Jeune aujourd’hui, vieux demain !

Réflexions et témoignage
Toutes les générations jeunes se comportent de la même manière, et chacun d’entre nous qui est jeune aujourd’hui ou qui l’a été, sait à quel point l’homme moderne, dans son agitation perpétuelle pour « réussir » sa vie, pose loin devant lui cette inquiétante période de sa vie qu’on appelle encore parfois le 3ème âge et qui s’est transformée, par la grâce des manipulations sémantiques propres à notre démocratie illusoire, en ce titre typique des études à la Palo Alto : les seniors.
Et comme tout le monde, je me suis, fritté à la nécessité de « placer » un vieux parent dans ces établissements qu’on appelle EHPAD. Après 3 ans de bataille pour tenter de maintenir ma vieille mère à son domicile, j’ai dû céder devant la fragilisation galopante, les chutes à répétition et les limites d’un personnel à domicile pourtant d’un rare professionnalisme et d’une résistance inouïe.
Outre le coût exorbitant du maintien à domicile (6 personnes pour une surveillance et des soins sur 24h) qui oblige à trouver des solutions acrobatiques mais dont une partie rapporte gros aux URSSAF, le coût affectif est souvent tout aussi lourd. Il faut beaucoup de réflexion, de discussions (avec le personnel, la famille, les « conseillers ») pour se décider et surtout, pour trouver le bon établissement.
Le choix des critères en la matière est aussi complexe que pour l’achat d’une maison ou d’un appartement. Mais là, on se focalise essentiellement sur le coût mensuel, l’environnement intérieur et extérieur (le site de l’EHPAD) et l’organisation des soins. J’ai, pour ma part, opté pour la proximité du domicile, afin de pouvoir organiser des visites fréquentes, mais aussi pour la dimension petite de l’EHPAD, sa récente création et son emplacement. Construit au cœur d’un nouveau lotissement dans les Pyrénées Orientales, région en plein développement et en passe de devenir le nouveau département des derniers retraités moins argentés que ceux de la région PACA, cet EHPAD fait indiscutablement parti de ces nouvelles réalisations rassurantes parce que joliment décorées, lumineuses où l’on voit en permanence aller et venir un ballet de jeunes femmes et quelques jeunes hommes – tous AS : aides-soignants, infirmières ou responsables administratifs – dans le hall et les larges couloirs.
Mais… c’est au bout de plusieurs longs séjours d’aide et de visites, que j’ai fini par comprendre comment tournaient effectivement ces fameux nouveaux EHPAD un peu partout en France. De nombreux rapports ont été produits sur les divers financements nécessaires à la « gestion » du vieillissement des populations occidentales. La Toile propose pléthore de liens sur ce vaste sujet et leurs conclusions convergent vers les mêmes constats :
- Le nombre de vieux augmente partout dans l’hémisphère nord.
- Les coûts augmentent forcément au prorata de l’hystérie de rentabilité.
- Les familles doivent contribuer de plus en plus lourdement en terme financier mais aussi en terme de temps, d’énergie et de tracas anxiogènes.
- Les aides proposées (APA, Sécu…) sont symboliques par rapport au coût global et ne changent pas grand-chose à la charge réelle.
- L’organisation mondiale des nécessités du travail (esclavage moderne) explose les liens familiaux et isole de plus en plus les individus jeunes comme vieux.
Mais plus problématique, la gestion même des EHPAD a été décidée par des technocrates (une fois de plus !) que l’on peut imaginer aisément comme probablement jeunes, donc n’ayant absolument aucune expérience de la réalité de cet état, ou moins jeunes mais vraisemblablement à l’abri de ces tracas financiers.
J’ai donc découvert à mon tour cette réalité et je n’évoquerai là que les conditions pratiques les plus pertinentes en terme de santé, d’humanité, de bon sens et… de réflexions philosophiques que cette expérience m’enseigne notoirement.
De quoi les « sénioriales » et autres EHPAD sont-ils les symptômes ?
Ces nouveautés de « gestion des populations vieillissantes » sont les symptômes d’une civilisation, essentiellement occidentale en attendant que le modèle s’impose partout ailleurs par la « grâce » de la mondialisation, d’une déliquescence flagrante d’humanité.
Formatées par le délire globalisateur, fascinées par les modèles promulgués à jet continu par les médias et le cinéma made in Hollywood , les nouvelles générations sont dressées loin, très loin, des lois essentielles de la Vie. Famille, valeurs à l’ancienne, partage, affection et soutien naturel fonctionnent à minima. On connaît tous l’importance accordée à ce que les spécialistes de la chose nomment la « cellule familiale ». Cette cellule est donc réduite à sa dimension la plus restreinte : un couple de parent (plus de papa ni de maman, on fait dans le neutre à dessein) + un ou deux enfants max + un chien ou un chat.
Fini les familles à lourdeur et obligations que la pseudo révolution de 68 a conchié et bienvenue aux familles « recomposées » et le plus souvent décomposées. Résultat, quand on est encore jeune on est forcément loin des affres de l’inévitable finitude. On y pense pas ou peu, et les parents encore relativement jeunes et souvent « branchés » partent régulièrement en tourisme avec leurs vaccins rassurants et leurs valises à roulettes. Devenus jeunes adultes, les enfants font leur vie et rêvent d’un avenir plein de pognon ou tout simplement un bonheur qui sera forcément mieux ailleurs qu’au lieu de vie familiale. On part donc « faire de la thune » au Canada, aux « states », à Londres et quelques fois en Chine ou à Hong Kong. Les centres nerveux de la thunerie mondialisée sont très prisés.
Alors, quand survient l’inéluctable, parfois trop tôt parfois tard, on s’affole, on cherche – sur le net ! – les lieux de résidence qui pourront apaiser la conscience. Après avoir visité les nouveaux établissements décorés façon « maison du monde » ou « meubles pas chers » où cavalent toute la journée des équipes… réduites d’aides-soignantes en blouse blanche et « croqu’s » aux pieds, on fait le choix qu’on croit le moins pire. Dans ces établissements les CDI sont peu nombreux. On y compte d’ailleurs, et ça vaut mieux, quelques infirmières qui auront à charge de distribuer les dizaines de pilules en tout genre que l’on fait ingurgiter aux vieux pour le bonheur des labos. Le reste des employés, souvent d’origine africaine pour le nord et hispanique pour le sud, sont des intérimaires. On ne les voit que pendant quelques jours voire au maximum quelques semaines. Pas le temps de créer du lien avec les résidents, on a une fiche de « soins » et on la suit en un temps record pour éviter de se faire virer.
Chiffre et protocole officiel :
1 aide-soignante doit assurer 12 toilettes de personnes âgées (souvent invalides, dépendants à 50, 70 ou 100 %)
Qui n’a jamais pratiqué une seule fois dans sa vie l’aide à une personne dépendante ne sait rien de l’énergie que cela exige et rien non plus de la solidité psychique requise. A plus forte raison lorsqu’on fait cela toute l’année.
Le salaire net mensuel médian s’élève à 1.732 euros, selon les chiffres de 2012, toutes spécialisations comprises.
(source : Medic Actu)
C’est indiscutablement l’un des métiers les plus difficiles et les plus usant psychologiquement que j’ai expérimenté personnellement pendant un mois et demi.
Les EHPAD sont à la culture du pays ce que la world music est à la musique authentique. Au mieux, un pis-aller, au pire un cauchemar pour les accompagnants et les employés.
Gestion du « vieillissement » de la population
Sans surprise, les EHPAD gèrent comme ils peuvent et le plus souvent à la façon d’une entreprise. On calcule au plus juste, on compte avec de multiples aides sociales, la sécu, aides du Conseil Régional. Mais les accompagnant familiaux doivent palier la plupart des manques cruciaux. En effet, si les EHPAD ont des budgets pour faire venir des groupes de chanteurs de variétés pour « anciens », des conférenciers pour animer des groupes sur des thèmes « vie », des spectacles avec cotillons et gâteaux industriels, en revanche l’embauche d’aides-soignantes supplémentaires en CDI n’est pas envisagée et le travail est assuré selon l’équation classique : équipe réduite de CDI + une tournante d’intérimaires.
Résultat des comptes de la France « modernisée » et « en marche »
Il faut se débrouiller pour être largement disponible quotidiennement pour assurer :
- Des changes suffisants en cours de journée (pas le temps de changer des vieux plus de 2 fois par jour, sauf si vraiment « cata »).
- Compléter la toilette personnelle pour éviter que votre vieux parent ressemble à une folle ou à un pauv’type.
- Assurer au moins un brossage de dents journalier… sinon, pas de brossage du tout et forcément des complications en matière d’hygiène buccale et par extension en matière digestive.
- Réorganisation quotidienne des placards à vêtements qui, sinon, se transforment en placard en vrac.
- Pistage des vêtements et objets personnels perdus et rarement retrouvés. En effet, on fait laver à l’extérieur en industriel. N’apportez jamais un lainage à votre vieux parent, vous le retrouvez passé de la taille 42 à la taille 4 ans ! (merci la surchauffe en machine de séchage).
- Vérifier les quelques meubles et objets installés dans la chambre… le ménage est fait mais à l’arrache. Alors les objets se « déplacent », se perdent.
Si vous êtes suffisamment impliqués, vous pouvez aussi avoir à aller aider dans des chambres voisines car les chutes ne sont pas rares, les incidents non plus et les personnes immobilisées dans leur chambre et incapables d’autonomie peuvent passer pas mal de temps à appeler en vain. Si vous n’êtes pas loin, forcément vous y allez et il n’est pas rare non plus que vous aidiez une aide-soignante, seule, qui tente de relever une personne âgée. Allez donc soulever un corps inerte, vous m’en direz des nouvelles…
Je ne parle même pas des repas et de la qualité des aliments. On mange mieux chez Flunch que dans la plupart des EHPAD, et les établissements où l’alimentation est meilleure, coûtent au bas mot 3500 à 3800 mensuels si ce n’est pas plus en région parisienne (jusqu’à 5000 et plus). Qui peut payer ça ??
Conclusion
L’expérience dont je parle me concerne, vous l’aurez compris. Le lieu où réside ma vieille mère est un lieux récent et implanté dans un bel environnement. Cela n’empêche pas que les dysfonctionnements posent de réels problèmes et pourtant, la résidence coûte cher.
Hormis le fait que je vive une expérience très répandue (on ne parle même pas de la « gestion » des cas d’Alzheimer), je souhaitais témoigner surtout pour faire réfléchir à la signification d’un certain choix de « gestion des anciens » dans une société. Tout un symbole où l’indifférence, la distance, l’éloignement et une certaine angoisse collective traduisent la déliquescence des véritables valeurs humanistes et, d’après moi, également la fin même d’une civilisation qui atteint sa phase finale de déclin.
Dans un pays comme la France qui n’en finit plus de s’auto proclamer « pays des Droits de l’Homme », on a tous vite fait de vérifier que ces droits étaient bien appliqués mais exclusivement à ceux qui rapporteront des % supplémentaires aux créanciers privés qui mettent progressivement tous les domaines de notre société en mode BU (Business Unit).
La fosse commune ne reviendra vraisemblablement plus car les pieuvres de la financiarisation totale ont ce génie diabolique de transformer la moindre minute de notre vie et de notre mort en autant d’opportunités de profits et de rentes.
Quand on a 20 ans, voire même aujourd’hui 30 ans, on est loin de tout ça. On se dit qu’on fera autrement, que ça ne nous arrivera pas comme ça, qu’on fera ceci ou cela, qu’on saura anticiper, trouver la bonne solution… Erreur mes amis ! Face à la finitude et à la mort, on est tous, sans exception, vraiment égaux. Dans la soie ou dans le drap made in china, dans un EHPAD à 3000 boules mensuels ou un « château » à 5000, entouré de proches sincères ou seul en tenant la main de l’aide-soignante qui vous aura accompagné, on passera tous, SEUL, l’épreuve finale, et bien malin celui qui continue à dire « moi, quand je verrai que, je ferai ceci, je ferai cela ». Nous serons tous comme les enfants… on aura peur, on l’exprimera ou pas, mais on saura qu’on ne peut strictement rien faire.
Notre modernitude a choisi de parquer les vieux… ayant détruit les solidarités de tous ordres, elle impose aux accompagnants et aux aidants des conditions qui traduisent son véritable état d’esprit.
Ma suggestion finale sera : Faites tout ce que vous pouvez (ou pourrez) pour être proche de celle ou celui qui part. C’est la dernière transmission qu’aucun créancier ne pourra jamais nous enlever. La solidarité n’est pas un mot pour politicien, elle EST l’humanité vraie.