mardi 21 octobre 2008 - par Francis, agnotologue

Faut-il moraliser le capitalisme ?

"En politique le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal" (Machiavel). Alors, faut-il moraliser le capitalisme ou se contenter de moraliser les capitalistes ? La question est saugrenue ? Pas tant que ça, la preuve.

Lundi 20 octobre, Alain Gérard Slama, intervenant matutinal sur France Culture, paraphrasant Rabelais a introduit sa chronique consacrée à la moralisation du capitalisme, par ces mots :

"Science conscience ruine de l’âme". On notera au passage le contenu lapidaire ainsi que le contresens que cette formule à l’emporte-pièce peut induire. Passons.

En écrivant "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme", l’auteur de Pantagruel ne pouvait considérer autre chose que la conscience du chercheur et non pas celle de la science, laquelle, cela n’aura échappé à personne, serait difficile à trouver dans la science ou dans l’alchimie (1).

Faisant alors un parallèle entre cette citation dénaturée donc, "Science conscience ruine de l’âme" et la thèse d’André Comte-Sponville relative à l’amoralisme du capitalisme (2), notre chroniqueur s’est fait le chantre de l’idée que seuls les hommes sont dotés d’une conscience morale, et qu’on stériliserait la science à vouloir la moraliser - comprenne qui pourra la contradiction, mais l’avocat du diable n’a que faire de rigueur intellectuelle, c’est bien connu. Et il ne s’étendra guère non plus sur ce qu’il entend par "moraliser la science", et pour cause.

Mais poursuivons. Pas davantage non plus, André Comte-Sponville n’attribue aucune conscience au capitalisme quand il écrit :

"Si l’éthique était source de profit, ce serait formidable : on n’aurait plus besoin de travailler, plus besoin d’entreprises, plus besoin du capitalisme – les bons sentiments suffiraient. Si l’économie était morale, ce serait formidable : on n’aurait plus besoin ni d’Etat ni de vertu – le marché suffirait. Mais cela n’est pas… C’est parce que l’économie (notamment capitaliste) n’est pas plus morale que la morale n’est lucrative – distinction des ordres – que nous avons besoin des deux. Et c’est parce qu’elles ne suffisent ni l’une ni l’autre que nous avons besoin, tous, de politique." (2)

Mais cela Alain Gérard Slama l’ignore ou feint de l’ignorer : "il ne faut pas moraliser le capitalisme cela le stériliserait" dit-il, ici encore au mépris de la rigueur, et en ajoutant triomphalement : "mais il faut moraliser les capitalistes". Traduction : il ne faut rien toucher aux règles du système - CQFD.

Frédéric Lordon écrivait dans Le Monde diplomatique d’avril 2006, avant la crise donc (3) :

"La défaite historique du socialisme a favorisé l’idée qu’une économie ne saurait être organisée depuis un centre unique (…) Or, puisque l’ordre décentralisé a fait ses preuves dans le domaine économique sous la figure du « marché », disent déjà certains, pourquoi ne pas en finir avec l’Etat (…) ? Mais, au fait, une fois l’Etat disparu, et l’ordre politique pareil au marché, quel motif convaincra les agents privés de s’engager dans le financement des besoins collectifs ? La réponse américaine est déjà prête : c’est la morale."

Chacun sait depuis toujours, et surtout en cette période de crise aiguë qu’il est parfaitement possible d’établir des règles plus justes, mais qu’il est illusoire de vouloir moraliser les capitalistes, ainsi que l’écrit Samir Amin, économiste et président du World Forum for Alternative (4) :

 "Le capitalisme contemporain est devenu par la force de la logique de l’accumulation, un "capitalisme de connivence". Le terme anglais "crony capitalism" ne peut plus être réservé aux seules formes "sous-développées et corrompues" de l’Asie du Sud-Est et de l’Amérique latine que les "vrais économistes" (c’est-à-dire les croyants sincères et convaincus des vertus du libéralisme) fustigeaient hier. Il s’applique désormais aussi bien au capitalisme contemporain des États-Unis et de l’Europe. Dans son comportement courant, cette classe dirigeante se rapproche alors de ce qu’on connaît de celui des "mafias", quand bien même le terme paraîtrait insultant et extrême".

(1) Rabelais dit avoir puisé cette maxime dans "Le Sage Salomon", un recueil du Moyen Âge.

(2) Dernier paragraphe de son excellent ouvrage : "Le Capitalisme est-il moral ?" édité en 2006 au Livre de Poche, André Conte-sponville.

(3) "Invasion de la charité privée" par Frédéric Lordon, http://www.monde-diplomatique.fr/2006/04/LORDON/13372

(4) L’Europe s’est alignée sur les États-Unis, avec son "capitalisme de connivence" et riposte en ayant recours au moralisme et au gouvernement des juges. Seule une remise en question totale du système capitaliste pourrait y mettre fin. http://www.marianne2.fr/La-gauche-europeenne-desarmee-face-au-systeme_a89094.html



109 réactions


    • sisyphe sisyphe 22 octobre 2008 00:29

      							par frédéric lyon (IP:xxx.x9.41.109) le 22 octobre 2008 à 00H24 							
      							

      															
      							
      								

      Sisyphe, c’est un peu embettant ce que tu nous dis-là, car il y a sur différents fils d’Agoravox plusieurs messages de toi dans lesquels tu nous a mis un lien avec le site de "Solidarités et Progrès".

      Eh bien, mais, mon cher Lyon, si tu n’es pas un affabulateur ou un menteur, tu vas te faire un plaisir de nous ressortir ces messages !

      Allez, je suis sympa : je te file 10€ par message ; juré, craché, devant témoins...

       smiley
      							

    • sisyphe sisyphe 22 octobre 2008 00:31

      ... Mais si tu n’en trouves aucun, tu perds quoi ? 

      Tu t’engages à reconnaître que tu es un con ? 
       smiley


    • Le péripate Le péripate 22 octobre 2008 00:49

       Vaut-il mieux être un con, ou un salaud ?


    • sisyphe sisyphe 22 octobre 2008 01:03

      J’aurais bien répondu "les deux, mon capitaine", pour rigoler..
      . mais comme ça risque d’être mal pris, je dirai ; ni l’un, ni l’autre, mon cher...

      Malheureusement, ce sont toujours les salauds qui profitent des cons... comme dans l’ultralibéralisme...
       smiley


    • Le péripate Le péripate 22 octobre 2008 01:31

       Ou bien plutôt comme dans le socialisme, le collectivisme, l’étatisme, le conservatisme... liste non exhaustive.


    • sisyphe sisyphe 22 octobre 2008 12:22

      Autrement, il y a les cons qui soutiennent les salauds...
      ... sans viser personne... (quoique...)
       smiley


  • saint_sebastien saint_sebastien 22 octobre 2008 10:37

    Très bonne question , j’ai tendance à penser que le problème du capitalisme, c’est l’intervention étatique partinase. On le voit avec l’histoire de Free et la license 4G , pour faire plaisir au proches du pouvoir on refuse la concurrence dans un secteur ou les acteurs s’entendent sur les prix. Pareil dans d’autres secteurs , les industriels ont bien compris qu’ils devaient modifier les lois en leur faveur. Le problème n’est donc pas de fixer des règles , le problème est que ceux qui les fixent ne sont pas interessés par la libre concurrence mais vont essayer de privilégier tel ou tel industriel. C’est de cette façon par exemple que Rupert Murdock a étendu sont empire , il soutient un parti corrompu et obtient de lui ce qu’il veut en cas de victoire. Les regles du libre échange et de la concurrene sont donc faussés.

    On pourrait aussi parler de la politique de subvention agricole des pays occidentaux , il est vrai que l’agriculture est un secteur stratégique cependant cela coute par exemple moins cher à certains états africains d’importer du blé du nord que d’en produire, et eux n’ont pas les moyens de soutenir leurs paysans.

    Bref , on peut dire que le vrai libéralisme na jamais été appliqués , puisque la concurrence n’est jamais parfaite.


    • Francis, agnotologue JL 22 octobre 2008 11:17

      @ Saint-Sébastien : ""Bref , on peut dire que le vrai libéralisme na jamais été appliqués , puisque la concurrence n’est jamais parfaite.""

      Et c’est sans doute tant mieux parce que le libéralisme pur et dur est une folie qui mène inévitablement à une catastrophe. Le libéralisme pur et dur, c’est la folie au pouvoir. Mais cela n’est pas suffisant pour éviter les catastrophes.

      "Oui à une économie de marché, non à une société de marchés", ça veut dire qu’il y a des secteurs de l’économie qui doivent être préservés. Le système financier a permis d’amasser de telles fortunes de rémunérer le capital dans une proportion extrême qu’il faut pour lui donner de l’oxygène lui livrer tous les services publics. Mais le système capitaliste est autophage, j’ai sous les yeux la couverture de l’ouvrage de Patrick Artus et Marie-Paule Virard : "Le capitalisme est-il en train de s’autodétruire, publié il y a plus d’un an, couverture qui représente un serpent qui mange son extrémité caudale.

      Et c’est à ce capitalisme là que les gouvernements occidentaux sont en train de donner toutes les clés de la maison !


    • Gilles Gilles 22 octobre 2008 14:55

      Jl

      Jack London a écrit en 1907 un roman, le Talon de Fer, prémonitoire pour certain, où déjà certains de ses personnages socialistes annoncent que le capitalisme est au pied du mur.... on y lit moult fois la formule : "le capitalisme contient les germes de sa propre destructions" ...... Mais la suite du roman montrèrent qu’ils avaient tord, du moins partiellement, puique c’est le fascisme qui s’est révélé être la "solution" aux déviances du capitalisme (espérons que ce n’est pas prémonitoire, quoique...)

      Un résumé :

      Il met en lumière, notamment à travers diverses aventures individuelles qui lui donnent vie, la soumission fondamentale de l’ensemble du système capitaliste aux intérêts de la classe économiquement dominante, et ce alors que le capitalisme se doit de donner sans cesse l’illusion de reposer sur des structures démocratiques transparentes. Jack London montre comment la presse, la justice, le système éducatif et les institutions politiques, une fois dégagés des formes de l’indépendance dont ils se parent, se révèlent être puissamment verrouillés.

      Rien de nouveau depuis un siècle dirait-on !


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