lundi 28 octobre 2019 - par Bertrand Loubard

Judi Rever et Paul Kagamé : « Le premier qui dit la vérité ..... » (1/... ?)

Le gentil Guy Béart chantait :

Le premier qui dit, se trouve toujours sacrifié

D'abord on le tue, puis on s'habitue

On lui coupe la langue, on le dit fou à lier

Après sans problème, parle le deuxième

......

Le premier qui dit la vérité

Il doit être exécuté.

.......

 

Comme tout un chacun le sait, le Royaume de Belgique est un Etat de Droit. L’exercice des trois Libertés Fondamentales de Penser, de Parler et de Circuler y sont garanties par la Constitution. La séparation et l’indépendance des trois pouvoirs : Législatif, Exécutif et Judiciaire est une réalité incontestable. Des lois dites mémorielles y ont même été démocratiquement votées récemment, même si elles ont appelé des commentaires de la part de juristes, avocats, penseurs, universitaires, scientifiques, chercheurs, politiciens, journalistes et historiens, parce qu’elles ont été votées sous un gouvernement démissionnaire en « affaires » courantes » !!!! Aux yeux de certains, elles pourraient présenter, cependant, un certain caractère liberticide[1]. Toujours est-il que s’exprimer ou manifester son opinion de quelle que manière que ce soit et sur quel que sujet que ce soit ne peut subir aucune contrainte de qui que ce soit pour autant que toutes les lois soient respectées ( libertés Fondamentales d’autrui, respect de l’ordre et des règles d’occupation de l’espace publique, lois mémorielles, autorisations administratives, etc., etc.). Ces restrictions légales visent-elles, les « intentions », les « insinuations »...fort probablement que non !!!! (et encore ! ...laissons venir voir ... !)

 

En Belgique la journaliste canadienne Judi Rever[2] était venue, en août 2015, « investiguer » pour la rédaction de son livre : « In Praise of Blood – The crimes of the Rwanda Patriotic Front »[3]. La Radio-Télévision Belge d’expression française (RTBF) titrait, alors : « Une journaliste canadienne anti-Kagamé protégée par la Sûreté de l'Etat »[4]. (Garde du corps, voiture blindée, etc. ... !). RTL-TVI reprenait la nouvelle dans ses émissions du 9 août 2015[5]. Les services de renseignement belges auraient été « avertis diplomatiquement » d’une possibilité sérieuse de tentative d’assassinat de la journaliste. Les moyens mis en œuvre pour la protection de Judi Rever étaient les mêmes que ceux qui avaient été mobilisés pour protéger Salman Rushdie lors de sa visite en Belgique : cela pour dire que « c’était sérieux ». (Salman Rushdie est l’auteur, en 1988, des « Versets sataniques » et sous le coup d'une « Fatwa » émise par l'Ayatollah Khomeini - C’est l’éditeur Random House qui a eu en 2010 les droits de l’édition des mémoires de Salman Rushdie – La même maison d’édition que celle de Judi Rever en 2018).

 

Judi Rever est revenue en Belgique entre les 9 et 12 octobre 2019 pour participer à la VUB[6] (Vrije Universiteit Brussel – section néerlandophone de l’ULB, Université Libre de Bruxelles) à une « Lecture »[7], en présence, entre – autre, de Serge Swinnen, ex-Ambassadeur de Belgique au Rwanda (de 1990 à 1994[8]). Elle se serait également exprimée devant d’autres auditoires d’institutions universitaires à Leuven, Gent, Antwerpen et dans des « forums-cercles » à caractère « privé » et pour ceux-là, uniquement, sur invitation.

 

Grâce à la garantie constitutionnelle des Libertés fondamentales, dont tous jouissent en Belgique, un panel de juristes, avocats, penseurs, universitaires, scientifiques, chercheurs, politiciens, journalistes, historiens de divers horizons nationaux, mais majoritairement internationaux, a publié une « lettre ouverte », une « pétition » suivant le journal belge « Le Soir »[9] du 09/10 et l’hebdomadaire français « Jeune Afrique » du 10/10/2019. Du « Soir », il est extrait de ce « document » : « ... la plate-forme que vos universités respectives ont offerte à une négationniste connue du génocide de 1994 contre les Tutsi du Rwanda » ... « En promouvant les théories du complot de Judi Rever » , etc.. Dans « Jeune Afrique »[10] est repris l’expression, plus prudente : Judi Rever ... « journaliste canadienne explicitement accusée d’être une négationniste du génocide de 1994 contre les Tutsi du Rwanda »[11]. Le texte de cette « lettre » est repris également sur le site « UMUVUGIZI »[12] sous la signature d’un certain Romain Gras, en soulignant que : « ...... la journaliste insinue la thèse controversée du double génocide, Judi Rever est accusée de négationnisme » .... elle « a pour finalité de nier le génocide des Tutsi » (sic). Ce « document-pétition-lettre ouverte » aurait pu justifier, de la part de ses « signataires », une procédure d’extrême urgence, vis-à-vis des organisateurs de ces « manifestations », afin d’interdire, en référé, Judi Rever de s’exprimer, comme elle se proposait de le faire, vu la gravité des accusations qu’il faisait peser sur elle !!!. Pourquoi n’y a-t-il donc pas eu appel aux instances ad hoc et aux procédures de la justice belge, prévues à cet effet, pour limiter, préventivement, « la liberté de parler » de Judi Rever ? Risque d’une fin de non-recevoir ? Procédure sollicitée sur base de motivations imprécises, inexactes et incomplètes ? Le contenu de ce « document-pétition-lettre ouverte » ne pourrait-il-être pas, dès lors, suspecté de « médisance » au mieux et au pire de « calomnie » ? Ces questions ne peuvent-elles pas être posées ? Faut-il rappeler que l’ULB (et donc la VUB) est le temple du Libre Examen (LIBREX) et que tout questionnement y est accueilli avec une discrimination positive et une attitude de liberté et d’ouverture « franche et massive ». La KUL (Katholieke Universiteit Leuven) aurait déjà exprimé son avis[13] sur l’initiative des « pétitionnaires » du 8 octobre 2019.

 

Remarquons que ce sont dans des « institutions » néerlandophones que les interventions de Judi Rever avaient été programmées. Ce qui n’est pas étonnant, puisqu’en effet, le livre de Judi Rever a été traduit en néerlandais et édité aux Pays Bas, il y a déjà un an, sous le titre « De Waarheid over Rwanda : het regime van Paul Kagame »[14]. Bien que la « branche » locale de « Ibuka[15] » aurait eu l’intention d’interdire[16], sans succès, cette publication, il n’y pas eu de « manifestation » d’indignation comparable à l’actuelle situation en France et en Belgique. Et puisque certains pétitionnaires auraient invoqué la Shoah ne doit–on pas rappeler que les Pays Bas ont la réputation d’un pays historiquement d’une grande tolérance (et la patrie d’Ann Frank !!!!! ) ? .......... Judi Rever a également présenté son livre au Japon. Et là aussi, il n’y a pas eu de grand tollé. Il faut savoir qu’il semble bien que la traduction française de ce livre aurait fait l’objet d’un « contrat » entre l’auteur et les Editions Fayard. Celles-ci se seraient rétractées, semble-t-il, avec, à la clé, une action en justice de la part de Judi Rever, pour « rupture abusive de contrat » (?) [17] [18]. Il semble donc assez normal que la partie francophone de Belgique n’ait pas encore « participé » à l’expression d’une analyse critique de l’opinion de Judi Rever ....... Cependant, ce qui est encore plus étonnant, c’est l’allocution de l’ex - ambassadeur belge au Rwanda, Johan Swinnen (Cfr ci-dessus, note de bas de page n°7), allocution prononcée, en néerlandais, dans la très officielle et protocolaire « Promotiezaal » de la KUL, le 09 mai 2019 à l’occasion de la commémoration des 25 ans du Génocide des Tutsi du Rwanda[19]. Devant un parterre de juristes, avocats, penseurs, universitaires, scientifiques, chercheurs, politiciens, journalistes, historiens et ancien(s) ministre(s) belge(s) , il aurait, en fin d’allocution, dit[20] : « Les victimes du FPR sont-elles mortes à cause de dommages collatéraux, de crimes contre l'humanité ou même pire ? J'ai lu le livre de Judy Rever ».............. « Un livre qu'elle a écrit après de nombreuses années de recherche sur les crimes avant, pendant et après le génocide, au Rwanda et au Congo. Il ne serait pas honnête de qualifier ses conclusions de frivoles ou superficielles. Elles devraient être prises au sérieux ». Bien que datant de près de 6 mois, cette prise de position quasi-officielle n’a suscité aucune réaction de la part des auteurs du « document-pétition-lettre ouverte » de ce 08 octobre 2019.

 

Ayant lu le livre de Judi Rever, en anglais, j’avais tenté d’en « commettre » une « approche analytique » sous divers titres, sur « Agora Vox » :

« Le Rwanda, Paul Kagamé et Judi Rever (1/2) et 2/2) » sous les URL respectives :

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-rwanda-paul-kagame-et-judi-203545

et

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rwanda-paul-kagame-judi-rever-et-204243

Ensuite et sous les titres ultérieurs (toujours sur Agora vox) :

« Rwanda Paul Kagamé, Judi Rever ... et après ? » (1/2 et2/2)

et

« Rwanda : Kagamé - Judy Rever » : (1/8) à (8/8) ,

j’avais poursuivi l’expression de mes questionnements, réflexions et sentiments à propos de ce livre et de son auteur.

 

Je me pose donc, dans l’état actuel de mes cogitations, la question de savoir s’il serait prudent de continuer à « plancher » sur la question de cet « incident », sans devoir rendre des comptes à la justice belge pour délits éventuels « d’intention, de sous-entendu, de suggestion, d’insinuation de négationnisme » .....

 

Mais qui aurait donc peur de Judi Rever..... ????

(A suivre ?)

 

[2] Journalistee Canadienne du “"The Globe and Mail" - Toronto

[3] ISBN 978-0-345-81209-4

[6] Campus : Humanities, Sciences & Engineering - Faculteit : Recht en Criminologie

[8] Cfr « De J. Habyarimana (†1994) à P. Kagamé et à J. Swinnen (Ambassadeur Belge au Rwanda 90-94) I et II sur https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/de-j-habyarimana-1994-a-p-kagame-214008 et suivant

[11] Suivant les sources : de 51 à 63 signatures personnelles et 6 à 10 collectives et/ou associatives.

[14] « La Vérité à propos du Rwanda : le Régime de Paul Kagamé » - Amsterdam University Press

[17] “Rever recently initiated legal action against the French publisher Editions Fayard , which had signed a contract to publish her book but suddenly canceled”.

[20] “Have the victims of the RPF died because of collateral damages, crimes against humanity or even worse ? I read the book of Judy Rever ‘……...’A book she has written after many years of research on crimes before, during and after the genocide, in Rwanda and in the Congo. It would not be honest toqualify her findings as frivolous or superficial. They should be taken seriously”.



7 réactions


  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 28 octobre 2019 16:34

    Merci de persévérer ce travail d’éclaireur d’un terrain affreusement miné, en effet. Je ne crois pas qu’en France il soit déjà interdit de parler d’un double génocide rwandais mais je ne doute pas qu’on y vienne bientôt, la trahison de nos élites étant ce qu’elle est, on peut s’attendre au pire sous le rapport de la liberté d’expression, même à la validation par la loi de cet attentat à la logique que constitue l’inversion, accusatoire consistant à accuser de « négationnisme » celui ou celle qui affirme qu’il n’y a pas eu un mais deux génocides au Rwanda. En tout état de cause, le négationniste est bien celui qui dit qu’il n’y en a eu qu’un, celui des Tutsi, vu qu’il nie l’existence du génocide des Hutu.

    En tout cas je vais lire cette Judi Rever, en français ou en anglais s’il le faut...


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 28 octobre 2019 16:35

      erratum : persévérer DANS ce travail...etc.


    • Bertrand Loubard 28 octobre 2019 21:22

      @Luc-Laurent Salvador
      Merci pour votre commentaire.
      Dans cette affaire le plus triste, pour moi, c’est que l’argument de la lutte contre le négationnisme est pris comme « évacuateur » de l’analyse des événements depuis octobre 1990 jusqu’à présent. Par exemple dire que Kagamé a reconnu lui-même, lors de la célèbre interview de la BBC par Stephen Sackur du 07/12/206, d’une façon quasi explicite, qu’il est bien celui qui a commandé l’assassinat d’Habyarimana, c’est se faire sanctionner de révisionniste et autres « sobriquets » les uns plus péjoratifs que les autres. Or la position de Kagamé, depuis octobre 1990 jusqu’aujourd’hui, ne fait que renforcer l’idée qu’il n’y a pas dans le chef de celui-ci d’évolution, de dérive autoritaire provoquée par le danger que
      représenteraient les revanchards de l’ancien régime. Il s’agit au contraire de la confirmation d’une volonté initiale et obsessionnelle de pouvoir absolu, du caractère essentiellement dictatorial de la pensée de Kagamé constatée dès les premiers jours de son retour des USA et de sa reprise en main du FPR (assassinat de Fred Rwigéma et tous les autres assassinats qui ont suivi depuis et sont perpétrés encore actuellement).
      Bien à vous.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 30 octobre 2019 17:22

      @Bertrand Loubard

      Carla Ponte n’a-t-elle pas dit quelque chose comme « s’il a fait ça...(l’attentat contre Habyarimana) alors c’est le diable ! » ? A-t-on encore besoin du conditionnel ?


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 30 octobre 2019 17:28

      @Bertrand Loubard

      Bien d’accord aussi sur la question des accusations insensées dont font l’objet ceux qui cherchent la vérité en-deçà des versions officielles.
      C’est pourquoi j’ai insisté sur l’inanité de l’accusation de négationnisme vis-à-vis de ceux qui rappellent qu’il n’y a pas eu un mais deux génocides.
      Comme si deux génocides s’annulaient l’un l’autre...


    • Bertrand Loubard 31 octobre 2019 10:46

      @Luc-Laurent Salvador
      De mémoire, Carla Del Ponte aurait dit : « S’il était avéré que c’est le FPR qui a abattu l’avion du président Habyarimana, c’est toute l’histoire du génocide du rwandais qu’il faudrait réécrire ». Au cours d’une vidéo conférence lors du Colloque (28’50« à 29’20 ») « Le drame rwandais : la vérité des acteurs » Sénat, Paris, le 1er Avril 2014 sur
      https://www.youtube.com/watch?v=mzSGKIF2rYs
      elle dit que "si c’était Kagamé qui avait descendu l’avion, c’était Kagamé qui avait la première responsabilité du Génocide. Car s’il a fait cela il l’a fait à propos, et moi, naturellement, je trouvais cela diabolique...mais évidemment le diable existe là encore on ne sait jamais » (Manifestement elle fait une allusion, ironique, au livre de Dallaire).
      Madame Carla Del Ponte n’est pas encore sous le coup de la justice pour négationnisme. Les réponses fournies par Gérald Gahima (ex-procureur général de la République rwandaise sous Kagamé et réfugié actuellement aux USA) dans ce même « reportage » est typique de l’ « UBWENGE »
      (cfr. les textes sous : https://www.musabyimana.net/20091004-la-culture-du-mensonge-chez-certains-rwandais-revue-bibliographique-partielle/)
      Bien à vous.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 13 novembre 2019 16:44

      @Bertrand Loubard

      Merci pour votre réponse et pour les liens.
      Désolé pour le délai de réponse mais la lenteur a parfois du bon puisque que le site musabyimana a publié hier un article sur la lettre contre Judi Rever avec une mise au point intéressante concernant l’accusation de négationnisme. Il apparaît que la question a été réglée par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dans son jugement contre l’Etat rwandais en novembre 2017.[3]

      Mais sans doute étiez-vous déjà au courant.
      Bien cordialement,
      LLS


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