mercredi 23 janvier 2013 - par Sandro Ferretti

Extension du domaine de la flûte

La neige, c'est blanc. Au départ. C'est comme une vie : ça démarre cash, cristallin, pure laine, Woolmark.

Et puis le temps te sale rapidement ta sale gueule. Les sableuses passent et repassent, sur ta petite vie qui ne trépasse pas encore, non, mais le compteur tourne quand même. Du coup, ca vire au gris sur les bas-côtés de ta départementale. Ca te met dans les dents 50 nuances de gris, comme dirait mon libraire, qu'est marié à une gazinière de moins de 50 ans.

 

Il neigeait, je disais.

Blanc. Ca tombait dru sur les cons qui, du coup, le paraissaient moins que sous le cagnard des jours trop crus. La bêtise semblait amortie. Coton à Cotonou. De la ouate genre Caroline Loeb, pile poil au moment où Sébastien Loeb gagnait dans la neige son 7 eme Rallye de Monte-Carlo.

Pourtant, j'ai vu monter personne.

C'est France -Info, avec sa vieille rengaine déguisée en sonate qui me disait tout ça dans mon sonotone. Sonne, automne. Faits d'hiver.

 

C'est juste qu'il neigeait.

Que j'étais en panne, englué dans la poudreuse, verglas, tracas. « Embarras de circulation », on appelle cela.

Bloqué en forêt, sous les sapins drus comme une érection chez Marc Dorcel. Sapins noirs, avec un chapeau blanc sur la cime. Le faîte. Sortir couvert, ne pas prendre froid. Dites, vous le faites extrait ou quoi ?

Il me restait donc douze heures à philosopher avant le redoux. Avec juste une bouteille d'eau et la radio. Douze heures avant le passage du chasse-neige, du laitier ou de n'importe quoi capable de tirer ma chignole de ce mauvais pas.

Histoires de givrés. Glaciation. Glasnost. Brèves de chez Léonid. Pas de comptoir, juste de la glace.

 

La radio, avec « les neiges du Kilimandjaro, où tu pourras dormir bientôt ».

Et les nouvelles, ça se ramasse à l'appel. Poudre de poudreuse. Bédouins, fellouzes, rezzous. Opération Serval.

Le serval, c'est un petit ocelot du désert. C'est beau, avec des oreilles pointues plus grandes que le reste du bonhomme et un air toujours inquiet.

Dans mon auto engluée, je guette les ocelots et les lynx, leur cousins des forets Mais ils ne sont pas venus. On n'était pas félin pour l'autre.

 

Mais le serval, lui, il a entendu les hélicos. Les pâles à brasser l'air chaud. Commando. Sable chaud, mon légionnaire, Bulomarer.

Pas pu ramener l'ami.

« Tu vas mourir bientôt  ». Deux mort au tapis, visage pâle, noir de fumée.

« Elles n'ont jamais été si blanches, les neiges du Kilimandjaro ».

Le fond de l'air effraie. Les ombres de ceux qui sont partis portent plus loin que les vivants.

 

Les nouvelles, c'est chaud, en ce moment. Ca me réchauffe l'habitacle. La radio parle aussi d'un mec qui voulait s'ouvrir les veines et puis le gaz aussi, à Asnières, dans sa cité lacustre à broyer des fadaises.

Il approche le briquet, veut faire une torchère de sa petite vie, petit passant avec plein de soucis. Mais il entend la radio : prise d'otage dans le midi, enfin en Algérie...80 macchabées, complexe gazier.

Est-ce que ça vaut encore le coup ?

De se foutre en l'air, je veux dire. Non, du coup, il a plus envie. A gagné 1000 vies. Les autres, mille vierges. Cul sec.

C'est comment, une vierge ? Me souviens déjà plus.

De toutes façons, personne ne l'aurait cru, ce type avec son briquet : ils ont bien dit à la radio que ca sentait le gaz dans toute la Normandie et la région parisienne. Pas de quoi s'inquiéter. Le torchon brûle dans la torchère, cette vieille mégère.

 

Ensuite, j'ai voulu lire pour passer le temps, à la lueur du plafonnier. Araignée dans le plafond. « Extension du domaine de la flûte », ça s'appellait, je crois bien. J'ai balancé le livre au bout de 20 lignes et remis la radio.

 

C'était Jack Daniel. Euh non... Pascal Danel. Avec une vieillerie, juste pour nous faire du mal : « Les neiges du Kilimandjaro ». Hemingway, whisky, petites pépées. « Je veux t'aimer à mon idée  », qu'il disait.

Et moi qui n'ai plus d'idée, ca tombe mal.

 

Ce Danel, tout de même... Il voulait laisser la neige aux romantiques...

Pfftt... Roule, on te dit.

 



16 réactions


  • In Bruges In Bruges 23 janvier 2013 09:52

    Onirique et elliptique.
    Superbe.


  • Gabriel Gabriel 23 janvier 2013 10:11

    Je viens d’apercevoir le lapin traversant la route de votre paysage. Qu’il est agréable de lire les délires poétiques d’une si belle plume. Les œufs montés en neige, le blanc cas’ sur le comptoir refaisons le monde à votre manière, sur un air de pipeau, à la Lewis Caroll. 


  • voxagora voxagora 23 janvier 2013 12:08

    .

    Quand ce ne sont pas les bouchons qui vous empêchent d’avancer,
    c’est la neige qui vous coince dans l’habitacle.
    Le scooter, là ne serait d’aucun secours.
    Plutôt s’échapper en laissant filer la pensée. Et partager avec nous, bonne idée.


  • Vipère Vipère 23 janvier 2013 12:47

    Bonjour à tous

    A très exactement 4 h 13 du matin, je me réveillais, raidie par le froid. Des frissons glacés parcouraient mon corps. Je me redressais légèrement sur le côté, jambes recroquevillées, j’allongeais le bras vers la poignée, fixée au plafonnier, côté conducteur. De la main gauche, j’allumais la veilleuse.
    Je pus me redresser complètement en me cramponnant à la poignée passager et m’asseoir sur le siège et enfin déplier mes jambes engourdies et douloureuses que je massais tant bien que mal.
    Au bout de dix minutes, la circulation sanguine irriguait à nouveau normalement mes membres, les douleurs s’estompèrent peu à peu, la souplesse regagnait mes muscles, mes mâchoires se desserraient et je cessais de claquer des dents.
    La buée sur la vitre de la voiture formait un voile léger et opaque, m’enveloppant comme dans un berceau d’enfant, une citadelle providentielle et inespérée protégeait l’ intimité de mon habitacle.
    Sur la vitre embuée je dessinais, un smiley que j’effaçais aussitôt pour regarder au-dehors. Je ne distinguais plus la lumière des lampadaires environnants qui s’étaient éteint. Seule l’enseigne au loin diffusait un halo de lumière bleuâtre, perçant la nuit noire. Le parking de cette grande surface était mon terminus. J’aurais pu tomber plus mal, en rase campagne, loin de tout. Finalement, le hasard avait plutôt bien fait les choses. La galerie commerciale disposait d’une cafétéria, de plusieurs boutiques de vêtements, d’une blanchisserie, d’un coiffeur, d’un opticien, d’une pharmacie et d’un salon de thé. J’avais tout sous la main. Mon optimisme remonta en flèche. Plus que quelques heures à attendre pour me réconforter avec un premier café.
    J’allumais, la radio, toujours les mêmes sempiternelles causeries politiques sur France Info, je changeais de station et dans la nuit, sa voix grave jaillit, il me sembla qu’elle ne chantait que pour moi, Lhassa de Sela :

    "La route chante
    Quand je m’en vais
    Je fais trois pas...


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 23 janvier 2013 12:52

    Extension du domaine de la flute : Ou est le bec ?


    • Gabriel Gabriel 23 janvier 2013 13:23

      Excellente observation qui n’est pas plate dans sa forme ni élémentaire dans sa particule, comme quoi, il en a la possibilité ...


    • Sandro Ferretti SANDRO FERRETTI 23 janvier 2013 20:03

      @Aita et Gabriel (qui posent de bonnes questions) :

      Dans mes rêves irlandais les plus fous, avec mes vieux potes O’Nirisme et Well Bek, on marche à travers la lande avant qu’on nous pende, et on se fait jouer du pipeau debout par Frigide Cageot.

      Par une nuit sans lune, sans une seule carte pour nous indiquer le territoire. Pas même une petite particule élémentaire. Rien, je vous dis.Juste cette vieille Frigide qui voudrait nous dire qu’on le vaut bien, mais qui a la bouche pleine.

      Ca floconne de partout et je lui chante :

      « Que n’ai-je appris la luge

      Que n’ai-je appris à skier

      Sans me soucier du déluge

      De la texture des glaciers

      Que n’ai-je glissé

      Que neige fondue

      Sur ton balconnet.. »

      (Alain Bashung/ Jean Fauque)


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 23 janvier 2013 20:18

      Tomber sur une Frigide en Eire ,t’as vraiment de Pogues .....


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 23 janvier 2013 20:32

      .....vraiment pas de .....


  • Yohan Yohan 23 janvier 2013 13:19

    Salut Sandro, 

    Jolie saillie sur la ouate d’hiver qui, en ville, se transforme vite en soupe sale. 
    24 heures pour rêver, 1 semaine pour éponger.... smiley On se demande d’où vient toute cette saleté.....

  • rocla (haddock) rocla (haddock) 23 janvier 2013 17:34

     tombaient les  blancs flocons . 


    Qui qui mange là-haut  ?  le vieil homme et la mer ? 

    It’s a long way ...

  • siatom siatom 23 janvier 2013 20:13

    @ Sandro
    Le serval, c’est un petit ocelot du désert. C’est beau, avec des oreilles pointues plus grandes que le reste du bonhomme et un air toujours inquiet.
    Rien a jeter dans ce texte ouaté mais vous connaissez mon pointillisme en matière de félins , le Serval auquel j’ai revé pendant 20 ans durant mon séjour au Mali est un animal de la savane et non du désert, pour le reste, la description est tout à fait conforme.Et puisque je ne peux jamais m’empecher de ramener ma pseudo science féline, sachez qu’il est possible de partager sa vie avec un Savannah croisement d’un Serval avec un chat dit européen , voire avec un Bengal. Mais peut être le saviez vous déjà. ? 


  • Sandro Ferretti SANDRO FERRETTI 23 janvier 2013 20:57

    Merci à celles et ceux qui ont apprécié ces quelques mots floconneux et ces idées diluées.

    @Siatom : J’adore les félins, mais je ne connaissais pas le Savannah, qui semble étre un bâtard majestueux.

    Je savais que Dali avait domestiqué un ocelot, et en leur temps les sphinx des guêpards (pour aller chasser), mais non, j’ignorais pour le Savannah.

    Désolé d’avoir confondu l’écho de Savanes avec le désert (« désert, des grands airs... » disait Noir Désir)


  • COVADONGA722 COVADONGA722 24 janvier 2013 20:33

    yep Sandro , un flocon de neige dans les miasmes ambiants , un flocon de neige sur l’humus de lassitude qui nous recouvre j’arrive comme les carabiniers mais la saveur du texte est restée yep

    Et le vieil homme entra dans un long hiver....


    Asinus : ne varietur
     


  • Sandro Ferretti SANDRO FERRETTI 24 janvier 2013 21:59

    Bonsoir Asinus,

    Je sais que les flocons parviennent rarement jusqu’à la Joliette, mais que les mots salés d’ O Khayyam , si.

    Je sais que vous aimez aussi ce vieux Docteur Destouches, alors je vous présente mes meilleurs voeux avec cette phrase à lui :

    « la nostalgie, c’est rien dont on ne puisse guérir en tirant un coup ».

    Portez-vous bien.

     


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