mercredi 9 février 2011 - par Paul Villach

Juste une dégustation au « Festival du court-métrage » de Clermont-Ferrand

« Le 33ème festival du court métrage  » de Clermont-ferrand se déroule actuellement du 4 au 12 février 2011. Ce sont environ 400 films qui sont projetés à jet continu dans 14 salles réparties sur toute la ville, de tailles variables allant des 1.400 places de la Salle Jean-Cocteau, à la Maison de la Culture, au 90 du Cinéma Les Ambiances, en passant par les 690 de l’Amphi Gergovia de la Faculté de Lettres ou des 370 de l’Auditorium Genova. (6)

Les séances d’une heure et demie s’enchaînent dans une après-midi, offrant cinq à six œuvres selon leurs durées qui oscillent entre quelques minutes et trois-quart d’heure, mais surtout entre dix et trente minutes pour la plupart.
 
Un mode de consommation cinématographique étrange
 
On a voulu expérimenter ce mode de consommation cinématographique dont on s’était gardé jusqu’ici. On considère, en effet qu’une œuvre mérite qu’on lui réserve une attention exclusive et qu’elle n’est plus considérée pour elle-même dès lors qu’elle est mêlée à d’autres, comme une personnalité disparaît quand elle est noyée dans la foule. Une oeuvre ne doit pas être parasitée par d’autres auxquelles le même respect est dû.
 
La vision d’un film est un peu comme la dégustation d’un plat : on ne conçoit pas de manger un gigot d’agneau rôti après une paella ou une pizza aux fruits de mer. La sensation de satiété nuit forcément au second plat : il a beau être réussi, on n’en perçoit plus la saveur, faute d’appétit ; pis, on peut être pris de nausées.
 
On s’est laissé tout de même tenter : des courts métrages à la suite, n’était-ce pas comme les tapas espagnoles ? Pourvu qu’elles soient consommées en très petite quantité, leur nombre multiplie les saveurs sans se contrarier et en exhausse même le goût.
 
Une incroyable affluence
 
Il faut croire qu’il existe un public friand de ce type de consommation. Car malgré le ciel d’azur au-dessus du dôme du Puy-de-Dôme qui domine la ville vallonnée de Clermont-ferrand, hérissée des flèches sombres de sa cathédrale en pierres volcaniques, la foule se pressait dans les salles obscures de la Maison de la Culture, samedi après-midi 5 février 2011, à chaque séance.
 
Par trois fois, comme beaucoup, on est revenu, entre 14 heures et 19 heures, s’asseoir dans l’immense Salle Cocteau à balcon archicomble pour trois séries de tapas, pardon, de cinq ou six courts métrages. On aurait aimé que les hôtesses d’accueil qui présentaient sur scène les œuvres et faisaient applaudir leurs auteurs, soignent un peu leur apparence : des jeunes filles en jean avachi et délavé, ça jure dans ce décor aussi somptueux de velours rouge.
 
Dix-sept films dans l’après-midi
 
On ne prétend pas rendre compte de la programmation de 400 films venus de 70 pays. On en est bien incapable. Il ne s’est agi que d’une dégustation. On n’a vu que 17 films dans l’après-midi, 6 étrangers et 11 français. Si on est resté de glace devant quatre dessins animés, on sait pourquoi : on n’y retrouvait ni la précision du dessin ni les vives couleurs ni l’humour ni la mélodie d’un Jean Image par exemple dans « Aladin et la lampe merveilleuse  » (1969). Leurs auteurs se suffisaient d’ébauches d’esquisses plus ou moins informes et répulsives. L’art minimaliste sans doute qui pollue encore les esprits !
 
D’autres films jouaient du leurre d’appel humanitaire. « Dans le ventre de la baleine  » (1) évoque le sort d’habitants de Gaza qui brisent le blocus en passant par des tunnels pour aller chercher des marchandises en Égypte dont ils font commerce à leurs risques et périls.
 
« Des nattes sur un crâne nu  » (2) montre l’insoutenable sexisme d’un mari au chômage qui au Nigéria exige de son épouse, travaillant dans un salon de coiffure, qu’elle le serve comme un pacha à son retour du travail. Une voisine célibataire lui ouvre d’autres horizons.
 
« Tremblay-en- France  » (3) est la longue marche nocturne d’un Écossais débarqué en banlieue parisienne qui cherche à retrouver une jeune femme : on découvre que c’est une hôtesse de l’air quand il la retrouve au petit matin sortant de son pavillon pour aller reprendre l’avion… accompagnée d’un compagnon en uniforme de steward ou de pilote.
 
Deux fables intéressantes
 
La fable est sans doute ce qui peut donner sa force au court-métrage. Elle se prête à son format : la stylisation du symbole et l’ellipse permettent une économie de temps. On en a relevé deux exemples réussis, « Petit tailleur » (4) et « Coucou-les nuages  » (5). Ils ont en commun de faire réfléchir à l’amour impossible pour des raisons différentes. Mais ils s’opposent par le ton : le premier en noir et blanc choisit celui du drame, le second, celui de la farce qui tourne à la tragédie.
 
- « Petit tailleur  » (4)
 
Arthur est apprenti tailleur chez un vieux patron d’origine juive qui compte lui céder bientôt son atelier. Mais il s’éprend de Marie-Julie, une actrice dont la grâce a sûrement autant émerveillé le cinéaste que lui, tant son visage est caressé en gros plans pour le plaisir des yeux du spectateur qui se plaît à le regarder comme on s’absorbe dans la contemplation d’un paysage.
Seulement, l’actrice, habituée à capter les regards, exige du petit tailleur qu’il renonce à son emploi pour la suivre en tournée. Que choisir entre l’atelier et l’actrice ? Le temps mis par Arthur à expliquer précautionneusement son départ à son patron effondré, résout en fait le problème : quand il arrive au rendez-vous fixé, l’actrice est partie avec un autre amant. Le petit tailleur remercie son patron d’un bouquet de fleurs : qu’attendre, en effet, d’une amante qui ne sait pas attendre celui qu’elle prétend aimer ?
 
- « Coucou-les-nuages » (5)
 
Dans « Coucou-les-nuages », les rôles sont inversés : c’est Frida, une superbe jeune fille, qui est très amoureuse de Hans. Ils travaillent tous deux dans un abattoir breton où l’on découpe la viande à la chaîne, en blouse blanche, coiffé d’une charlotte bleue de chirurgien. Mais Hans rêve de tout autres horizons. Il anime un groupe appelé le « PSP », « le Programme Spatial du Peuple » : il veut partir dans l’espace. Mais comment un simple boucher peut-il prétendre réaliser projet aussi fou ?
 
L’écart considérable entre rêve et réalité, on le devine, créé forcément les ressorts de la farce pour le spectateur, mais pas pour les personnages prisonniers de leur passion. Hans et ses amis, à la professeur Tournesol, inventent une rampe de lancement d’où projeter par ressort une capsule habitée qui doit venir se coller à la tôle d’une fusée spatiale. On assiste hilare à l’essai réussi sur un silo à grains tenant lieu de fût de fusée : la capsule lancée à la va-comme-j’te-pousse dans les airs vient miraculeusement y adhérer, contre toute probabilité ! Le matériel est donc fiable…
 
Hans est alors bien décidé à mettre son projet à exécution malgré Frida qu’on voit courir éperdue à sa recherche en silhouette sur l’horizon au rythme de la plainte poignante de Donizetti, « Una furtiva lacrima  ». Il rejoint bientôt, on ne sait comment, une base spatiale. Frida l’apprend quand il la joint par téléphone pour l’inviter à assister à son décollage par Internet. Il la presse de brancher son ordinateur car le départ est imminent. La mère de Hans chez qui s’est réfugiée Frida, court le chercher dans son bureau, mais ne le trouve pas tout de suite : elle tarde à revenir. Pressée par Hans, Frida la houspille : a-t-elle enfin l’ordinateur ? « Oui, crie la mère excédée, j’ai l’ordi, sacré vingt dieux !  » Cet autre écart entre raffinement technologique et grossièreté paysanne de langage soulève l’éclat de rire.
 
« L’ordi » branché, apparaît alors l’image de la capsule agrippée à la fusée qui, dans un nuage de feu et de fumée, décolle bientôt vers l’espace, emportant Hans en passager clandestin dans son minuscule habitacle, collé au fût comme un aimant décoratif à un réfrigérateur. D’une caméra interne de la fusée, on suit en plongée les détachements successifs des réacteurs jusqu’à ce que l’un d’eux emporte Hans, ce qu’il n’avait sans doute pas prévu. Frida disparaît alors dans la campagne, un fusil de chasse à la main. Une détonation et l’image furtive de Frida à la renverse sont les deux métonymies discrètes montrant à la fois la cause pour l’effet et l’effet pour la cause : on devine l’irréparable qu’elle vient de commettre.
 
Le sigle PSP, pour « Programme Spatial du Peuple », évoque trop un autre sigle politique pour que ce projet fou vécu par Hans jusqu’à la mort ne mette pas en garde contre des utopies politiques qui, promettant la lune, finissent par tuer le seul rêve qui vaille, l’amour entre une femme et un homme.
 
Des courts-métrages en série, finalement, c’est comme des tapas : dans l’assortiment, chacun peut y trouver son bonheur. Le danger tout de même est qu’à la troisième séance, vers la 4ème heure, la fatigue aidant, on ne sache plus goûter ce que des auteurs ont préparé avec tant de soin. On s’excuse donc auprès de ceux dont pour cette raison on n’a pas su apprécier les oeuvres. Du coup, on se demande comment font ces prétendus jurys pour attribuer leurs prix. S’il réussissent à échapper à l’indigestion, leur est-il possible d’établir une hiérarchie fiable entre des œuvres de l’esprit ? Pas plus qu’on peut en dresser une entre un gigot d’ageau rôti, une paella, une pizza ou des tapas ! Paul Villach
 
(1) Hazim Bitar, « Dans le ventre de la baleine  », un film jordano-palestinien, 23 minutes ;
(2) Isahaya Bako, « Des nattes sur un crâne nu  », film anglo-nigérien, 25 minutes
(3) Vincent Vizioz, « Tremblay-en France  », film français, 22 minutes.
(4) Louisd Garrel, « Petit tailleur  », film français, 44 minutes.
(5) Vincent Cardona, « Coucou-les-nuages  », film français, 38 minutes
(6) Je remercie Aline et Patrick Juan pour avoir rendue possible cette dégustation au « 33ème Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand ».
 


Petit tailleur, de Louis Garrel par AgoraVoxFrance 

 
N.B. Ci-dessous :
- 1ère photo : Frida dans "Coucou-les-nuages" ;
- 2ème photo : Marie-Julie et Arthur dans "Petit tailleur".


3 réactions


  • Paul Emiste 9 février 2011 22:22

    Bonjour.
    Parisien, mais depuis vingt ans à Clermont-Ferrand, je ne suis jamais allé au festival du court ! Et pourtant... ! Le court-métrage est indispensable, et était un passage obligé des réalisateurs ou scénaristes. Mais certaines émissions nous passent tellement de courts très mauvais (surtout certains produits pas la Fémis !), que c’en est désespérant. Le festival a du succès, parce qu’il permet de voir plusieurs histoires, le temps d’un long métrage. Malheureusement, l’Etat ne fait rien pour le court-métrage (j’ai été producteur, il y a longtemps) ; Il faudrait prendre exemple sur la Belgique, où les courts font partie du prix du billet. En France, l’on paie pour le long, et c’est tout. Peut-être un sujet à développer. Et aucun ministre n’a vraiment fait quelque chose pour améliorer le court en France.
    Il faut tout de même préciser que, si le festival de Clermont-Ferrand est le plus important, il y a aussi d’autres festivals pour le court-métrage.


  • docdory docdory 9 février 2011 23:01

    Cher Paul Villach

    Je me souviens que, dans mon enfance, les séances de cinéma étaient beaucoup plus riches que maintenant.
    Il y avait une première partie à part entière qui comprenait :
    -les bandes annonces des prochains films
    -les actualités ( qui ont disparu peu après la généralisation des actualités télévisées )
    -et un court métrage, qui était soit un dessin animé à la Tex Avery, soit un petit film.
    -et enfin la publicité avec lepersonnage de Jean Mineur, qui existe d’ailleurs toujours !
    Des glaces étaient vendus à l’entracte, ce qui arrondissait les fins de mois des ouvreuses, l’entracte était suffisamment long pour que l’on puisse déguster des friandises sans gêner avec d’intempestifs bruits d’emballage durant le film. Pendant l’entracte était affiché un panneau publicitaire fixe servant à la réclame des commerçants locaux .
    La disparition du court-métrage lors des premières parties de films a été un méfait, car il n’a été ensuite plus tellement rentable de produire des courts-métrages, qui sont pourtant aux films normaux ce que la nouvelle est au roman.
    Il ne reste guère que la solution de les regarder sur arte... ou d’aller à Clermont Ferrand !


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