lundi 9 septembre 2019 - par Sandro Ferretti

Faut-il tuer Souchon ?

Après 11 ans de silence, en pleine crise de la déforestation brésilienne, « la souche » revient à 75 balais au milieu des jeunes pousses, avec trois inédits en teasing d’un album à paraitre le 18 octobre (« âmes fifties ») et un concert à Paris, du 14 au 17 novembre. Est-ce bien raisonnable ? Parce que tout de même, le temps passe. « Putain, ça penche » nous chantait l’intéressé lui-même il y a quelques temps. « Le temps c’est détergent, regarde comment ça nettoie les gens », c’est quand même bien lui qui nous la chantait, non ? Et surtout, y a-t-il encore un public en France pour des gens comme Souchon ? Parce que le mec, il a même pas de tatouage ni de boucle dans le nez, y fait pas de gonflette et y cause français, une langue rare ou en voie de le devenir. Et puis tout de même, tel Vassiliu, il est drôlement bizarre, le gars, avec son élégance désenchantée, sa noirceur légère - version qui veut pas nous ennuyer- et ses cheveux rares et louches. Y cherche les ennuis ou quoi ?

En plus, ce mec n’est pas sérieux : pas un procès aux fesses, pas de baston au duty free d’Orly avec Bernard Lavilliers pour un regard de biais, pas la moindre maquilleuse ou assistante qui se souviendrait, 10 ans après, s’être fait sodomiser sans préparation dans l’euphorie générale du soir de l’élection de François Hollande… Nan, ce mec n’est pas humain.

« Faut l’enlever de là », comme on dit chez les voyous. 

 

Oui, parce que 11 ans, c’est pas rien. C’est le temps d’aller voir sous les jupes des filles, de rencontrer une blonde, se marier, faire des enfants, divorcer, se ruiner en pensions alimentaires et autres prestations compensatoires. Et tomber dans l’addiction aux Graves (le vin de la situation), au stretching, au trecking sur le GR 20, aux injections de CAC 40, aux encartages à la REM, bref des trucs qu’on fait lorsqu’on ne va pas bien. Parce que, comme il le dit joliment dans « un terrain en pente », la vie c’est raide, « pour monter le machin, faut prendre des trucs »…

 

Donc le voilà qui revient, le Souchon, nous remettre trois parties dans le jux-box, nous jouer sa petite musique sur le temps qui passe et nous avec. Parce que depuis le temps, la faucheuse, en patrouille dans sa vieille Camaro noire, elle en a ramassé, des parrains. Des Bashung, des Higelin, des Léotard, des « aux armes etcetera ».

Ouais. A présent que les grands arbres sont tombés, les jeunes pousses ne se sentent plus dans la clairière. Va y avoir du rififi. Alexis HK (un mec brillant) l’a bien compris, il le chante ici dans « les affranchis » (NDLR : super clip et le plaisir de voir l’ami Jean Fauque à la table du clan des pieds-noirs).

 

Et donc, comme est-ce, ce dernier Souchon ?

Sobre. Comme d’habitude.

Faussement simple. Toujours chez lui une modestie – apparemment non feinte- pour nous laisser croire que « bourré, j’en fais autant ». Alors que pas du tout.

Toujours ce don de dire sans crier, sans maux dire, chanter de loin, l’air de rien. Ne pas nous embêter avec sa nostalgie, peut-être même sa noirceur tenue en laisse (va savoir quand tu ne sais pas…).

Souchon n’est pas assez « sudiste » pour plaire aux « marseillais des anges de la télé-réalité »…

Il est trop Malo Bray-dune (« le baiser », avec la fameuse Audi du mari..), trop mer d’Iroise, trop le Crotoy. Souchon a un côté belge, proche de l’absurdie, de Magritte et ses pipes, de l’entarteur Godin, mais en costume…Parka huilée où ricoche la pluie, toujours dans la nuance, la culture du presque, les camaïeux de gris, jamais dans le noir et blanc.

Souchon, on l’aime bien, et il le sait.

C’est, à l’instar de son titre « Presque », le mec qui parle à ceux qui ont presque réussi leur vie, presque trouvé la femme qui vous venge de tout, presque réussi à se sortir du fossé des éclopés de la vie.

 

En « pin-pon » dans « l’été meurtrier », c’était déjà le grand pompier dégingandé et niais qui croyait pouvoir éteindre tous les incendies de la miss Adjani, alors qu’on voyait bien que c’était peine perdue.

Pas qu’une question de longueur de tuyau.

Souchon, c’est le mec à qui on a envie, comme un gamin lors de ses premiers films d’horreur, de crier au héros « fais gaffe, derrière toi ! » quand les méchants arrivent.

De lui dire aussi : fais gaffe aux belles sournoises, la fille de la Grand place de Lille, elle est trop belle, elle va te faire du mal…

Trop tard.

 

Il y a aussi ce petit bijou tout simple, « un terrain en pente ». Il la chante guitare-voix en faisant couiner sa Takamine. Le morceau m’a aussitôt fait penser, toute proportions gardées, à une version françisée (j’ai pas dit « franchouillarde ») de « the Ghost of Tom Joad » de Springsteen, elle aussi guitare-voix sur les« tramp ». Peinture sociale légère, sans lourdeur ni dogmatisme.

 

Voilà, c’était presque un article.

Un truc pour ne rien dire, plutôt pour dire l’inverse. Qu’on ne voudrait pas que vous preniez froid  (vous savez, comme dans « avec le temps »), mais surtout qu’on ne sait pas bien s’il y aura d’autres cellules « souches » dans les années à venir, ni surtout un public pour apprécier et acheter.

 

Bref, Souchon ne vaut rien, mais rien ne vaut Souchon.

 

 

 

Crédit photo : Eric Catarina, pour l’agence Gamma




Réagir