Il faut flinguer l’euro !
Sous ce titre quelque peu provocateur, ne se cache pas un souhait politique, mais une volonté de certains acteurs financiers d’en finir avec la monnaie unique européenne.
Beaucoup a déjà été dit sur le poids des évaluations des agences de notation. On se contentera de rappeler ici qu’aucune des « big three » , qui réalisent 94 % du chiffre d’affaires de la profession, à savoir Moody's, Standard & Poor's et Fitch, n’avait anticipé la chute d’Enron, noté AAA encore 4 jours avant sa chute, ni celle de la banque américaine Lehman Brothers, également notée AAA juste avant sa faillite. Il est donc légitime de se demander si l’évaluation que font ces agences des dettes souveraines est bien sérieuse. Ainsi si l’on examine le montant des dettes de plusieurs pays, a rapporté à la production annuelle du pays (PIB), quelques surprises apparaissent. Le Japon, pays le plus endetté au monde, présente un ratio d’endettement de plus de 220%, celui-ci atteignant presque 100 % aux États-Unis (bien qu’un habile calcul récent ait tenté de le faire redescendre autour de 87%), 90 % au Royaume-Uni, 85 % en France et en Allemagne.
Ces valeurs ne peuvent donc justifier à elle seule l’annonce de certains de ces agences de notation en regard de la probable dégradation prochaine du AAA français et allemand. L’examen des taux de chômage ne fournit pas non plus d’explications claires à la dégradation spécifique du tandem franco-allemand, alors que la note du Japon (AAA) que celle du Royaume-Uni (AAA) que celle des États-Unis (AA+) reste stable.
Faut-il donc chercher des explications ailleurs ? Possible. Ainsi, plusieurs économistes nous ont indiqué récemment l’achat massif d’euros, dans le cadre de ventes à terme, par des fonds de pension américains et britanniques, au cours des six derniers mois. Ces achats à terme ont été réalisés en spéculant sur une baisse sensible du cours de l’euro, sans doute en lien avec la crise des dettes grecque et portugaise.
Bien que très imparfaits, les accords européens sur les fonds de réserves destinés à amortir les conséquences pour l’euro des dettes grecques et portugaises ont limité la chute des cours de l’euro vis-à-vis d’autres monnaies. Ainsi, les mêmes économistes interrogés plus tôt nous ont indiqué que le cours de l’euro actuel était très supérieur au cours auquel les fonds de pensions vont devoir les acheter au terme des contrats d’achats passés, probablement entre la mi et la fin décembre. Il faut donc, pour que ces fonds de pensions ne perdent pas d’argent, et si possible qu’ils en gagnent, que l’euro baisse, et qu’il baisse vite…
Dans ce contexte, on comprend donc tout l’impact qu’aurait une dégradation concomitante de la note des dettes des deux poids lourds de l’UE et de la zone euro que sont la France et l’Allemagne. Celle-ci entrainera forcement une chute sensible de l’euro, ce qui permettra aux fonds de pensions de pouvoir rentrer dans leur fonds.
Il reste à comprendre quel pourrait être l’intérêt des agences de notation dans ce circuit. Il est simple. Celles-ci sont tout d’abord anglo-saxonnes, et financées par les investisseurs : ainsi, et de façon très simplifiée, une banque ou un fond de pension qui souhaite investir dans de la dette polonaise demandera, contre monnaie sonnante et trébuchante, une évaluation de cette dette, et donc une notation du pays concerné. Le cercle est donc bouclé : les fonds de pensions qui ont investi en spéculant sur une baisse de l’euro peuvent très bien demander aux agences de notation d’évaluer de façon très sévère le risque associé aux dettes françaises et allemandes, le payement de ce service créant un lien de dépendance et constituant un véritable conflit d’intérêt, dont feront les frais les Etats concernés, et à travers eux leurs concitoyens. En tout état de cause, il faut en effet que l’euro baisse, et qu’il baise vite !
La dégradation des notes française et allemande, certes liés à une dette que l’actuel gouvernement a laissé filer en rapport avec une réduction des recettes fiscales au profit des catégories socio- professionnelles les plus riches, sera en conséquence payée au moins deux fois par les classes moyennes. La première au travers des réductions d’impôts, dont elles n’auront pas bénéficié, et dont elles auront même pâti au travers de la dégradation des services publics « justifiés » par le célèbre « les caisses sont vides » lancé par M. Fillion voilà quelques années ; la seconde au travers des augmentations d’impôts et des baisses de revenus que la dégradation de la note engendrera, couplées au renchérissement des produits importés, dont les produits pétroliers et certains produits de hautes technologie, même si ces derniers ne font pas l’objet d’achats si fréquents…