Gaza : lettre de 45 médecins américains à Joe Biden et Kamala Harris
« Il est inconcevable de fournir des armes à un pays qui tue délibérément des enfants » : 45 médecins et infirmières américains ayant exercé bénévolement dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 demandent un embargo sur les armes à destination d'Israël. Selon leurs estimations, « ce conflit a déjà causé plus de 92 000 morts, soit environ 4,2 % de la population de Gaza ».
« Je n'ai jamais vu de blessures aussi atroces à une échelle aussi vaste, avec si peu de moyens. Nos bombes déciment des milliers de femmes et d'enfants. Leurs corps mutilés témoignent d'une cruauté inouïe. »
— Feroze Sidhwa, chirurgien en traumatologie et soins intensifs
« J'ai assisté à tant de mortinaissances et de décès maternels évitables si seulement les hôpitaux avaient fonctionné normalement. »
— Thalia Pachiyannakis, obstétricienne et gynécologue
« Chaque jour, j'ai vu des bébés mourir. Ils étaient nés en bonne santé. Mais leurs mères étaient si sous-alimentées qu'elles ne pouvaient pas les allaiter, et nous manquions de lait maternisé et d'eau potable pour les nourrir. Ils sont morts de faim. »
— Asma Taha, infirmière praticienne en pédiatrie
« C'est à Gaza que, pour la première fois, j'ai tenu le cerveau d'un bébé dans ma main. Ce fut la première fois d'une longue série. »
— Mark Perlmutter, chirurgien orthopédiste et spécialiste de la main
Source : Feroze Sidhwa
Traduction Alain Marshal
Monsieur le Président Joseph R. Biden, Madame la Vice-présidente Kamala Harris, et Docteur Jill Biden,
Nous sommes quarante-cinq médecins, chirurgiens et infirmières américains ayant offert nos services bénévoles dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023. Nous avons travaillé avec diverses ONG et l'Organisation mondiale de la santé dans les hôpitaux de Gaza. Outre notre expertise médicale et chirurgicale, bon nombre d'entre nous sont formés en santé publique et ont une expérience significative dans des zones de conflit et humanitaires, notamment en Ukraine lors de l'invasion brutale de la Russie. Certains sont des vétérans des forces armées américaines. Nous formons un groupe diversifié sur le plan ethnique et confessionnel. Aucun d'entre nous ne cautionne les atrocités commises le 7 octobre par des groupes armés palestiniens et des individus en Israël.
- [Note d'Alain Marshal : sur ce qui s'est vraiment passé le 7 octobre, voir La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal (Haaretz)]
La Constitution de l'Organisation mondiale de la santé stipule que « la santé de tous les peuples est essentielle à l'instauration de la paix et de la sécurité et dépend de la coopération la plus complète entre les individus et les États ». C'est dans cet esprit que nous vous écrivons.
Nous figurons parmi les rares observateurs neutres autorisés à pénétrer dans Gaza depuis le 7 octobre. Grâce à notre vaste expertise et à notre expérience directe du travail sur place, nous sommes bien placés pour apporter des commentaires sur des questions cruciales alors que notre gouvernement envisage de poursuivre son soutien à l'attaque et au siège de Gaza par Israël. Nous sommes particulièrement qualifiés pour parler de l'impact humain dévastateur de l'offensive israélienne, notamment sur les femmes et les enfants.
Cette lettre résume nos observations directes à Gaza. Une annexe, beaucoup plus détaillée et abondamment sourcée, est disponible sous format PDF via le lien suivant : Annexe des observations médicales sur Gaza. Vous pouvez également consulter cette lettre sous forme électronique à l'adresse suivante : Lettre des médecins sur Gaza.
Notre lettre et son annexe démontrent que le bilan humain à Gaza est largement supérieur à celui perçu aux États-Unis. Nous estimons que ce conflit a déjà causé plus de 92 000 morts, soit environ 4,2 % de la population de Gaza. Notre gouvernement doit agir immédiatement pour éviter une catastrophe encore plus grande que celle qui sévit déjà en Israël et à Gaza. Nous demandons l'imposition d'un cessez-le-feu immédiat entre Israël et les groupes armés palestiniens, en mettant fin au soutien militaire à Israël et en soutenant un embargo international sur les armes destinées à Israël et aux groupes armés palestiniens. Nous estimons que cela relève de l'obligation légale de notre gouvernement en vertu des lois américaines et du droit humanitaire international, ainsi que d'un impératif moral.
Pratiquement tous les habitants de Gaza, ainsi que les travailleurs humanitaires, tant locaux qu'internationaux, sont malades, blessés ou les deux. Il en va de même pour les otages israéliens. Durant notre mission, nous avons observé une malnutrition généralisée, tant chez nos patients que chez nos collègues palestiniens. Chacun de nous a rapidement perdu du poids malgré notre accès privilégié à la nourriture et les compléments nutritionnels que nous avions emportés. Nous disposons de preuves photographiques de la malnutrition sévère, en particulier chez les enfants, et nous sommes prêts à les partager avec vous.
Presque tous les enfants de moins de cinq ans que nous avons rencontrés, que ce soit dans les hôpitaux ou à l'extérieur, présentaient des symptômes de toux et de diarrhée aqueuse. Nous avons également observé des cas fréquents de jaunisse, indicatifs d'une infection par l'hépatite A, chez des patients et des soignants. Un nombre alarmant de nos incisions chirurgicales s'est infecté à cause de la combinaison de la malnutrition, des conditions d'opération déplorables et du manque d'équipements et de médicaments, y compris d'antibiotiques. Les femmes enceintes que nous avons traitées donnaient souvent naissance à des bébés d'un poids insuffisant et ne pouvaient pas les allaiter. Ces nouveau-nés étaient exposés à un risque élevé de décès, notamment en raison du manque d'accès à l'eau potable. Beaucoup sont morts.
Nous vous implorons de prendre conscience de l'urgence épidémique qui sévit à Gaza. Le déplacement constant et forcé de la population malade et mal nourrie par Israël, dont la moitié sont des enfants, vers des zones sans eau courante ni installations sanitaires de base est terriblement alarmant. Nous craignons que cela ne conduise à une mortalité massive due aux maladies diarrhéiques et aux pneumonies, surtout chez les enfants de moins de cinq ans. Des milliers de personnes sont probablement déjà mortes à cause de cette combinaison mortelle de malnutrition et de maladies, et des dizaines de milliers pourraient encore mourir dans les mois à venir, la plupart étant de jeunes enfants.
Les enfants sont toujours considérés comme des innocents dans les conflits armés. Pourtant, chacun d'entre nous a traité des enfants de Gaza victimes de violences manifestement intentionnelles. Nous avons soigné, au quotidien, des préadolescents atteints de balles à la tête et à la poitrine.
Monsieur le Président et Madame Biden, nous aimerions que vous puissiez voir les cauchemars qui hantent tant d'entre nous depuis notre retour : des visions d'enfants mutilés par nos armes, et de leurs mères qui imploraient en vain notre aide. Nous aimerions que vous entendiez les cris et les pleurs qui résonnent encore dans nos consciences. Après avoir vu ce que nous avons vu, il est inconcevable que l'on puisse continuer à fournir des armes à un pays qui tue délibérément ces enfants.
Les femmes enceintes que nous avons soignées étaient particulièrement sous-alimentées. Ceux d'entre nous qui ont pris en charge ces patientes ont régulièrement constaté des mortinaissances et des décès maternels, évitables dans tout autre système de santé. Le taux d'infection après les césariennes était accablant. Certaines de ces femmes ont subi des césariennes sans anesthésie et ont reçu uniquement du Tylenol après l'opération, faute d'autres analgésiques disponibles.
Nous avons tous vu des services d'urgence débordés par des patients cherchant à traiter des maladies chroniques telles que l'insuffisance rénale, l'hypertension et le diabète. Les unités de soins intensifs étaient en grande partie occupées par des patients diabétiques privés d'insuline en raison de la pénurie de médicaments et des pannes d'électricité qui empêchaient la réfrigération. Israël a détruit plus de la moitié des infrastructures de santé de Gaza et tué un soignant sur 40, tandis que les besoins en soins de santé explosaient sous l'effet cumulatif des violences, de la malnutrition et des maladies.
Les hôpitaux dans lesquels nous avons travaillé manquaient de tout : équipements chirurgicaux, savon, électricité et même accès à l'eau potable. Ils étaient souvent surchargés, dépassant de quatre à sept fois leur capacité d'accueil. Ces établissements croulaient sous le nombre de patients gravement blessés, souffrant de maladies chroniques, ou encore des personnes déplacées cherchant désespérément refuge et soins médicaux.
Ces observations, corroborées par les documents publics cités dans l'annexe, nous conduisent à estimer que le nombre de victimes de ce conflit est largement sous-évalué. Nous croyons qu'il existe des preuves flagrantes de violations du droit international humanitaire et des lois américaines sur l'utilisation des armes à l'étranger. Les scènes de cruauté insupportable envers les femmes et les enfants que nous avons vécues resteront gravées dans nos mémoires.
Lorsque nous avons rencontré nos collègues soignants à Gaza, il était clair qu'ils étaient mal nourris, épuisés tant physiquement que mentalement. Nous avons vite compris qu'ils figuraient parmi les personnes les plus traumatisées de Gaza, voire du monde entier. Comme presque tous les habitants de Gaza, ils avaient perdu des membres de leur famille et leurs maisons. La plupart vivaient désormais dans ou autour des hôpitaux avec les survivants de leur famille, dans des conditions inimaginables. Malgré des horaires de travail exténuants, aucun d'entre eux n'avait reçu de salaire depuis le 7 octobre. Tous étaient pleinement conscients que leur rôle de soignants les avait transformés en cibles d'Israël. Cette réalité ridiculise la protection supposée accordée aux hôpitaux et au personnel médical par les dispositions les plus fondamentales et universellement acceptées du droit humanitaire international.
Nous avons rencontré des professionnels de la santé travaillant dans des hôpitaux attaqués et détruits par Israël. Nombre de nos collègues ont été capturés lors de ces attaques. Ils ont tous partagé des récits similaires : en captivité, ils étaient à peine nourris, continuellement maltraités tant physiquement que psychologiquement, puis abandonnés, nus, sur le bord de la route. Beaucoup nous ont décrit des simulacres d'exécution et d'autres formes de mauvais traitements et de torture. Trop nombreux sont ceux qui nous ont confié qu'ils attendaient simplement la mort.
Nous vous demandons de reconnaître qu'Israël a délibérément pris pour cible et dévasté tout le système de santé de Gaza, et qu'il a cherché à tuer, faire disparaître et torturer nos collègues. Ces actes sont totalement contraires aux lois américaines, aux valeurs que défend notre pays, et au droit humanitaire international.
Monsieur le Président, vous avez travaillé avec des jeunes toute votre vie. Nous espérons et prions que vous ne détourniez pas les yeux des horreurs inimaginables que vivent aujourd'hui les jeunes de Gaza, des horreurs que nous, Américains, sommes les seuls à pouvoir arrêter. Nous espérons sincèrement que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour mettre fin à cette tragédie.
Monsieur le Président Biden et Madame la Vice-présidente Harris, toute solution à ce conflit doit commencer par un cessez-le-feu immédiat et permanent. Nous vous exhortons à cesser tout soutien militaire, économique et diplomatique à l'État d'Israël, et à participer à un embargo international sur les armes destinées à Israël et aux groupes armés palestiniens, jusqu'à ce qu'un cessez-le-feu durable soit instauré et que des négociations sincères entre Israël et les Palestiniens aboutissent à une résolution définitive du conflit.
En attendant, nous vous demandons d'agir immédiatement pour garantir les mesures suivantes :
- Tous les points de passage terrestres entre Gaza et Israël, ainsi que le point de passage de Rafah, doivent être ouverts pour permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire par des organisations internationales reconnues. Les contrôles de sécurité sur ces livraisons doivent être menés par un organisme international indépendant, non par les forces israéliennes. Ces inspections doivent se baser sur une liste claire, publique et non ambiguë des articles interdits, avec un mécanisme international permettant de contester ces interdictions, tel que vérifié par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies dans le territoire palestinien occupé.
- Une allocation minimale de 20 litres d'eau potable par personne et par jour doit être fournie à la population de Gaza, comme validé par UN Water.
- Les professionnels de santé, les chirurgiens ainsi que le matériel médical et chirurgical doivent bénéficier d'un accès complet et sans restriction à la bande de Gaza. Cela inclut les équipements apportés dans les bagages personnels des soignants, afin de garantir leur stockage, stérilisation et livraison en temps voulu, comme vérifié par l'Organisation mondiale de la santé. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Israël empêche actuellement tout médecin d'origine palestinienne de travailler à Gaza, même les citoyens américains. Cela bafoue l'idéal américain selon lequel « tous les hommes sont créés égaux » et déshonore notre nation et notre profession. Nos actions sauvent des vies. Nos collègues palestiniens à Gaza ont désespérément besoin d'aide et de protection, et ils méritent les deux.
Nous ne sommes pas des politiciens. Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses. Nous sommes simplement des médecins et infirmières qui ne peuvent garder le silence face à ce que nous avons vu à Gaza. Chaque jour où nous continuons à fournir des armes et des munitions à Israël, des femmes sont déchiquetées par nos bombes et des enfants sont assassinés par nos balles.
Monsieur le Président et Madame la Vice-présidente, nous vous implorons de mettre fin à cette folie maintenant !
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, Madame la Vice-présidente, nos salutations distinguées et notre appel urgent.
Suit la liste des signataires
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