Guerre en Ukraine et « nouveau monde »... : pour une nouvelle conscience de classe
Dans quelle situation se trouve aujourd’hui l’Europe et le monde, au regard de la guerre en Ukraine ? Emmanuel Macron en appelle à l’unité nationale, avec un parlement qui salue le discours du président. Mais de quoi parle-t-on ? Seul l’escamotage des motifs réels de la Guerre en Ukraine permet les envolées lyriques en la matière.
Une politique fondée sur un escamotage des faits et des intérêts étrangers aux peuples
Selon Monsieur Charles Michel, Président du Conseil européen, il n’y avait aucun motif à cette opération militaire, ou encore, Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de la France à Moscou, qui colle aux mêmes propos, sur BFMTV. On sait parfaitement que jusqu’au dernier moment le président américain a pratiqué la politique de la porte-ouverte de l’Ukraine à l’OTAN, chose inacceptable pour la sécurité de la Russie. Que les accords de Minsk au centre des débats depuis 2015, censés garantir la paix au regard des régions russophones, ont été sapés systématiquement par les Ukrainiens. Leur président, comédien recyclé, ayant même déclaré qu’il ne les appliquerait jamais, sans aucune réaction des occidentaux, avec des bombardements réguliers sur les populations en cause. Que l’on fasse la chasse à la langue russe dans ce pays, en multipliant les interdits dans les commerces et les écoles, alors que 15 millions d’Ukrainiens sont russophones, ce n’est sans doute rien. Un régime fabriqué de toute pièce sous influence des intérêts étrangers, marqué par le nationalisme antirusse du parti d’extrême-droite Svoboda, acteur majeur de la révolution de 2014, qui fut un coup d’Etat avec des centaines de morts. Marqué encore par la corruption, à l’image des milliers de manifestants qui sont descendus dans les rues de la capitale ukrainienne en novembre 2020, en réaction à la décision de la Cour constitutionnelle du pays d’invalider une partie des lois « anticorruption ». Zelensky a promis que l’Ukraine serait la « terre promise » pour les investissements étrangers... On est censé défendre ici la « démocratie » ?
Cris d’orfraie de la communauté internationale face à cette guerre qui serait, comme notre président a osé l’affirmer, un précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, oubliant au passage la guerre portée sur le territoire de l’ex-Yougoslavie par l’OTAN (dont la France), qui est allée bombarder massivement la Serbie, un pays moderne, avancé (1999), la capitale Sarajevo où les Jeux Olympiques avaient eu lieu, pour soutenir le séparatisme du Kosovo… Tout cela n’a fait que créer les conditions du retour des identitarismes, et de la haine ethnique, sur le mode une ethnie/un Etat : Croatie, Kosovo, Serbie... On oublie ici en fait, une floppée de guerres menées au nom du droit d’ingérence humanitaire, marquée par la faillite pour les peuples concernés. Mais c’est sans doute un détail de l’histoire…
Le président russe a été traité d’irresponsable parce que disant mettre sa force de dissuasion en alerte. Mais l’Europe elle, n’est-elle pas irresponsable d’envenimer les choses, en menant une opération de coercition économique contre la Russie jamais vue, en livrant massivement des armes à l’Ukraine, avec des militaires dans les bagages qui disent eux-mêmes être prêts à livrer bataille (JT 13h, TF1, le 28/02/2022), quitte à être considérée comme entrant elle-même en guerre. Tout cela sur fond de discours héroïsant l’armée ukrainienne et les milices civiles, comme si nous étions face au retour du nazisme. L’UE, discréditée depuis de nombreuses années, pour pratiquer une politique qui est celle d’une succursale de la mondialisation pour les rentiers, entend se refaire une santé derrière le slogan de la révélation d’une défense européenne, « Europe puissance », présentée comme garante de l’indépendance et de la sécurité. Mais elle n’est en réalité qu’allégeance aux intérêts américains qui nous ont conduit à cette situation d’extrême danger, où l’arrogance occidentale n’a jamais atteint ce point. Le plus beau dans tout cela est l’encouragement de l’Allemagne à redevenir une puissance militaire majeure, félicitée de livrer des armes à l'Ukraine à coups de milliards. Là, bizarre, on trouve des finances sans limite pour faire la guerre, mais pas pour relancer l’économie européenne par des augmentations du pouvoir d’achat, des salaires…
Le retour du mariage stratégique entre télévision et propagande
Un monde journalistique qui, comme lors de la Guerre du Golfe, remet le couvert de la désinformation, mettant le citoyen dans l’impossibilité de se faire une réelle opinion sur les faits. Et ce n’est que le début. Sur France 2, chaine publique, on s’est déchainé en matière de propagande de guerre ce 27 février au JT de 20 h, avec une mise en scène qui a touché le fond, décriée ce matin sur les réseaux sociaux. On y a traité le président de la seconde puissance mondiale comme on a traité Saddam Hussein, avec une mise en scène des plus lamentables. L’une des questions du journaliste très remarquée à ses invités, suite à la suspension de V. Poutine (ceinture noire 8 e dan) de sa fonction de vice-président honoraire de la Fédération internationale de judo : 'Vous croyez que les sanctions contre le judo peuvent convaincre Poutine ? » Ça vole très haut. Aucun élément d’analyse de la situation n’est mis sur la table, à la faveur du seul procès en maladie mentale du dirigeant russe. Mais lui, contrairement à l’ancien maitre de Bagdad, a le bouton sous le doigt pour aller jusqu’à l’irréparable, ce qui serait censé amener à plus de mesure. Seul, face à un discours uniquement fondé sur des témoignages passionnels et partisans contre la Russie, Hubert Védrine a tenté de rappeler que même pendant la Guerre Froide, on a négocié. Sous-entendu, n’allons pas trop loin dans cette dérive qui ne sert les intérêts de personne. Hormis ceux de journalistes se faisant mousser dans ce contexte qui les rend tout-puissants, ce qu’ils adorent.
Pour exemple, pendant la première guerre du Golfe, lors de l’émission « Le point sur la table » de TF1, diffusée le 14 mars 1991, Jean-Claude Guillebaud président de l’association Reporters sans Frontières d’alors, dressait un premier bilan des contrefaçons médiatiques : « Je crois pouvoir dire à ce stade de dépouillement de notre travail, que le mensonge et la fausse information ont été colossaux. J’ai même l’impression, mais c’est une impression personnelle, que ce sera l’un des plus grands mensonges médiatiques de ces vingt dernières années. (…) La marée noire d’un million et demi de tonnes de pétrole annoncée par le général Schwarzkopf le 26 janvier, fausse. Il y a eu probablement 4 marées noires dont au moins trois sont le fait des alliés, (…) la ligne Maginot – irakienne – fausse, (…) l’armée irakienne qui était la 4e armée du monde, c’est la 11e, le pilote torturé, rappelez-vous cette scène bouleversante (…) d’après ses déclarations après sa libération, il s’est blessé en s’éjectant de son avion… » (1) On sait depuis ce que vaut le journalisme dans ces moments de l’histoire. De la reprise des propos du président Ukrainien prétendant que la Russie en attaquant son pays veut envahir l’Europe, à cette dernière information du Times relayée par RTL, selon laquelle 400 mercenaires de la force Wagner seraient « en route pour Kiev pour assassiner Zelensky », sans en fournir les sources, nous sommes passées au même niveau d’intox.
L’Union européenne dans la guerre pour l’Amérique, le marché et les nantis
C’est toujours la même arrogance occidentale ultralibérale, la même qui a piétiné la liberté des peuples, en bafouant le rejet par ces derniers du Traité constitutionnel européen (TCE) de 2005, lorsque fut ratifié hors de leur consultation en 2007, le Traité de Lisbonne. On reprenait ainsi les principales dispositions de transfert de souveraineté du TCE rejeté.
Nous avons affaire à des politiques qui dirigent nos pays comme des entreprises, et aucune vision en dehors de la dictature économique de la mondialisation. C’est sans surprise, dans cette Union européenne là, que l’Ukraine demande avec l’appui de l’Allemagne son entrée « sans délai », selon une procédure spéciale. Cela, quitte à entrainer l’Europe dans une fuite en avant donnant effectivement de la matière à l’idée d’une guerre généralisée en Europe !
Mais derrière ce qui est en train de s’opérer, c’est un nouvel ordre mondial qui commence à se dessiner, avec la Chine, l’Inde ou encore les Emirats-Arabes-Unis, qui refusent de rentrer dans cette logique à marche forcée, dans un jeu dont seuls les Etats-Unis, et l’Union européenne au service de cette dernière, seraient les maitres. La Russie, ce grand pays, a été traité comme mineure, comme devant se coucher devant des exigences occidentales, humiliée, particulièrement dans l’affaire ukrainienne, ce qui donne des indications sur ce qui attend bien d’autres nations si elles ne résistent pas. Les peuples ne sont pas que des pions.
Lorsqu’on regarde ce que l’Amérique, de Carter à Biden, a fait de l’Afghanistan, armant les féodaux contre le régime socialiste d’alors et fabriquant les Talibans, pour ensuite prétendre les combattre pour leur livrer le pays finalement hors du droit international et de toute concertation, laissant une population dans la famine et sous le joug, on mesure ce que les intérêts privés de certains contiennent de violence devant l’histoire. Et voilà à qui et à quoi la France et l’Europe emboîtent le pas, après avoir créé les conditions de cette guerre, pour se rendre co-responsables de l’envenimer jusqu’à prendre tous les risques.
De nouveaux enjeux qui appelle au soulèvement d’une nouvelle conscience de classe
Les responsables de la crise du politique et de la démocratie que nous connaissons, par une privatisation de l’intérêt général, et donc de l’intérêt du plus grand nombre, via un système de domination politique, économique et militaire au service de nantis, trouve-là, en ayant créé les conditions de ce conflit, l’argument pour resserrer les boulons contre les peuples. Une situation qui fait dire au Commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, que l’Europe entrerait « dans un monde nouveau… »
C’est sans doute ici une analyse à pousser plus loin dans le sens d’une nouvelle conscience de classe des enjeux du monde, qui se rebattent à travers ce conflit armé, révélant les camps et les idéologies, les projets à l’œuvre. Tout humanité vivable, enviable, juste, ne peut s’envisager que par la rupture avec cette logique ultralibérale qui pousse au pire par sa démesure, son mépris des nations et des peuples.
1 : -Les Cahiers d’histoire (Revue d’histoire critique) 86 | 2002 Démocratie, pouvoirs et propagande en France au XXe siècle. DOSSIER : Guerre du Golfe et télévision : un mariage stratégique. Guylain Chevrier https://journals.openedition.org/chrhc/1708
-Jules CHARVET, Silent Storm, ouvrage d’art, à partir de photos de la Guerre du Golfe, et du texte ci-dessus du dossier des Cahiers d’histoire.