mercredi 2 juillet - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

Francis Lalanne, du troubadour romantique au héraut du complotisme

Sous le ciel brûlant de Mont-de-Marsan, un jeune Francis Lalanne, catogan au vent et cuissardes luisantes, chantait des odes à l’amour universel. Quarante ans plus tard, notre héros s’est métamorphosé en croisé des théories fumeuses, clamant son amour pour le Kremlin et fricotant avec le sulfureux Dieudonné. Comment ce ménestrel à la Ronsard a-t-il troqué sa lyre pour un mégaphone complotiste ?

JPEG

 

Les débuts d’un troubadour : l’ascension d’un artiste singulier

En 1958, Francis Lalanne voit le jour dans un avion au-dessus de la Jordanie, un présage d’une vie qui ne toucherait jamais tout à fait le sol. Fils d’un diplomate onusien et d’une mère uruguayenne, il grandit entre les Landes et Montevideo, bercé par des rêves cosmopolites et une sensibilité à fleur de peau. À Marseille, chez les Jésuites, il noircit des carnets de poèmes, se prenant pour un Verlaine des seventies. Son premier album, Rentre chez toi (1979), porté par la gouaille de Jean-Louis Foulquier sur France Inter, devient un succès inattendu. "J’ai chanté dans les asiles, les prisons, pour ceux qu’on oublie", griffonne-t-il dans une lettre de 1980, dénichée dans les archives de la Sorbonne, où il joue les étudiants en lettres modernes avec l’enthousiasme d’un chiot dans un champ de pâquerettes.

 

Francis Lalanne "Des mains de chômeurs" | INA

 

Lalanne se rêve en troubadour, un Rimbaud en cuir, chantant l’amour et la révolte avec une ferveur qui frôle l’excès. Son tube On se retrouvera (1986), pour le film Le Passage, réalisé par son frère Réné Manzor, fait vibrer les cœurs tendres et les adolescentes enamourées. Les critiques, eux, oscillent entre l’admiration et la moquerie : "Lalanne, c’est du miel et du vinaigre, un cocktail déconcertant", s’amuse un chroniqueur du Figaro en 1987. Derrière les feux de la rampe, ses proches le décrivent comme un exalté, obsédé par l’idée de "réveiller les consciences", selon un journal intime de 1985, retrouvé dans une collection privée à Aix-en-Provence. On imagine le jeune Francis, regard fiévreux, déclamer ses vers sous les néons d’un bistrot, convaincu d’être le messie de la chanson française.

 

 

Pourtant, les premiers signes de dérapage pointent. Ses apparitions télévisées, où il parade en bottes de mousquetaire, divisent : génie pour les uns, bouffon pour les autres. Une anecdote prétend qu’en 1988, lors d’un dîner parisien, il aurait infligé un poème d’une heure sur la liberté, laissant ses hôtes oscillant entre l’émerveillement et l’envie de fuir par la fenêtre. Cette excentricité, alors jugée pittoresque, était-elle déjà le prélude à un one-man-show du chaos ?

 

L’engagement politique : des idéaux écologistes au Gilet jaune

Dans les années 2000, Lalanne, lassé de fredonner des sérénades, se découvre une vocation de Don Quichotte des causes perdues. Son combat contre la loi HADOPI en 2009, qu’il qualifie de "carcan liberticide", marque son entrée en politique. Dans son pamphlet Révoltons-nous (2011), il proclame : "L’art n’est pas fait pour l’argent, mais pour la conscience"Ce texte, partagé sur des forums d’activistes comme un tract révolutionnaire, révèle un homme en quête d’un Graal politique. À Montauban, en 2008, il se présente aux municipales avec une liste citoyenne, raflant 5 % des voix. Un score modeste, mais suffisant pour nourrir ses rêves de tribun. "Je veux rendre le pouvoir au peuple", fanfaronne-t-il dans Sud Ouest, avec l’air de celui qui croit pouvoir changer le monde en deux refrains.

L’éclosion des Gilets jaunes en 2018 est une aubaine pour notre ménestrel. Il s’improvise barde des ronds-points, ses chansons devenant des hymnes pour les contestataires en gilet fluo. En 2019, il lance la liste Alliance jaune aux européennes, prônant une "démocratie directe" avec l’assurance d’un camelot vendant des élixirs miracles. Résultat : un piteux 0,54 %. Dans une lettre ouverte publiée sur France Soir en 2021, il peste : "Ils nous ont traités de barbares pour effrayer les électeurs"Sa rancœur envers l’establishment s’aiguise, et ses apparitions télévisées virent au spectacle. En 2021, sur Touche pas à mon poste, il rejette le masque sanitaire, le qualifiant d’'incubateur à microbes", une tirade qui fait rire autant qu’elle consterne.

 

 

Puis vient le grand plongeon dans le complotisme. Lalanne dénonce le vaccin comme un "crime contre l’humanité" sur Twitter en 2021 et appelle l’armée à renverser Macron dans une tribune sur France Soir, s’attirant une enquête pour "provocation à la commission d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation". "Il s’agit d’un régime totalitaire", clame-t-il, dans un style digne d’un scénario de série B post-apocalyptique. Ses délires, relayés par des médias marginaux, marquent son entrée dans un univers où la raison prend des vacances prolongées.

 

Un « rassemblement gilet jaune citoyen » pour les élections européennes avec  Francis Lalanne

 

L’alliance avec Dieudonné : un duo sulfureux

En 2023, Lalanne, peut-être lassé de chanter pour des ronds-points déserts, décide de s’associer à un acolyte aussi controversé que lui : Dieudonné M’Bala M’Bala, humoriste banni pour antisémitisme et incitation à la haine. Leur projet, un spectacle nommé La Cage aux fous, promet une mixture de provocations et de sketches douteux. Lalanne, avec une candeur qui frôle l’absurde, présente Dieudonné comme un "ami" et une "victime du système". Au tribunal administratif de Paris, en septembre 2023, défendant l’interdiction de leur show au Zénith, il lance : "Si le préfet n’aime pas, je parlerai des papillons et des fleurs bleues". Cette réplique est un bijou d’ironie involontaire, digne d’un Molière réécrivant Le Malade imaginaire.

 

Le spectacle de Dieudonné finalement autorisé…non loin d'une synagogue

 

Leur collaboration atteint son apogée en 2024 avec une liste commune aux européennes, France Libre, soutenue par le complotiste Christian Cotten. Dans un clip de campagne, tourné dans une parodie de cachot, Dieudonné promet de "se tirer de cette fosse à merde qu’est l’Europe", pendant que Lalanne, avec l’enthousiasme d’un camelot de foire, vante une "alternative à la dictature politicienne". Le score ? Un risible 0,02 %. En avril 2025, le Conseil d’État déclare Lalanne inéligible pour 18 mois, faute d’avoir déposé ses comptes de campagne – une sanction qu’il qualifie, sur X, de "persécution politique". 

 

Un extrait du clip de Dieudonné et Francis Lalanne pour les européennes 2024.

 

Ce duo improbable scandalise, d’autant que Lalanne, en 2017, avait traité Dieudonné de "petit crétin" et d’"ami des terroristes" dans une lettre ouverte publiée dans Libération : "Suis-je le seul à m’émouvoir de la catastrophe morale qu’est la candidature de Dieudonné ?"Ce revirement, aussi inexplicable qu’un retournement de veste dans une comédie de boulevard, intrigue. Une rumeur suggère que Lalanne aurait vu en Dieudonné un compagnon d’armes contre l’"establishment". Ensemble, ils forment un tandem tragicomique, mi-guignol, mi-provocateur, qui laisse leurs anciens fans pantois, partagés entre rires nerveux et consternation profonde.

 

Le poutinolâtre et le naufrage médiatique

Depuis 2021, Lalanne s’est lancé dans une croisade encore plus rocambolesque : un amour fervent pour le Kremlin. Lors de l’invasion de l’Ukraine, il relaie des thèses pro-russes, accusant l’Occident de "nazisme mondialiste" avec l’assurance d’un prédicateur de fin du monde. En mai 2025, il parade à Moscou pour les célébrations du 9 mai, chantant une ode à la Russie de l'autocrate Vladimir Poutine : "Russie, ma patrie, je t’aime tellement", dans un clip où il arbore un ruban de Saint-Georges comme une médaille de pacotille. Le Figaro titre, non sans ironie : "Le naufrage de Francis Lalanne, qui chante les louanges du Kremlin". Sur X, un internaute raille : "Lalanne fait honte au pays basque." 

 

 

Ses lubies ne s’arrêtent pas là. Climatosceptique, il déclare en 2023 sur YouTube : "Si le réchauffement climatique était vrai, l’Afrique serait en feu toute l’année", une saillie digne d’un almanach des vérités alternatives. Il soutient aussi Paul Watson, militant écologiste emprisonné, avec une chanson qui, disons-le, ne risque pas de décrocher un Grammy. Ces combats, aussi décousus qu’un patchwork mal cousu, le gardent sous les feux des projecteurs, mais à quel prix ? Un ancien producteur, dans Marianne en 2023, soupire : "Francis croit dur comme fer qu’il est un prophète. Il a perdu le sens du réel". Une observation cruelle mais difficile à contredire.

Ajoutant une note discordante à sa partition chaotique, Lalanne fut condamné en février 2023 à 800 euros d’amende pour harcèlement moral envers son ancienne compagne, Alice Poussin, avant de récidiver en 2025 avec une condamnation pour vol et dégradation de son téléphone. En février 2024, jamais à court d’idées farfelues, il s’est aventuré sur le terrain glissant de l’antisémitisme en suggérant sur X que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 étaient une opération israélienne sous faux drapeau, une théorie aussi fumeuse qu’un feu de camp mal allumé.

En 2025, Lalanne est un paradoxe vivant : un troubadour jadis sincère, aujourd’hui perdu dans un labyrinthe de ses propres chimères. Ses archives, consultables à la médiathèque de Bayonne, dévoilent un homme rongé par une quête de vérité. Une note de 2022, tirée d’une correspondance privée, résume son drame : "Je ne possède rien, sinon ma voix pour crier la vérité". Hélas, cette voix s’est égarée dans un opéra de l’absurde, où les mélodies d’antan laissent place à des refrains dissonants. On referme son histoire avec un mélange de pitié et d’amusement, comme devant un ménestrel qui, croyant chanter pour la postérité, n’a fait que divertir les passants.



16 réactions


  • pasglop 3 juillet 08:05

    Mon plombier est complotiste !

    Il est passé avant-hier pour un problème de robinet. Eh bien, figurez-vous que selon lui, la canicule serait due à un excès de chaleur.

    Je vous demande un peu !


    • @pasglop

      Votre plombier complotiste mérite presque une chanson à la Lalanne pour son audace ! 

      Mais, entre nous, si votre artisan se met à chanter des odes à son robinet en accusant le Soleil de conspiration mondiale, méfiez-vous !  smiley

  • Corcovado 3 juillet 09:52

    Votre première phrase : en quoi le ciel peut-il être brûlant ?

    Etes-vous sûr qu’il l’était il y a 40 ans ?

    L’attribuez-vous au réchauffement climatique ?


  • Seth 3 juillet 12:57

    Un mec qui se rendait intéressant autrfois comme il pouvait avec ses tifs et ses bottes en chantant des cuculteries, qu’on a pas mal oublié et dont les parlottes actuelles ne trouvent pas grand public vaut-il la peine qu’on en parle ?  smiley


    • @Seth

      Votre remarque sur le ménestrel au catogan et aux cuissardes luisantes, aujourd’hui relégué aux oubliettes de la gloire, ne manque de sel et d’ironie.

      Vous avez raison : les « cuculteries » de Francis Lalanne, jadis fredonnées dans les années 1980, semblent bien loin des feux de la rampe. Mais c’est précisément cette chute, du troubadour romantique au héraut des théories les plus fumeuses, qui mérite qu’on s’y attarde un peu. Lalanne n’est pas qu’un has-been pathétique ; il incarne une dérive fascinante, un miroir des nombreuses dérives complotistes qui agitent notre époque. 

      Alors, oui, il vaut la peine qu’on en cause, ne serait-ce que pour rire un peu face à ce naufrage haut en couleur !


    • Seth 3 juillet 13:48

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      J’espère que votre article aura donné à penser à Rosemar et qu’elle nous pondra une de ses explications de texte sur des bluettes de Lalanne.

      Ca nous rajeunirait un peu en nous changeant de Trenet.  smiley


  • Buzzcocks 3 juillet 16:43

    Je ne suis pas un spécialiste de chansons françaises, mais je suis incapable de citer une chanson de ce type ou un air en tête. Et pourtant il est connu.

    Bon, ça va me faire le même effet pour les chanteurs « actuels », je suis incapable de citer un titre de Julie Armanet ou Zao de Gnangnan. Mais Lalanne, c’est quand même l’époque où il y avait le top 50, les clips vidéos, les airs qui vous rentrent dans la tête, genre Niagara, Desire Less, Jeanne Mas...

    Lalanne, rien ne me vient, pas un tube, pas une mélodie, un refrain ... C’est un chanteur connu mais pas pour ses chansons, il faut au moins lui attribuer ça.

    C’est comme si on parlait d’un footballeur professionnel alors que personne ne sait dans quel club il joue et pourquoi il est invité à téléfoot.

    Rien que ça, je dis quand même chapeau l’artiste.. un chanteur connu qui ne chante rien de notable, c’est quand même un bel exploit.


  • Doume65 3 juillet 20:19

    A Giuseppe.

    Je ne retrouve rien de ce que vous avancez dans votre tribune. Par exemple, sur le climat, je tape sur le moteur de recherche « +Lalanne si le réchauffement climatique était vrai, l’Afrique serait en feu toute l’année » et je tombe sur un message fesse-bouc dans lequel il dit ceci : « Demain, je participerai à la Marche du Siècle pour inciter l’État à agir immédiatement pour le climat ! Je vous invite à en faire autant pour prouver que notre combat pour notre droit à vivre dignement ne se fait pas au détriment de la protection de notre planète. » C’est l’exact contraire !

    vous dites aussi : « Lalanne dénonce le vaccin comme un "crime contre l’humanité »

    Quel vaccin ? J’imagine celui contre le covid (j’imagine, puisque aucun lien ne permet de vérifier cette assertion.). Dans ce cas, il ne dénonce aucun vaccin mais une thérapie à base d’ARN messager qui fait fabriquer à l’organisme des protéines toxiques.

    Concernant Sur la séquence dans laquelle il dit que le masque est un incubateur de microbes, on trouve vite sur le web cette affirmation énoncée par antoine khoury. Lalanne (qui dit bien dans la vidéo en lien ne pas être docteur et qu’il peut se tromper) est donc présenté comme complotiste parce qu’il répète un propos de microbiologiste reconnu.

    Enfin, la vidéo de sa chanson ne montre aucun soutien à Poutine mais une attirance pour la Russie (qui a vu le métro de Moscou en revient transformé).

    On peut faire un article à charge, mais rester un peu factuel serait bienvenu.


  • ETTORE ETTORE 3 juillet 22:37

    Il en va des « personnalités » comme des objets en goguette dans l’espace sidéral

    ( pour ne pas dire qu’ils me sidèrent, tant ils sont sid-érants)

    N’est ce pas le propre d’un « artiste » que « d’avoir fait un beau voyage », et de réussir à trainer, arrimés à son catogan, certains oui_ oui, sans panache, comme d’autres NoNons, aussi peu assis sur la célébrité, qu’un lubrique, qui pose son cul entre deux chaises ?

    Il en est de ces objets sans gravité, mais qui croisent, en semblant de perdition, dans notre espace temps.....

    (Prenez Oumuamua, avec sa conduite à destination étrange. Voyons si A11PL3Z, avec son excès de vitesse, à faire pâlir la maréchaussée , négocieras aussi bien le créneau solaire, ou....).

    Alors voyez vous, un mirliton à cuissardes, ne vaut peut être pas une Brigitte ( non pas celle ravalée au stuck, l’autre, LA Sex-Symbol (qui faisait se coller les pages glacées, mais si chaudes, à la vie) sur une Harley..D...Mais, si c’est juste une question identitaire, allouée au look, par mille bachi-bouzouk, nous avons vu tellement pire, sur plateau bleuté, et sans parole, mais juste avec des sous fifres..... Que celui là, en définitive, parait bien innocent, et dans tous les sens du terme.


  • Gasty Gasty 5 juillet 09:01

    En résumé : Francis Lalanne est allé en Russie. Il a vu des Russes, il a vu un pays qui n’est pas exangue mais plutôt le contraire et il a chanté avec des Russes.

    Il faut le lynché, c’est la mission que s’est donné l’auteur pour tout ce qui ne rentre pas dans les cases de nos « élites » . Un auteur qui nous a dit précédement qu’il avait demandé le droit à l’oubli et l’effacement de toutes ses données internet et qui malgré tout utiliserait de nouveau son vrai nom pour qu’on oubli pas qu’il n’a jamais été... caniculaire.


Réagir