vendredi 5 décembre 2014 - par Caleb Irri

Il y a trop d’étrangers dans le monde

Quand on y réfléchit, le racisme est fondé sur une idée simple : il n’y en a pas assez pour tout le monde. De l’extrême-gauche à l’extrême-droite c’est au moins un point sur lequel tout le monde semble d’accord : la planète étant un espace fini et ses ressources étant de fait limitées par cette espace, l’augmentation continue de la population mondiale conduira à des catastrophes humanitaires majeures si on ne fait rien pour la maîtriser. Cet argument était déjà celui de Malthus en son temps, alors qu’il croyait impossible de nourrir et de satisfaire aux besoins du milliard d’individus composant la population mondiale de son époque.. Je rappelle que nous sommes aujourd’hui plus de 7 milliards, et que nous produisons actuellement plus qu’il n’en faudrait, si toutefois on ne préférait pas jeter plutôt que de donner, ou même partager...

Mais le fait est que cette croyance est une croyance acquise par des siècles de conditionnement capitaliste. Croire qu’il n’y a pas assez pour tout le monde est le meilleur moyen de justifier des guerres et des famines qui n’ont d’autre raison d’être que de satisfaire les intérêts capitalistes. Car que signifie cette croyance à part de vouloir en conclure qu’il faut donc « naturellement » choisir entre ceux qui « ont des droits » et ceux qui n’en ont pas ? Et comment déterminer ce choix ? Selon les lois capitalistes bien sûr, qu’on veut nous faire avaler comme représentant le mérite. Alors qu’en réalité il n’y a aucune justification rationnelle qui permette de dire que mon enfant a le droit de manger à sa faim « plus » que l’enfant de tout autre être humain sur cette terre.

On finit par se dire, la larme à l’oeil et la main fermée sur son portefeuille, qu’on ne peut tout de même pas « accueillir toute la misère du monde », et on tente ainsi d’obtenir, la conscience plus ou moins tranquille, la plus grosse part possible pour soi-même et pour les siens, au détriment « des autres », qu’on finit toujours par appeler « les étrangers »…

Or il apparaît, à l’heure de la mondialisation, que chacun de nous est l’étranger d’un autre, et qu’il faille bien admettre qu’en capitalisme un étranger est un ennemi potentiel, puisque potentiellement responsable du rapetissement de notre part à nous, de part son existence même…

Quelles sont alors les options ? Interdire aux femmes pauvres d’avoir des enfants ? la décroissance ? Tuer les vieux et les malades ? Ou faire la guerre ?

Faire la guerre bien sûr ! … mais à qui ? Aux étrangers évidemment, puisqu’ils sont étrangers ! S’il y avait moins d’étrangers, il y en aurait plus pour nous, non ? Puisqu’il n’y a pas de place pour tout le monde, pousse-toi de là que j’my mette ! La mort est moins pénible à supporter lorsque ce sont des inconnus, surtout s’ils sont des ennemis. Et comme on nous a dit que les étrangers étaient nos ennemis…

En réalité tout ceci est proprement scandaleux. Je suis pourtant aussi étranger à l’autre qu’il l’est à moi. Aussi incohérent que d’affirmer qu’il y a trop d’étrangers dans le monde ; ou dans son quartier. Mais comme ceux qui ont la richesse sont en même temps ceux qui se sont accaparés le plus de « droits » -et qu’ils sentent bien au fond d’eux que cela est injuste- ils préfèrent se réfugier derrière le paravent capitaliste du soi-disant mérite et asséner à tous ceux qui leur en font la remarque que de toutes façons il n’y en a pas pour tout le monde. Mais ces hommes et ces femmes c’est nous, ceux qu’on appelle « les occidentaux », et nous sommes collectivement responsables de cette idéologie qui conduit toujours au pire ; la misère des autres n’est pas une fatalité due aux limites de notre planète mais bien à notre racisme qui considère que ceux qu’on nomme « les étrangers » ont moins de droits que nous – quand en réalité ils ont seulement moins de pouvoir.

Pourtant il est aussi stupide de croire qu’il y a trop d’étrangers « quelque part » que partout dans le monde. La rareté n’est pas la conséquence de la finitude de la terre et de ses ressources mais celle d’un système qui la crée pour pouvoir perpétuer les injustices malgré le progrès technique. La décroissance verra certainement le jour et elle ne sera ni « choisie » ni « volontaire » mais tout simplement subie. Tandis que les riches -que nous sommes- continueront de faire semblant de croire que partager ne sert à rien (puisqu’il n’y a pas assez pour tout le monde), ils continueront à s’accaparer les ressources et la richesse au détriment de pauvres de plus en plus nombreux. La conséquence de ce comportement est le racisme et la violence qu’il crée, et dont bénéficient en retour ceux qui ont réussi à obtenir suffisamment de pouvoir et d’argent pour soumettre les plus nombreux à leur domination.

Pourtant, je l’ai déjà dit et je le maintiens : il y a bien assez pour tout le monde, et il y en aura toujours plus pour toujours plus de monde : il suffit de supprimer le capitalisme, et de considérer la planète non pas comme notre tombeau mais comme notre berceau. Alors qu’on se rend compte peu à peu que de l’eau se trouve ou se trouvait sur des corps célestes « étrangers », que de nombreuses planètes de l’univers sont susceptibles d’accueillir la vie (ou sa possibilité), il devient coupable de nier l’immensité des ressources potentielles et la capacité de progrès de l’humanité … L’univers est infini, et ses ressources aussi. Qui a lu « Fondation » d’Asimov ne verra plus jamais les choses de la même manière. Avec tout ce que cela implique au niveau des ressources et de cette foutue surpopulation.

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr



11 réactions


  • Daniel Roux Daniel Roux 5 décembre 2014 10:52

    Le titre est amusant.

    Par contre, les arguments développés dans l’article me paraissent fallacieux.

    Le racisme ne s’exerce pas contre les étrangers, mais contre ceux identifiés comme de race inférieure, sur des critères acquis dans la sphère culturelle et fondée sur la crainte de l’autre identifié comme menaçant.

    Tout le monde a des pulsions racistes mais tout le monde ne cède pas à ses pulsions notamment grâce au contrôle plus ou moins efficace exercé par la conscience développée par l’éducation.

    Il n’y a pas de racisme anti-canadiens, ou anti-japonais. Par contre, il y en a contre ceux, facilement identifiable comme différents que sont les hommes à peau noire, qu’ils soient africains ou australiens.

    Le racisme est fondé sur le désir de domination et la pulsion de mort, c’est sans doute pour cela qu’il est pratiqué par les classes dominés vis à vis de ceux qui viennent « manger leur pain » et par les colonialistes qui s’en servent pour justifier le pillage et l’asservissement.

    Concernant la planète Terre, c’est une tautologie de dire qu’elle est un système clos aux ressources accessibles forcément limitée et non pas l’inverse. Le pétrole (même de schiste) et beaucoup de matières premières arrivent à épuisement.

    Au rythme actuel de croissance démographique nous passerons de 7 milliards en 2011 à environ 10 milliards d’individus en 2050.

    Des ajustements douloureux sont inéluctables et à mon avis, déjà en cours.


    • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 5 décembre 2014 22:05

      Évidemment, Daniel, vous avez raison, on peut en toute légitimité sémantique et même étymologique, limiter le racisme aux races. Alors je me permettrais d’ajouter que le pigment ne fait pas la race.
      Caleb a évidemment raison et l’étranger évoqué est à prendre au sens propre et étriqué, celui où nous cantonnent nos frontières respectives, mais aussi au sens large. Dans tous les cas la notion de différence aidant, la ségrégation intellectuelle s’opère et se traduit par le rejet de l’autre. Caleb le dit, nous sommes tous l’étranger de quelqu’un : il aurait pu dire nous sommes tous différents et ça ne rassure pas nos âmes grégaires.
      En vérité, noirs ou blancs, étrangers, infidèles, insoumis ou intégristes peu importe, il suffit de s’accepter. Ce qui est impensable et articulièrement difficile quand même les élites dirigeantes surfent, par pur intérêt carriériste, sur l’idée que « le mal vient d’ailleurs ». Ce que l’on doit dire de la même façon ailleurs. Dommage, l’accepter et en tirer bénéfice, serait solution intellectuellement acceptable.


  • lsga lsga 5 décembre 2014 12:32

    Totalement faux. Les progressistes savent que l’on peut démultiplier la production agricole mondiale. Les pays du Magrheb, Tunisie en tête, étaient les greniers de l’Empire Romain. Aujourd’hui, c’est tout juste si ils ont des tracteurs.

     
    Marx a souvent parlé de l’immigration, et ce que les fachos du PRCF font semblant d’ignorer, c’est que les théories révolutionaires enseignent que les immigrés, qui sont des prolétaires sans Nation, constitue un prolétariat extrêmement Révolutionnaire.
     
     
    Ne comptez pas sur les fachos staliniens pour le rappeler. 

    • Hannibal GENSERIC Hannibal GENSERIC 6 décembre 2014 11:57

      @Isga.

      "Les pays du Magrheb, Tunisie en tête, étaient les greniers de l’Empire Romain. Aujourd’hui, c’est tout juste si ils ont des tracteurs."

      On voit bien que vous n’y connaissez pas grand chose, en ce qui concerne le Maghreb en général et la Tunisie en particulier.

      La Tunisie a été le grenier de Rome, parce que, avant l’époque romaine, et durant cette époque, la population tunisienne n’atteignait pas UN DEMI million d’habitants (on en est à plus de 10 millions aujourd’hui), et il pleuvait deux fois plus à l’époque carthaginoise que maintenant. Les terres étaient alors vierges et riches : maintenant elles sont épuisées par l’exploitation forcenée .

      Quant aux tracteurs, malheureusement, ils sont partout chez les paysans, ce qui est plutôt une calamité, car il vaut mieux labourer avec des animaux qu’avec des tracteurs, qui détruisent le biotope fragile méditerranéen. Plus personne , parmi les paysans, n’utilise les animaux pour les travaux agricoles.

      Vous retardez d’un petit siècle !!

      @ L’auteur : excellent article et très original. Merci.


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 5 décembre 2014 16:31

    Je trouve que le titre est assez intelligent mais le développement que j’en fais n’est pas celui de l’auteur.

    Je dis qu’en effet (on a tous cette impression mais est-elle seulement une impression) « qu’il y trop d’étrangers sur la planète » à cause de cette mondialisation bâtarde de l’argent qui a crée un Nouveau Monde des finances qui a marginalisé l’ancien monde du travail et de la solidarité  !

    Quelques centaines de milliardaires apatrides disposent de toutes les richesses de la planète et décident de faire la pluie et le beau temps avec la complaisance ou même la complicité des responsables politiques qui deviennent de plus en plus irresponsables ! Pour appuyer le tire de « caleb irri » demandez-vous donc qui n’a pas eu à un moment ou un autre au fond de lui-même cette profonde tristesse : « suis-je bien chez-moi » avec tout ce que cette question soulève comme déception, amertume et nausée ...

    Tant que l’argent sale continue à dominer le monde, il y aura de plus en plus d’étrangers chez-eux sans qu’il y ait un « ailleurs » meilleur ! 


    • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 5 décembre 2014 22:16

      Ah, le grand complot mondial...
      La valorisation des échanges... le cancerus mercantilum. Saviez-vous, Mohammed, que le mot commerce vient du latin « cum Mercurum » = avec Mercure, dieu des marchands et des voleurs ?
      Ajoutons à ça que l’herbe du voisin est toujours plus verte, ne l’oublions pas. D’autant plus quand il n’y en a pas chez vous, n’est-ce pas ? Or de crever de faim ou de se diriger vers le garde-manger, quelle est la plus haute probabilité ?
      A moins que les « quelques centaines de milliardaires » que vous désignez ne se bunkerisent et ne s’entourent de miradors, ils ne seront jamais tranquilles tant que ces populations auront faim.
      Le problème étant que vous comme moi faisons partie à leurs yeux des riches exploiteurs du minerai des pauvres. Et le fait est qu’ils ont complêtement raison.


  • Le p’tit Charles 5 décembre 2014 16:39
    Il y a trop d’étrangers dans le monde...Ah..ça c’est ben vrai disait la mère Denis...

    • Le p’tit Charles 6 décembre 2014 07:51

      Les « Ploucs » d’Agora se déchaînent...aucun humour...Vous ne trouvez pas qu’avec 7,2 milliards d’habitants il y a surpopulation..et surtout trop de misère.. ?


  • sls0 sls0 5 décembre 2014 20:13

    Français né à l’étranger j’ai toujours été ’’l’autre’’ en France aussi bien entendu.
    Je réside à l’étranger, le pays est plus jeune et il va de l’avant, plus pauvre mais ayant plus confiance en l’avenir.
    Les autres sont des autres moi.

    Pour le racisme j’emploie souvent la phrase : l’inconnu engendre la peur et la peur engendre le rejet.
    Pour moi le raciste ne connait rien donc ferait mieux de la fermer, la peur n’autorise pas tout.

    La peur c’est un bon moteur pour faire passer pas mal de conneries.


  • Jean-Paul Foscarvel Jean-Paul Foscarvel 5 décembre 2014 20:37

    Autant le fait de dire qui sera ou non sauvé de l’effondrement est inhumain et insupportable, car chaque être a le droit à une vie digne, autant dire que les ressources supporteront tous les humains en supprimant simplement le capitalisme me paraît une utopie dangereuse.

    Ce que ne sait pas faire la capitalisme, c’est gérer équitablement les ressources, les utiliser à bon escient, créer de l’harmonie entre les peuples et entre les humains, gérer la planète « en bon père de famille » (comme disent les avocats). Il cherche à créer le plus vite possible un maximum de profit pour une petite minorité en bousillant la plus grande partie de l’humanité et la planète qui la supporte.

    Mais même dans une société équitable, les ressources ne seront pas infinies. Par contre, il est à espérer que dans une telle société les humains, conscients de leur devenir, auront la sagesse de ne pas vouloir croître indéfiniment, car le nombre d’enfants ne sera pas perçu comme une sorte de fatalité ou de moyen factice de réduire sa pauvreté, voire un espoir illusoire de domination par le nombre.

    Que l’ensemble des humains ait la possibilité de créer des familles stables, à un âge pas trop précoce, et puisse avoir le choix de combien d’enfants il veut, avec à la clef une santé et une éducation correcte, ce serait cela le vraie issue avant la méga-catastrophe que nous concocte le capitalisme dans son hybris à faire du profit sous cocaïne, sans se soucier des conséquences de ses actes.


    • Le chien qui danse 6 décembre 2014 15:21

      Avec par contre coup le vieillissement de la population, la solution ne sera, à mon humble avis, pas dans cette direction non plus.
      Il faudrait d’abord penser différemment, avoir un rapport plus conscient de la réalité physique et matérielle, comprendre notre dépendance à cette réalité, notre survie qui en découle et tourner le regard vers l’espace certainement, qui a priori, seul, propose un avenir potentiel et a priori infini.
      Sinon nous sommes mathématiquement foutus.
      Il y a d’autres théories démographique qui battraient en brèche la vision exponentielle du genre humain de type féminin et masculin, mais je n’ai pas encore eu le temps de m’y intéresser. 


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