vendredi 24 juin 2022 - par Mohamed Belaali

Il était une fois la révolution au ... Dhofar

 

Parmi les révolutions de l'histoire récente que l'idéologie dominante et ses médias ne veulent en aucun cas entendre parler, on peut évoquer celle de Dhofar (1964/1976). Qui se souvient encore de ce formidable soulèvement contre toutes les formes d'injustice et d'oppression dans une petite région du sud-ouest de la péninsule arabique au sud de l'actuel Oman ? Cet élan émancipateur radical a été porté par les hommes et les femmes du Front Populaire de Libération du Golfe Arabe Occupé (FPLGAO) dont le projet révolutionnaire dépassait et de loin les revendications classiques des mouvements de libération nationale. Contre cette carence de mémoire et contre l'amnésie historique encouragée par les classes dominantes, nous revenons, même très rapidement, sur cette expérience aujourd'hui oubliée, de ces hommes et de ces femmes héroïques qui les armes à la main voulaient changer le monde.

 

Les révolutionnaires dhofaris ne se sont pas contentés de mener une guerre pour l'indépendance du Dhofar. Ils ont élargi leur lutte armée à des horizons improbables dans une région où les pesanteurs économiques sociales et politiques sont d'un autre âge. Ils voulaient ainsi libérer tous les pays du Golfe (Oman, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Bahreïn) de l'emprise de l'impérialisme britannique et unifier ces peuples dans la République Populaire Arabe du Golfe.

Sur le plan idéologique, ils ont abandonné le nationalisme arabe traditionnel pour adopter la pensée de Marx et de Lénine (lutte des classes, internationalisme, centralisme démocratique, éducation politique des masses etc.). Ils ont aboli l'esclavage et rendu l'alphabétisation obligatoire dans toutes les zones libérées. "En quatre ans, écrit G. Troeller, avec peut-être quelque exagération, ce système a fait des Dhofaris le peuple le plus instruit de la péninsule arabique" (1).

Les révolutionnaires dhofaris ont érigé l'égalité homme/femme en priorité absolue. La cinéaste Heiny Srour qui a tourné un magnifique film documentaire sur les combattants et les combattantes du Front populaire de libération, "L'heure de la libération a sonné", disait "C'est bien la première fois dans le monde arabe qu'une force politique organisée considère que la libération de la femme est une fin en soi, […] la première fois que la pratique va aussi loin que les slogans" (2).

 

Conscient des expériences ratées des mouvements de libération, qui une fois au pouvoir renvoyaient les femmes à leur oppression, le Front populaire voulait sans attendre la victoire libérer les femmes des chaînes de l'esclavage patriarcal et les faire participer à toutes les tâches imposées par la révolution. Ils disaient "c’est ici et immédiatement qu’il faut libérer les femmes, sans attendre la victoire. C’est maintenant qu’il faut abolir la polygamie, alphabétiser massivement les femmes" (3).

Effectivement la polygamie comme la dot ont été abolies. Le droit au divorce comme celui de choisir librement son conjoint est reconnu à l'homme et à la femme. Bref, ils voulaient dans cette région du monde arabe faire éclater, bouleverser et briser toutes les oppressions, tous les archaïsmes et toutes les conditions qui humilient et rabaissent l'homme et la femme. C'était une révolution qui dépassait et de loin les objectifs d'un mouvement de libération nationale classique.

 

La révolution dhofarie a réveillé de profondes espérances dans les masses opprimées non seulement dans le Golfe, mais aussi dans tout le monde arabe. Elle constituait par contre une menace vitale pour les intérêts pétroliers de toutes les bourgeoisies du monde. Et c'est pour cela qu'elle a été écrasée par l'impérialisme anglais, le Chah d'Iran, le roi de Jordanie, le Mossad israélien etc. La région est dominée aujourd'hui par les régimes les plus réactionnaires au monde. Les idées émancipatrices portées courageusement par les hommes et les femmes du Dhofar sont remplacées par l'obscurantisme d'un autre âge. Les révolutionnaires du Dhofar ont été vaincus, mais leur combat n'a jamais été aussi actuel qu'aujourd'hui. Leur souvenir restera gravé dans la mémoire de tous les opprimés qui se battent pour une société débarrassée de toutes les tares du capitalisme.

 

Mohamed Belaali

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(1)https://www.erudit.org/fr/revues/ei/1973-v4-n1-2-ei2973/700284ar.pdf

(2)https://www.liberation.fr/cinema/2016/06/14/une-revolution-retrouvee_1459440/

(3)https://www.cnc.fr/cinema/actualites/heiny-srour---leila-et-les-loups-survole-huit-decennies-dengagement-des-femmes-du-monde-arabe_1681171# : :text=Dans%20Le%C3%AFla%20et%20les%20loups,dans%20les%20ann%C3%A9es%201970%2D1980.

 

 

Pour celles et ceux que cette révolution intéresse, voici quelques liens utiles :

 

https://www.erudit.org/fr/revues/ei/1973-v4-n1-2-ei2973/700284ar.pdf

https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/warda

https://www.monde-diplomatique.fr/1970/01/VIENNOT/29398

 



6 réactions


  • JPCiron JPCiron 24 juin 2022 08:10

    Excellent Article. Merci

    Il est bon que l’information circule.

    Il ne faut pas attendre pour cela que ça vienne de nos Médias ’à la botte’.


  • SilentArrow 24 juin 2022 08:43

    Merci pour l’article. Jamais entendu parler du Dhofar ni de cette révolution.

    L’Oman pourtant m’intrigue depuis un certain temps. En plein milieu d’une pétaudière, ce pays semble rester à l’abri des problèmes de ses voisins. Même l’islam qui y est pratiqué semble à équidistance entre le sunnisme et le chiisme.

    L’Oman abrite aussi une importante communauté d’hindous et il y a même un temple hindou à Muscat. Chose impensable chez ses voisins du Golfe.


  • AmonBra QAmonBra 24 juin 2022 15:14

    Merci @ l’auteur pour le partage. . .

    De ces très intéressantes informations, qui m’étaient totalement inconnues et me donnant l’envie d’en savoir plus. . .


  • Pauline pas Bismutée 24 juin 2022 18:24

    Il y avait même un régime communiste en “Arabie” : le Yémen du Sud (« la République Démocratique Populaire du Yémen ») de 1970 à 1990.

    Le Sultanat d’Oman est assez « anglicisé » (avec paraît-il la forte présence des services secrets britanniques). Les habitants, comme souvent les musulmans (si si je connais), sont très accueillants et hospitaliers, j’ai été très souvent invitée dans des familles, j’en garde un très bon souvenir (des autres pays musulmans aussi, d’ailleurs).


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