jeudi 12 mars 2020 - par Emile Mourey

J’enterre ma vie de garçon... par Rembrandt, merveilleux tableau, inconnu et méconnu

 

À gauche : vente du 20/10/91 à l’Hôtel des ventes de Lyon-Brotteaux, portrait d'un inconnu par un auteur inconnu, intitulé "le buveur". Ecole Hollandaise du XVII ème siècle. Huile sur panneau. Haut. 20,5 cm – Long. 17,5 cm. Catalogue n° 31, photo en couleurs...

Mon interprétation : "j’enterre ma vie de garçon", par Rembrandt. Vers 1635 ou 1636. Huile sur bois. Cadre en ébène.

À droite : "Rembrandt avec sa femme Saskia". 1636. Collections nationales de Dresde, galerie des maîtres anciens. Mon interprétation : "je me marie".

Le 22 juillet 1634, Rembrandt épouse la riche nièce de son propriétaire, Saskia van Uylenburch. De toute évidence, son tableau de Dresde célèbre l'événement. Vêtus de leurs habits de noce, les deux époux fêtent leur mariage. Au comble de la réussite et du bonheur, assis à la table du festin, Rembrandt tient sa femme sur ses genoux. Il élève la grande flûte de vin précieux à la santé du spectateur pour lui faire part de son bonheur. Le tableau est authentifié deux fois, une fois par la signature de Rembrandt, une deuxième fois par la carrure caractéristique de sa main gauche.

Si vous comparez les deux tableaux que je qualifie ainsi, J'enterre ma vie de garçon et celui de Dresde, Je me marie, vous vous rendez à l'évidence que le peintre, outre la main gauche qui est rigoureusement identique, a reproduit le même visage... j'en déduis que, si le second est un Rembrandt, le premier l'est aussi.

Toute l'œuvre de Rembrandt montre que le peintre s'est représenté tout au long de sa vie, un peu comme s'il voulait sonder l'homme au travers du spécimen qu'il était. Ainsi s'expliquent ses portraits où suivant son humeur, il s'est représenté plus beau qu'il n'était ou plus laid, riant ou en colère, richement vêtu ou mendiant. Ainsi s'expliquent nos deux tableaux qui marquent l'événement le plus important de sa vie.

Dans le tableau de gauche J'enterre ma vie de garçon Rembrandt est dans une cave, seul, dans l'ambiance souterraine, quasi mystique, d'un bonheur à venir. Il tient un verre de dégustation. Au travers du cristal, le rouge du vin apporte au tableau sa note chaude de couleur. Elégamment habillé, plume au chapeau - Rembrandt est un amoureux des chapeaux les plus excentriques - la main droite reposant négligemment sur le pommeau de sa canne, il savoure ses derniers moments de liberté et d'insouciance.

Rembrandt aimait le vin, cela ne fait aucun doute. Dans un autre de ses tableaux, à mon avis faussement attribué à Téniers, il s'est représenté en vieille femme abrutie par la boisson, tenant à la main le même verre de dégustation. Ce visage de vieille femme, c'est ce même visage veule de Rembrandt riant.

 À gauche, "La rieuse" dite par Teniers. Ancienne collection Schloss, œuvre volée par les nazis et perdue. Il s'agit en réalité de Rembrandt qui s'est représenté en vieille femme buvant. Eau-forte. 1630. 4,8 x 4,2 cm. Monogrammé et daté Legs Wittert (1903). À droite, "Rembrandt riant", musée du Louvre. Ce sont les mêmes visages.

Autres tableaux où Rembrandt s'est représenté : enfant épanoui de bonheur à la bulle de savon ou jeune homme renfrogné et boudeur. À gauche musée de Draguignan, à droite Rijksmuseum Amsterdam.

Mais, pour Rembrandt, le bonheur n'a duré qu'un temps. La descente aux enfers est très vite venue. Après avoir emménagé dans une nouvelle maison qui l'a plongé dans les dettes, il perd sa femme et de ses enfants, un seul survivra. Ses affaires périclitent. Les chairs de son visage s'affaissent sous l'effet de l'âge. Ses christs pourrissent sur la croix. Sa vue baisse et, pour finir, dans l'un de ses derniers tableaux, il se représente sous le profil terrible et justicier d'un Dante qui, imperturbablement, l'attend pour le conduire dans le monde des morts.
 
"Rembrandt disant adieu au monde des vivants"
Musée de Cologne.

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Château de Taisey, Emile Mourey, le 10 mars 2020. Les images peuvent être soumises à des droits d'auteur.



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