« Gilets jaunes » : Choc philosophique
Dans cet affrontement idéologique national, par crise interposée, deux conceptions de l’homme apparaissent : l’une officielle, majoritaire et prégnante et une autre qui remonte par bouffée sur les rond-points. Qui remonte, car les idéologies vivent, en surface, dans les nuages ou souterrainement.
Si ce qui émerge aujourd’hui était le fruit d’une maturation ambiguë des idéologies en France ?
Après la première, la deuxième guerre mondiale a accentué dans les esprits le doute sur la possibilité d’une histoire meilleure conduite par les hommes. Doute à forme idéologique existentialiste dans les années 50. Mais a persisté quand même une foi enracinée, d’inspiration marxiste en un avenir plus sûr. Autre forte idéologie.
Pourtant, autour de 1960, des révélations actualisées sur l’horreur des crimes nazis, comme sur ceux des protagonistes du communisme à la soviétique, ont contribué à passer dans l’opinion quelque chose comme ce que les structuralistes ont ramené à l’idée de « la mort de l’homme ». Vanité de l’homme pour peser sur les événements.
Poussant la logique, dans les années 70, certains décrétèrent carrément « la mort des idéologies ». L’échec du socialisme de l’est amenait dénonciation du socialisme sous ses formes diverses, comme théorie économique et de société. Le constat de l’affaiblissement syndical, inefficace contre les restructuration violentes voulues par un capitalisme de plus en plus agressif, confirmait son inadéquation. Il faut dorénavant être réalistes. Point.
Les politiques rabotent leurs objectifs et se replient sur ce qu’ils appellent dorénavant la gouvernance. Priorité à la gestion.
A partir de 1980, l’élargissement de l’informatique contribue à la conversion de tous les problèmes en chiffres. Les économistes y trouvent de nouveaux outils. Les banques des armes dans leur gestion industrielle. Tout devient en politique affaire de chiffres, recherche d’économies, réductions de dépenses, respects de règles dictées par les calculateurs. En amont de 1968 Crozier, sociologue avait parlé de société bloquée. Aujourd’hui, les gouvernements se disent contraints. Par la dette, par la concurrence internationale, les exigences des grandes entreprises, Bruxelles, les migrations, les règles passées, le code du travail, le poids des retraite et patati et patata. Bref ils montrent que quoiqu’ils disent, l’homme au gouvernement n’est ou ne serait plus vraiment acteur maître, et qu’englué dans la gestion du présent, il ne peut parler vraiment d’avenir et de projet mobilisateur pour une société nouvelle.
Tout cela a besoin d’autre justification pour convaincre. Une philosophie en filigrane l’appuie. Dans un discours général sur leurs intentions d’émanciper et de libérer « les assignés à résidence », nos gouvernants affichent une analyse des déterminations excluant les conditionnements économiques, ne voulant retenir que des défauts d’éducation. L’homme est de raison, c’est par elle qu’il se libère. La dénonciation par M. Macron des inégalités de destin a le sens que lui donne le mot destin, même s’il les qualifie de géographiques, familiales ou environnementales. Toutes références à un ordre statique qui ne serait pas de la responsabilité d’un gouvernement. Comme la prédestination d’être né ici plutôt que là. Exclusion des conditionnements économiques variables dont précisément beaucoup ont prioritairement besoin d’être libérés et l’attendent d’un gouvernement en charge de l’économique.
L’apparition des « gilets jaunes » aux rond-points, et la largeur du soutien qui leur est apporté, signifient le retour des hommes concrets. Assez de l’homme abstrait, l’homme de tous les droits. Attention aux femmes et hommes concrets, si déterminés par le pouvoir d’achat, l’économique du quotidien, de la vie au travail ou sans travail, aux droits contraints.
Il faut redonner un sens humain à l’histoire. Dieu est peut-être mort, l’homme ne l’est pas, doit reprendre le manche et les idéologies d’espoir et de consensus s’affirmer.
La conversion doit être philosophique.