Guerre en Ukraine : Sarkozy fait-il le jeu des Russes ?
Dans un long entretien donné au Figaro en amont de la parution du dernier tome de ses Mémoires*, Sarkozy livre son regard sur la guerre russo-ukrainienne. Cela lui vaut quelques rares soutiens, mais surtout de belles volées de bois vert, et cela jusque dans les rangs de personnalités réputées proches de l’ex-président. L’ancien chef de l’État s’est-il pour autant totalement fourvoyé ? Ce n’est pas si sûr...
Sur la légitimité du conflit en cours qui sévit depuis 18 mois sur le territoire ukrainien au prix de tant de victimes et de destructions, Sarkozy reconnaît, mais sans manifester de réelle compassion pour les populations agressées, que « Poutine a eu tort. Ce qu’il a fait [en violation du droit international à l’encontre d’un état souverain reconnu] est grave et se traduit par un échec. » Une invasion que lui-même et ses amis chefs d’état et de gouvernement de l’Ouest n’ont à l’évidence pas vu venir.
Ce n’est pas faute, plaide-t-il, d’avoir tenté d’arrondir les angles – avec Merkel en 2008 – dans les rapports des occidentaux au maître du Kremlin en refusant explicitement l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie au sein de l’Union européenne et de l’Otan : « Nous ne voulions pas laisser Poutine dériver vers une paranoïa anti-occidentale qui est depuis longtemps la tentation des dirigeants russes. Le complexe d’encerclement du Kremlin est une vieille histoire. »
Un pari raté en dépit des concessions faites aux Russes sur l’avenir des deux ex-pays de l’Union soviétique, résolument tournés vers l’Ouest depuis le déclenchement de la guerre le 24 février 2022. Sarkozy reconnaît implicitement cette erreur de jugement avant d’ajouter, sans un mot sur les crimes de guerre commis par les troupes d’invasion : « Mais une fois que l’on a dit cela [condamner l’invasion russe], il faut avancer et trouver une voie de sortie. La Russie est voisine de l’Europe et le restera. »
Une manière pour Sarkozy d’introduire cette évidence à ses yeux : l’« Ukraine doit rester un pays neutre (...), un trait d’union entre l’Ouest et l’Est ». Autrement dit, constituer une interface entre les deux blocs. Un « glacis » dirait Poutine. L’ex-président rejette ainsi toute adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’Otan. Une opinion qui a le mérite d’être claire, mais s’oppose frontalement à la décision des 27 membres de l’UE qui ont acté le 23 juin 2022 le statut de candidat à l’entrée dans l’UE.
Et quid de la Crimée ? quid des républiques populaires autoproclamées de l’est ukrainien ? À ces interrogations, Sarkozy répond, en actant le constat que ces territoires sont majoritairement constitués de russophones, qu’il faudra « recourir à des référendums strictement encadrés par la communauté internationale pour trancher ces questions territoriales de façon définitive et transparente. » Encore faudrait-il que Russes et Ukrainiens s’assoient à une table de négociations...
Comme l’on pouvait s’y attendre, les propos de Sarkozy ont suscité un tollé en divers points de l’échiquier politique, le plus virulent des contempteurs ayant été l’écologiste Julien Bayou qui a parlé d’une « terrible faute » commise par un « influenceur russe » que l’on « comprend mieux quand on sait qu’il est acheté par les Russes. » Une allusion aux liens financiers de l’ex-président avec une société d’assurances russe visée par une enquête de justice, notamment pour « blanchiment de crime ».
À noter, dans le concert de réprobation, voire de condamnation, les paroles très dures de Jérôme Poirot, ancien conseiller de Sarkozy, qui qualifie de « propos honteux » les mots de l’ex-président dont il estime qu’il n’a « aucun recul sur ce qui s’est passé », au point que, lui qui fut un collaborateur dévoué, en « tombe de sa chaise » en constatant la naïveté de Sarkozy relativement la personnalité de Poutine. Une opinion partagée par de nombreux élus politiques qui, manifestement, hésitent entre naïveté et duplicité.
Paradoxalement, le seul véritable soutien vient du communiste Roussel. Certes, il ne s’est pas exprimé, mais son opinion est connue : dans une lettre à Macron en date du 6 juillet, il plaidait pour « la négociation d’un statut de neutralité pour l’Ukraine, dans le cadre d’une protection internationale », mais aussi pour « l’acceptation par la Russie et l’Ukraine d’un référendum internationalement contrôlé sur le statut de la Crimée et du Donbass. » Sarkozy, Roussel, même combat ?
En réalité, tous deux posent de bonnes questions. Sans doute pas sur le statut de neutralité de l’Ukraine qui ne verra sans doute jamais le jour, ce pays étant probablement appelé à végéter longtemps dans l’antichambre de l’Union européenne, possiblement en bénéficiant de coopérations économiques. Mais sans doute sur la nécessité d’organiser des référendums d’autodétermination sous contrôle international dans les territoires occupés si la situation actuelle reste figée au plan militaire, sans dégager de vainqueur.
Ces constats faits, il convient de se demander quelle mouche a piqué Sarkozy. Lui qui a affiché à différentes reprises sa proximité avec Macron lui plante un couteau dans le dos en prenant le contrepied de la politique extérieure de l’actuel chef de l’État. Un Macron qui, rappelons-le, constatait en juin que « La Russie s’est mise de son propre chef dans une situation qui est de ne plus respecter le droit international, de redevenir (...) l’une des seules puissances coloniales du XXIe siècle en menant une guerre d’Empire ».
Après avoir naguère tenu des propos quelque peu ambigus sur l’issue de la guerre en cours, Macron a été clair au printemps : « Il y a une contre-offensive ukrainienne. Le temps viendra, je l’espère, de négocier aux conditions de l’Ukraine. » Dès lors, comment comprendre, même s’il n’a pas totalement tort sur le fond, les propos de Sarkozy à ce moment du conflit ? Et si cette perspective n’allait pas dans le sens de ses aspirations profondes, lui qui, en 2018, déclarait « J’ai toujours été un ami de Vladimir Poutine » ?
* Le temps des combats (Fayard)