J’ai testé pour vous : une manif des Gilets Jaunes
Caen a dans l'imaginaire collectif une réputation de ville grise, ce qui est entièrement faux. Pour preuve, ce samedi 8 décembre, la cité aux cent clochers était devenue une ville jaune… c'est en tout cas ce qu'espéraient les meneurs locaux de la jacquerie sociale qui secoue
Chloé Teissier et Patrick Bunel, les deux leaders des Gilets Jaunes caennais, qui, au passage, ne se supportent pas et rivalisent à qui sera le "vrai" meneur, avaient appelé les mécontents à se rassembler "Samedi à 10 heures, place du Théâtre, pour l'acte IV"… Médias et société civile nous serinent constamment que ce mouvement contestataire est l'expression d'une "colère" et d'une "souffrance populaire" des classes moyennes. Par curiosité, j'ai mis mon libertarianisme dans la poche et je me suis rendu, à l'heure fixée, au lieu du rendez-vous : m'attendant effectivement à une armée de déclassés : pauvres de France et de Navarre réunis pour une grande marche vengeresse sur la vie qui, dit-on, est tellement injuste.
Que nenni. La moitié des manifestants sont des personnes âgées et l'autre moitié des jeunes lycéens ou étudiants qui, excitation juvénile quand tu nous tiens, ont brisé leur grasse matinée rituelle pour battre le pavé. Tous bien habillés et parfumés. Loin, très loin d'une marche de lumpenprolétaires en colère. Pas plus de "marée jaune" promise sur les réseaux sociaux. Quelque centaines de participants, tout au plus. Plusieurs connaissances qui avaient juré sur facebook de défiler pour "renverser Maquereau et sa Trogneux" ont ainsi décliné au dernier moment : la voiture de l'un étant miraculeusement tombée en panne tandis que le chat d'un autre s'était soudain senti malade et une troisième ayant refusé de venir car (je cite) : "le jaune porte malheur au théâtre et j'ai justement une répét' demain"… Faux, mademoiselle, c'est le vert ! Et c'est uniquement à l'intérieur du théâtre que, d'après la tradition, il porte malheur.
Bref, la manif démarre sans préambule. Lors du précédent rassemblement, l'une des leaders avait tenté de prendre la parole pour motiver ses troupes mais un rival avait envoyé des gorilles au crâne rasé pour lui arracher le mégaphone des mains. Pour éviter que les querelles intestines gangrénant le mouvement ne soient de nouveau mises en lumière, décision a été prise de n'opérer à aucune prise de parole. Il faut dire que chacun veut être calife à la place du calife.
On se met donc en marche (hum…) avec pour but d'aller à
C'est alors que l'idée me revient à l'esprit : j'étais venu pour voir qui étaient ces fameux "révoltés". Je commence donc à scruter les drapeaux, pancartes et autre signes ostensibles. On y voit beaucoup d'apolitiques (surtout chez les jeunes) mais aussi quelques vieillards avec des écussons de
Pendant ce temps, la marche avance inexorablement. Tout le monde ne crie pas sa colère et sa souffrance, loin de là. Une dame âgée explique à son amie comment réaliser une recette de salade minceur ; un homme ventripotent raconte sa partie de pêche aux gardons à ses potes hilares ; tandis que, juste à côté de moi, un jeune d'environ 18 ans parle au téléphone à tue-tête, racontant pourquoi Laura l'a largué (elle l'avait vu en train de "rouler une pelle" à Stéphanie)… Bon, je décide d'aller en tête de cortège. Mais ça n'est pas mieux là bas : entre chahutages, discussions sur les voitures, et des types qui marchent en descendant des canettes de bière apportées pour l'occasion. On nous avait promis la marche des bannis et des "derniers de cordée", mais c'est plutôt un carnaval bon enfant. Pour que ça ressemble quand-même à une manif, quelqu'un lance : "Macron t'es foutu, le peuple est dans la rue", de manière mécanique toutes les minutes. Le slogan, repris par la foule à plusieurs reprises s'estompe vite pour laisser place aux discussions triviales. A un moment, on a même le droit à un : "Wouah ! la chaudasse !!!" crié par un manifestant visiblement éméché à la vue d'une passante (effectivement très belle) sortant d'un des rares magasins ouverts.
Car, pour prévenir les débordements, la plupart des commerçants ont décidé de fermer boutique. Rien à casser, accès à la préfecture interdit, l'armée des clo(w)nes commence à en avoir ras-le-bol de tourner en rond dans les rues. Les rivalités, que l'on avait désespérément essayé de camoufler, ressortent dès lors au grand jour. "Tous à Mondeville !" (une commune voisine de Caen), crie un grand gaillard moustachu en s'écartant de la foule. Des dizaines de manifestants lui emboîtent le pas, tandis que le cortège principal commence à les huer en les traitant de vendus et de barbouzes. Je remarque à l'occasion que certains arborent des gilets oranges : n'ont-ils pas trouvé de jaunes ou bien est-ce une énième scission ? J'évite de poser trop de questions, la grande paranoïa de tous les manifestants étant la présence de "flics en civil infiltrés". En terme de complotisme, ce n'est que le début. J'apprends par exemple que le gouvernement procède à des "épandages chimiques" (chemtrails) pour rendre la population docile ; que Coluche a été assassiné par le SDECE ; que Brigitte Macron est en fait juive et que le président projette de vendre l'Éducation Nationale au Qatar.
Heureusement, il commence à pleuvoir, ce qui provoque la débandade du cortège (on veut bien affronter les illuminatis mais pas la pluie). Chacun rentre chez soi avec le sentiment du devoir accompli. Ite missa est.