dieu rayonnant« , publié en 1995, catalogué par la Bibliothèque nationale comme »ouvrage ésotérique« et oublié... »

    Il vous manque un Galilée, défenseur des travaux de Copernic contre ses collègues universitaires italiens qui avaient monté contre lui les dominicains. Galilée était l’ami du pape et ne pouvait être directement attaqué. Trouvez-vous un allié qui soit un ami du nouveau pape.


    • Emile Mourey Emile Mourey 17 août 2017 15:09

      @Jeussey de Sourcesûre


      Mon allié ne peut être que la ministre de la Culture. C’est sa responsabilité.... Enfin, c’est ce que je pense mais je peux changer d’avis.

    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 17 août 2017 15:38

      @Emile Mourey

      Dans ce cas, pour plaire au pape, il vous suffit de commencer toutes vos phrases par : « En même temps... » et de faire des citations de Ricoeur.

  • Antenor Antenor 17 août 2017 15:39

    @ Emile

    Il existe une thèse identifiant Gislebertus avec le Comte de Chalon et d’Autun du 10ème siècle. Seulement son auteur s’en tient à y voir un hommage adressé par ses successeurs. Pourquoi ne pas aller plus loin et attribuer ce tympan directement à ce Comte ? Cela ferait déjà remonter la nef au minimum à l’époque carolingienne.


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 17 août 2017 15:46

    « Cela ferait déjà remonter la nef au minimum à l’époque carolingienne »... sauf si ce linteau est lé récupération et l’utilisation d’une réalisation plus ancienne. Les façades des maisons de la rue Jeanne d’Arc à Rouen ont été « montées » avec des pierres déjà taillées de l’Abbaye de Jumièges devenue une carrière, propriété privée d’un personnage devenu très riche après un investissement modeste.

    Ce cas de récupération est fréquent dans l’histoire.

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