vendredi 8 novembre 2019 - par Bertrand Loubard

Judi Rever et Paul Kagamé : « Le premier qui dit la vérité ..... » (2/... ?)

« Le premier qui dit la vérité

Il doit être exécuté »[1].

 

Dans ma précédente livraison[2] j’avais exprimé mes sentiments devant la levée de boucliers qu’avait provoquée la décision de certaines autorités néerlandophones du monde académique belge de prévoir des « lectures », à propos du livre : « In Praise of Blood. The Crimes of the Rwandan Patriotic Front [3] » de Judi Rever en présence de l’auteur. J’appréciais la légitimé, au vu du Droit (entre autre belge), d’exercer la liberté de s’exprimer comme le faisaient les pétitionnaires du 8-9 ou 10 octobre 2019[4], avec un « soupçon de réserve toutefois [5] » ..... En effet, je me posais la question de savoir comment ces « pétitionnaires » pouvaient encore rester « bystanders » devant ce livre, comme l’était restée la communauté internationale, amie du peuple rwandais, devant les prodromes du Génocide de 1994 ? Comment et pourquoi les pétitionnaires du 8-9 ou 10 octobre n’ont-ils pas fait usage de leur droit pour obtenir en référé, auprès des juridictions ad hoc, l’interdiction des prises de paroles de Judi Rever ? Car en effet, si on lit bien cette « pétition - lettre ouverte » il y a de graves accusations de négationnisme à l’encontre de Judi Rever ; accusations constituant en fait la mise en évidence des menaces, précises, exactes et complètes de planification d’un nouveau génocide et d’exhortation implicite à sa commission ..... Car le négationnisme n’est-il pas une des prémices de tous les génocides ? Le « never again », le « plus jamais ça » sans réaction au « ça », ne serait-ce que lettre morte ? Ne pas actionner les leviers de la Justice, ne serait-ce pas, en fait, une sorte de complicité passive, une attitude d’abstentionisme ou même incitation à un néo-génocide par omission ? « Attitude de passivité » que les pétitionnaires, justement, se font un devoir de dénoncer (à propos de la France, entre autre). Dès lors, comment et pourquoi la Justice (belge et/ou internationale, par exemple la CPI) n’a-t-elle pas été saisie et laisse-t-elle la propagande génocidaire se développer aussi librement sans réaction, sans mise à l’index, sans inculpation pour enfreinte aux lois mémorielles internationales ......... ? Une simple « lettre ouverte – pétition » ne serait-elle pas une réponse inappropriée et sans commune mesure avec le préjudice que causeraient, les écrits de Judi Reve, à toutes les victimes passées, présentes et à venir des génocides » [6] ? La « retenue » des « signataires » ne serait-elle pas l’aveu de leur crainte de prendre le risque d’aboutir à l’ouverture d’une Boîte de Pandorre[7] à propos du régime actuel de Kigali depuis « avant, pendant et après » le Génocide des Tutsis du Rwanda de 1994. Des vérités n’émergeraient-elles pas au grand jour s’il fallait aller au bout de la logique anti-négationniste ?

 

Car à bien relire la « pétition-lettre ouverte » on se rend compte que les signataires semblent bien vouloir faire porter à Judi Rever la responsabilité d’un arithmétique macabre selon laquelle : 1 génocide des Tutsis par des Hutus + 1 génocide des Hutus par des Tutsi = aucun génocide du tout.

Or cet assertion simpliste est fausse ..... Judi Rever a toujours reconnu la réalité du génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. Et vouloir l’empêcher de parler est significatif de ce que dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité, fait peut-être peur à un certaines personnes qui, face à l’évidence, devraient, honnêtement et logiquement, en arriver à « brûler ce qu’ils ont adoré et adorer ce qu’ils ont brûlé »[8].

 

Ne faut-il pas tirer sur le messager pour éviter que l’analyse du message ne « prouve » la vérité du message ? Et c‘est bien le cas, selon moi, de Judi Rever, de son livre et de l’initiatives des « pétitionnaires ».

 

Le contenu du message des pétitionnaires est, pour moi, fallacieux. Mais justement parce qu’il est calomnieux, il nécessite de rappeler certaines questions qui se posaient depuis très longtemps.

 

Puisqu’il est le compatriote de Judi Rever, il faut examiner en premier lieu le cas du Général Roméo Dallaire, chef militaire de la Minuar[9], qui écrivait dans son livre « J’ai serré la main du Diable [10] » en 2003 : « .... Kagamé ne semblait pas faire grand-chose pour remédier à cela (les pillages). Qui, au juste, avait tiré ses ficelles[11] tout au cours de la campagne. Je plongeai dans des pensées sinistres, me demandant si la campagne et le génocide n'avaient pas été orchestrés pour un retour du Rwanda au statut quo d'avant 1959 époque à laquelle les Tutsi dirigeaient tout. Les extrémistes hutus avaient-ils été plus dupes que je ne l'avais moi-même été. Dix ans plus tard je ne peux toujours pas éluder cette troublante question, surtout à la lueur des événements qui, depuis, ont lieu dans la région ». Il ne s’agit pas ici de tirer sur le messager qu’est Dallaire en tant que pétitionnaire...Mais bien de rappeler que Judi Rever avait sollicité Dallaire pour une entrevue. Celui-ci l’a tout simplement renvoyée à son livre . Elle n’a donc pas pu discuter avec lui de cette « lancinante question » .... alors que les pétitionnaires (dont Dallaire) déplorent le manque d’ouverture de ceux qui ont organisé les « lectures », objet de leurs « récriminations ». Il faut savoir que Dallaire suite à une entrevue récente avec un journaliste néerlandophone, déclare : « J’ai 20 ans de thérapie derrière le dos et je prends encore journellement neufs pilules différentes ».

Il faut savoir aussi que Dallaire lui-même a reconnu, devant une commission militaire canadienne[12] enquêtant sur les « méfaits » de la Méfloquine[13], à propos de ses aptitudes à commander la Minuar :

“La Méfloquine est un vieux truc et elle affecte notre capacité à fonctionner ».

(Dans son cas, les effets secondaires étaient si sévères qu’il a dû demander à son assistant de contrôler ses actions - Traduction personnelle – Sic « Commons veterans affairs committee » - Canada). Il a ajouté lors de cette audition :

“J’étais depuis un an sous Méfloquine. Après environ 5 mois sous cette médication , j’ai écrit au Quartier Général de la Défense Nationale et je disais que cette chose affectait mon habilité à penser. Cette chose m’arrache (m’éclate) l’estomac ( ?). Cette chose affecte ma mémoire, et je veux m’en débarrasser » ….. « J’ai alors reçu en retour un message – c’était l’un des messages en retour le plus rapide que je n’ai jamais reçus – qui, essentiellement, m’ordonnait de la continuer, si non, je passerais en cour martiale pour mutilation volontaire »(Traduction personnelle). (Mars 2017)

Si on peut comprendre que le livre qu’il a écrit n’est qu’une psychothérapie adaptée à son cas, sa participation à la « lettre ouverte-pétition » de ce 08-09 et 10/11 semble dépasser le cadre des initiatives qui pourraient lui permettre de sortir de son handicap et assumer la réalité.

A ce propos il faut lire l’article de Yves Engler, journaliste canadien anglophone qui à propos de Dallaire pose la question ; « Is Roméo Dallaire a genocide denier ? » ce 06/06/2019 dans : https://dissidentvoice.org/2019/06/romeo-dallaire-denies-canadian-genocide-and-distorts-rwandas/ sous le titre : « Roméo Dallaire denies Canadian Genocide and distorts Rwanda’s » et ce, bien avant l’initiative d’octobre 2019 de certaines autorités néerlandophones du monde académique belge !!!

Il faut également noter l’étrange coïncidence. Alors que le livre en anglais de Judi Rever « The Praise of Blood » de mars 2018 est paru en néerlandais sous le titre « De waarheid over Rwanda. Het regime van Paul Kagame [14] » en octobre de la même année, le livre de Dallaire « Shake Hands with the devil » de 2003 semble avoir été également édité en néerlandais sous le titre « Oog in oog met de deuivel »[15] en .... octobre 2019 !!!! 16 ans après !!!!!

 

Avant d’en terminer avec Judi Rever et Dallaire, je conseille vivement de regarder la vidéo : « Escadrons de la mort rwandais au Canada » dont les références sont reprises ci-dessous/

https://www.youtube.com/watch?v=cahM-sP3j-0

ou

https://youtu.be/cahM-sP3j-0

ou

https://www.youtube.com/watch?v=62_3noAEYjc

 

A côté d’entrevues avec Judi Rever, bien entendu, il y a les interventions de Cyrie Makuze, (veuve Sendashonga), Lewis Mudge (Human Rwight Watch), Meryam Haddad (Avocate), Guy Raspaille (ex-Président du Comité de Contrôle des Renseignements belges), Marie-Eve Desrosiers (Professeur Adjointe Université d’Ottawa), François Audet (spécialiste de l’Aide Humanitaire) ....

On peut y « entendre » aussi Kagamé reconnaître par trois fois implicitement les assassinats de Seth Sendashionga , Patrick Karegeya, Théoneste Lizindé, Félicien Gatabazi ..... Ce qui rappelle sa réaction lors de la célèbre entrevue avec le journaliste de la BBC, Stephen Sackur, le 7 décembre 2006 [16] et sa reconnaissance implicite de son rôle dans l’assassinat d’Habyarimana....Il s’agit d’un chef d’œuvre l’ubengwe[17], qui est à la culture de l’oralité ce que sont les arts martiaux à la culture physique.

 

Alors ? Qui a peur de Judi Rever .... ?

 

[1] Guy Béart

[2] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/judi-rever-et-paul-kagame-le-218870

2 Errata . Il faut lire, ligne 2 : « L’exercice des libertés .... est garanti » et non « sont garanties » et 3iéme paragraphe, troisième ligne « Johan » ou lieu de « Serge »

[3] ISBN 978—345-81209-4 Random House Canada - 2018

[5] Georges Brassens : « Mourir pour des idées »

[6] Yves Engler Cfr plus loin

[7] ww.linternaute.fr/expression/langue-francaise/80/la-boite-de-pandore/

[9] Chef Militaire de la Mission des Nations Unies au Rwanda – (12/93 – 07/94)

[10] Editions « Libre expression » – ISBN 2-7648-007-X – Traduction de « Shake Hands with the Devil” P 588 – premier alinéa -14ième ligne et suivantes.

[11] « Ficelles » de Kagamé .... marionnette de qui ?

[13] Prophylaxie antipaludique aux effets collatéraux dévastateurs : hallucinations, délires, schizophrénie, tendances suicidaires, etc...que certains ont mis sur le « dos » de PTSD (pour Posttraumatic stress disorder).

[14] Amsterdam University Press « La vérité sur le Rwanda. Le régime de Paul Kagamé »

[15] Uitgeverij Omniboek « Les yeux dans les yeux avec le Diable »



6 réactions


  • sls0 sls0 8 novembre 2019 14:45

    Je ne peux pas me prononcer, je n’ai pas lu le livre.

    J’espère que les pétitionnaires l’on lu.

    Même s’il l’ont lu, sur le sujet et l’endroit c’est très partisan ou militant.

    Un militant a des oeillières, sont avis importe peu. Cela dit il a peut être raison mais ce n’est pas dû à une analyse mais au hazard qui fait qu’il n’a pas tord.

    Je ne dit pas que ce massacre n’a pas été effroyable et qu’il faut l’oublier, je me déclare imcompétent sur ce sujet.

    Ce n’est pas trop l’article qui m’a éclairé.


    • Bertrand Loubard 8 novembre 2019 16:19

      @sls0
      Merci pour votre commentaire. C’est effectivement toute une série d’articles que j’ai « pondus ». En cherchant « un peu » sur Agora Vox, avec mon pseudo « Bertrand Loubard » vous pouvez les trouver facilement. Cette série de « papiers » forme un tout homogène, du moins à mon point de vue. Il y a sans doute des erreurs à corriger et des points de vue à revoir....mais grosso modo je me sens cohérent dans ma démarche et mon approche. Je pose des questions, je cite les réponses qui ont déjà été fournies, j’essaye d’examiner d’une manière critique et positive les avis que mes « écrits » suscitent. Le Génocide des Tutsis du Rwanda m’a particulièrement intéressé car c’est la plus grande tragédie de la fin du 20ième siècle. Une histoire effroyable qui ne peut malheureusement pas se résumer en quelques articles, tant la complexité des populations concernées, de leur histoire et de leur culture est fascinante sur tous les plans de l’anthropologie à l’ethnographie et à la socio-politique.
      Bien à vous.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 9 novembre 2019 20:07

      @Bertrand Loubard

      Merci à nouveau pour cet article et pour les pistes à explorer.

      Juste un petit point de désaccord : tout peut se résumer en quelques articles. Même la création du monde.
      Dès lors qu’on assume le fait de faire un résumé, on peut réduire comme on veut.
      Le problème est plutôt de vouloir donner un tableau convaincant alors qu’un résumé c’est surtout pour les convaincus (qui reconnaissent le tableau) ou pour donner envie d’aller y voir de près à ceux qui ne connaissent pas.

      Pour ma part, j’ai tenté une fois un résumé sous l’angle de la structure victimaire fabriquée (pour ma part j’en suis convaincu) par Kagamé (le truc diabolique dont parlait Carla del Ponte).
      Organiser le génocide de son propre peuple pour obtenir le pouvoir grâce au statut victimaire, c’est pas dingue ça ?
      Je ne sais pas pourquoi, je trouve cette forme de sacrifice fascinante...
      Comme un archétype !


    • Bertrand Loubard 10 novembre 2019 16:42

      @Luc-Laurent Salvador
      Merci pour votre commentaire. C’’est vrai qu’il m’est « difficile », « impossible » de synthétiser ou d’épuiser les sujets que j’aborde à propos du Rwanda tant la complexité de la question est grande. Je voudrais maintenant explorer, examiner les motivations et les moyens de ceux qui expriment leurs souhaits de mettre en place les structures d’une « sorte de République des censeurs », justement dans le cadre de l’« événement Judi Rever ».
      J’ai été intéressé par votre « ...... résumé sous l’angle de la structure victimaire fabriquée par Kagamé (le truc diabolique dont parlait Carla del Ponte).
      Avez-vous connaissance d’une approche de la part de René Girard de cette notion d’« umutabazi » très rwandaise ? « Le suicide à l’étranger ... du Mwami .... considéré comme conforme à la tradition de l’umutabazi : le vengeur d’une espèce unique, qui au lieu de tuer l’injuste agresseur de son pays, se fait tuer par lui, afin de charger sa tête d’un forfait abominable, et que son ombre à lui, son propre musimu ( muzimu ), revenant en puissance, ait le droit de le frapper et de lui faire subir par un inexorable retour la peine du talion ».
      Je me suis souvent posé cette question à propos d’Habyarimana. D’abord, avec son départ pour les USA, peu avant le 01/10/990, alors qu’il devait connaître l’imminence de l’attaque du FPR. Ensuite, avec sa participation à la Conférence de Dar Es Salaam, alors que Mobutu lui avait déconseillé le voyage. En plus, il devait être au courant, par les services de renseignements français, au moins, que Kagamé disposait de quoi abattre son avion (même si celui-ci était équipé de défenses antimissiles dont tout avion présidentiel dispose, le Falcon 50 ayant été l’un des avions de Mitterrand). Finalement, les USA venaient, ostensiblement, de mettre en place, à Bujumbura, une intendance militaire particulièrement efficace...... Alors ?
      Bien à vous.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 15 novembre 2019 13:32

      @Bertrand Loubard

      "Avez-vous connaissance d’une approche de la part de René Girard de cette notion d’« umutabazi » très rwandaise  ?

      "

      La réponse est clairement non. J’ai fait une rapide recherche mais je n’ai rien trouvé en lien avec la théorie de René Girard. C’est clairement sacrificiel mais il m’est difficile d’en dire plus. Sauf qu’au Rwanda, apparemment, l’enseignement catholique y avait fort maladroitement associé Dieu et Jésus (dixit Malachie Munyaneza

      dans le seul article de la sphère girardienne qui aborde la notion.
      C’est ici p.64 et je ne sais pas ce que ça vaut :  https://www.uibk.ac.at/theol/cover/contagion/contagion08.pdf


      Je ne vois pas non plus de liens évidents avec Habyarimana. Mais je n’ai pas toutes vos connaissances détaillées. Ma vision est plus globale, orientée vers la mécanique de construction d’un pouvoir par le sacrifice humain, par le sacrifice ses proches, comme cela s’est pratiqué depuis la nuit des temps quand on offrait en holocauste son enfant premier né.

    • Bertrand Loubard 15 novembre 2019 15:46

      @Luc-Laurent Salvador
      Merci pour les références et le lien très intéressant. Il me faudra sans doute encore beaucoup de temps pour essayer d’« analyser » les notions reprises dans le texte de Malachie Munyaneza. J’essayerai, peut-être, aussi, un jour ....... d’approfondir mes « recherches » dans Luc de Heusch, Catharine Newberry et Jan Vansina.....
      Bien à vous.


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