Jean-Pierre Treiber a-t-il avoué ?

Jean-Pierre Treiber a pris les devants en se suicidant.
Mais les devants de quoi ?
Son procès était prévu à partir du 20 avril à Auxerre. Il y a quelques semaines, j’avais appris que ma collègue Anne Vosgien serait ministère public. Depuis longtemps, on savait que la famille Giraud partie civile avait choisi pour avocat Me Francis Szpiner et que Jean-Pierre Treiber serait défendu par Me Eric Dupond-Moretti.
La mort que Treiber a décidé de se donner en se pendant au petit matin du 20 février va nous priver d’une vérité "judiciaire" que la cour d’assises aurait décrétée après de longs débats. Mais qui peut dire aujourd’hui, sans s’égarer, de quoi elle aurait été faite ? Quel arrêt aurait été rendu ? Qui peut oser faire l’impasse sur une oralité dont on devine qu’elle aurait conduit à des affrontements durs, dramatiques, insupportables, en tout cas totalement imprévisibles ? Qui peut se mettre à la place de Jean-Pierre Treiber pour affirmer, sans aucun doute, ce qui aurait été le fond de ses déclarations ? Peut-être aurait-il tout avoué ou tout nié ? Peut-être aurait-il continué à contester être l’auteur des meurtres pour n’admettre que les opérations frauduleuses avec les cartes bleues ? Peut-il aurait-il communiqué des noms qui auraient imposé de nouvelles recherches ? Peut-être se serait-il tu par habileté, malfaisance ou crainte de n’être jamais cru ? La cour d’assises n’est plus dorénavant qu’une immense virtualité vide, pleine seulement de nos supputations qui, pour être honnêtes, ont le devoir de ne rien éluder et de tout envisager.
La seule certitude - elle est terrible -, c’est que le couple Giraud n’aura jamais de réponse. Etre convaincue de la culpabilité de Treiber ne lui suffisait évidemment pas. Il brûlait douloureusement d’entendre de sa bouche les détails, les horreurs, l’histoire des derniers jours reliant la vie de l’être cher Géraldine à sa mort épouvantable. Il ne serait pas allé jusqu’à cet aveu tant souhaité que sa seule présence dans le box et l’espoir, au fil des jours, de le voir s’effondrer dans une reconnaissance totale de culpabilité auraient déjà, d’une certaine manière, comblé une partie des attentes des époux Giraud si intensément unis devant la tragédie et capables en même temps d’un regard différent sur celui qui aurait été l’accusé au mois d’avril. Roland Giraud, à la suite de cette mort, décrit le contraste de sa personnalité bouleversée lorsqu’il se dit "effondré" et "furieux" (nouvelobs.com, lefigaro.fr, JDD.fr, lemonde.fr, France Info, France 2).
Il est de bonne guerre judiciaire, mais de médiocre humanité, de proclamer que le suicide de Jean-Pierre Treiber est un aveu et qu’il s’est infligé "la peine définitive que notre code pénal a abolie" (20 minutes). Je me demandais si on oserait formuler ce poncif qui prétend tirer un enseignement clair et vindicatif d’une mort pleine d’équivoque. Me Szpiner, qui ose tout, n’a pas hésité et je suis même persuadé, si ce n’est déjà fait, qu’il se montrera à la télévision. De l’autre côté de la tragédie d’aujourd’hui, se tient - dans tous les sens du terme : notamment, il a de la tenue- Me Eric Dupond-Moretti dont l’intervention sur France Info a su respecter décence et dignité. Il lui aurait été aussi facile qu’à son adversaire d’exploiter, autrement, ce désastre humain. Je suis sûr aussi qu’il ne viendra pas, à l’occasion de cette catastrophe, sur un plateau de télévision pour amplifier une notoriété déjà acquise.
L’incarcération à Auxerre, l’évasion puis l’arrestation dans l’appartement, la réincarcération à Fleury-Mérogis, l’attente du procès, la liberté justement entravée d’un "homme des bois", la haine de l’enfermement, l’angoisse de se retrouver en face de familles brisées, éplorées - je ne l’ai pas évoquée mais je n’oublie pas les proches de Katia Lherbier -, la honte profonde de soi ou la peur de ne pas savoir exprimer l’essentiel, l’inéluctabilité, dans tous les cas, d’un avenir sombre - il y a tant de sensations contrastées, antagonistes, d’orages, de paniques et de refus qui peuvent mener à la destruction de soi.
Jean-Pierre Treiber aurait laissé un courrier pour expliquer son dernier geste. Il en aurait eu "marre d’être pris pour un assassin" et séparé des êtres qu’il aimait. Pourquoi pas ? Mais au moment du désespoir ultime est-on forcément transparent à soi-même, lucide sur les ombres et conscient des raisons qui poussent à cette suprême irrationalité qui n’est certainement pas lâcheté (lepoint.fr) ?
Son suicide, au contraire, serait un aveu. Mais la mort ne dit rien. Elle n’est qu’une preuve de malheur. On ne peut y lire autre chose que l’interrogation qu’elle nous pose.
Treiber a pris les devants. C’est tout. Un mystère à perpétuité.