Ils sont fous ces Tunisiens !
Une mise au point rapide et définitive en guise de prologue. Il ne s’agit nullement, comme le laisserait supposer le titre de ce billet, que tous les citoyens de cette nation accueillante auraient perdu la boule. Non pas du tout. Le tunisien, en dehors de ses qualités de générosité, de non violence et surtout de l’engagement de sa jeunesse à qui il doit depuis un couple d’année la liberté, d’expression seulement pour l’instant, est également connu pour son extrême patience. Si forte qu’elle glisse quelquefois, hélas, sur le renoncement.
Or aujourd’hui celle ci a atteint ses limites. Le Tunisien commence à perdre cette fameuse réputation qui lui collait à la peau. Du haut en bas de l’échelle sociale. Du chef d’entreprise à l’ouvrier, de l’agriculteur au saisonnier, du magistrat et de l’avocat, de l’étudiant, du lycéen et de leurs professeurs. Paradoxalement, également de l’officier de police ou de l’adjudant au flic de la circulation ou au trouffion. Et voilà que fatigué « d’être fataliste », découragé, puis soudain transformé, rage et crainte bien vissées au ventre, il est sur le point de descendre à nouveau dans la rue. Pour la énième fois en deux ans au risque de subir des brutalités, non pas des services d’ordre officiels, mais bel et bien des brigades dites « de la protection de la Révolution », bandes de voyous aux ordres d’islamistes radicaux. Ceux là qui sont justement des aveugles, ou plutôt des fous, accompagnés dans leur délire par d’autres demi-dingues, serviles pour la plupart, dont l’actuel Président de la République en personne, individus qui crèvent d’envie de partager le pouvoir avec eux. Pendant longtemps.
Et oui, les seuls fous de Tunisie, ou les faux jetons, les psychopathes sont bel et bien actuellement les politiciens et les religieux qui veulent faire de leur croyance la règle et la soumission pour tout un peuple. Bref, une dictature de plus.
Il y aura bientôt une quinzaine, qu’acceptant les réflexions et décisions prises sous la forme « d’une feuille de route » par un « quartet » apolitique composé de trois syndicats (ouvrier, patronal et avocats) et de la Ligue des Droits de l‘Homme, les partis politiques s’y sont pliés pour… se noyer dès la première ligne de cette feuille abordée.
Comme il fallait s’y attendre ces politiciens ont très vite perdu pied. Dans une confrontation qui n’avait rien de républicain, entre Ennahdha (Renaissance en français), le parti religieux radical – et non modéré – issu de la confrérie des Frères Musulmans dirigé par le plus… « Jésuite ! » des musulmans, le bientôt octogénaire Rached Ghannouchi, et l‘opposition dite laïque regroupée sous la houlette d’un homme de 83 ans Béji Caïd Esbssebsi, ancien « bourguibiste ». Tout ce beau monde a pataugé dans le ridicule pendant des jours et des jours, pour aboutir à un échec. Après les interminables palabres habituels de cette corporation que l’on trouve à travers toutes les démocraties, qui n’en sont souvent pas, de la planète Terre, ils n’ont pu se mettre d’accord sur le nom d’un chef de gouvernement intérimaire, pierre angulaire de l’intégralité du processus exigé par le « quartet ».
Ecartant deux techniciens, financiers et économiques, de haut vol qui leur étaient proposés, un sexagénaire et un quinquagénaire, ils avaient décidé de débattre sur deux personnalités de leur propre génération, quelque peu poussiéreuse. Deux anciens politiciens. L’un âgé de 88 ans, à demi-sourd (authentique), se déplaçant difficilement à l’aide d’une canne (le favori des religieux) et un autre vieillard de 79 ans ayant servi lui aussi comme le précédant Habib Bourguiba voilà un demi siècle (adoubé par les laïcs). Il est quelque peu surprenant de constater que le printemps tunisien voulu et provoqué par une jeunesse exacerbée qui a payé le prix du sang (près de 300 morts voilà deux ans) soit tombé entre les mains d’une cohorte de vieux chevaux de retour. Des rossinantes.
Ce n’est pas tout. Le chef des religieux, toujours aussi retors et après des ronds de jambes effectués auprès du secrétaire général irréductible du syndicat ouvrier, principal initiateur de la fameuse « feuille de route », a eu l’outrecuidance de proposer à ses collègues politiques un nouveau candidat au poste de chef du gouvernement intérimaire. Qui ? Je vous le donne en mille. Un ancien ministre de Ben Ali, le dictateur honni qui coule actuellement des jours heureux, partagés entre Arabie Saoudite et Qatar, entre royauté wahhabite et émirat sunnite.
Le plus drôle de cette péripétie est que l’individu proposé est celui la même qui, voilà un peu plus d’une vingtaine d’années, avait œuvré pour sceller une entente cordiale entre le dictateur fraîchement élu (99% des suffrages cela va de soi) et l’islamiste… Rached Ghannouchi. Entente qui avait capoté plus tard lorsque le premier nommé avait découvert que le second avait, disait-il, « …fréquenté des individus salafistes fomentant un complot destiné à le renverser ». D’où, à l’époque, l’exil…en Occident du chef local de la Confrérie des Frères Musulmans et la chasse à tout islamiste à travers le pays.
La Tunisie est donc en panne. L’économie est au plus bas, l’inflation de plus en plus forte (plus de 6% depuis le mois de janvier), les prix flambent (des augmentations proches de 100% pour des produis de première nécessité en moins d’un an) et le gouvernement « provisoire » toujours en place, annonce dans son budget 2014 de nouvelles hausses de prix, notamment sur le pain et les carburants alors que dans le même temps il endette le pays à tour de bras et profite de dons pour renflouer en partie ses services sociaux. Les magistrats s’insurgent et dénoncent lors d’une grève tenue jeudi, les nombreuses nominations illégales effectuées récemment dans leur profession donnant, par exemple lieu à des jugements « piteux » envers des extrémistes religieux dangereux. Le même jour le collectif d’avocats des familles des deux députés, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, dirigeants du parti politique d’opposition le plus virulent à l’encontre des islamistes, assassinés en février et juillet dernier, ont accusé, documents à l’appui, quatre hauts responsables du Ministère de l’Intérieur, cités nommément, d’avoir entravé l’enquête judiciaire par « dissimulations de preuves » pendant des semaines permettant ainsi aux assassins, formellement identifiés, de disparaître.
A l’Assemblée Nationale Constituante, qui en deux ans n’a pas été capable de rédiger le seul travail pour lequel elle avait été élue, c'est-à-dire la rédaction de la Constitution, et non de légiférer comme elle l’a fait, s’est de nouveau trouvée amputée de plus de 60 de ses membres. Motif : des amendements « votés en l’absence des réfractaires et sous la pression des députés islamistes, et destinés à retarder le processus de "la feuille de route" Les mécontents ont déclaré qu’ils ne réintégraient l’hémicycle qu’une fois les dits amendements annulés.
A titre indicatif ce petit pays de 11 millions d’habitants environ, s’est donné, par la voix de 50 % de ses électeurs potentiels, un monde politique pour le moins vorace et qu’il juge aujourd’hui inutile. Au point, dans certaines couches de la société, d’en arriver à « regretter l’ancien régime. » Inventaire : 217 députés (soit 1 élu pour moins de 51 mille habitants alors qu’en France par exemple 1 élu représente… 129 mille citoyens) ainsi qu’un gouvernement de plus de…45 membres (tout comme les grandes nations !) et un Président de la République sans aucun pouvoir, logeant dans un Palais digne des mille et une nuits et voyageant souvent. Et vogue la galère !