samedi 8 septembre 2018 - par Bertrand Loubard

Kagamé - Rever : (4/n)[1] : « Les mondes du silence : Génocide des Tutsis du Rwanda et silence des armées. 2ième partie : Rudasingwa

Pour continuer d’évoquer quelques aspects du « monde du silence » militaire, et après avoir « rappelé » le cas « Rose Kabuyé »[2], tentons de parler du Major Théogène Rudasingwa auquel Judi Rever consacre, directement ou indirectement, une part non négligeable de son livre[3] puisqu’elle aurait eu des entrevues « exclusives » avec lui, aux USA.

La biographie de Rudasingwa qui suit est reprise du site internet du « United States Holocaust Memorial Museum »[4] et date probablement de 1998-1999. Elle ne semble pas avoir été mise à jour depuis, puisqu’il n’y est pas question (évidemment) de l’exil de Rudasingwa aux USA depuis 2004 et (pour « cause » ?), de la raison de cet exil (! !!). La traduction (trahison) française suivante, est personnelle et donc « amateur ».

« Theogene Rudasingwa est Ambassadeur de la République Rwandaise aux Etats Unis.

Le Dr. Rudasingwa a une formation et une licence en tant que docteur en médecine. Il a servi dans les rangs du Front Patriotique Rwandais en tant que Médecin de Terrain / Officier de Liaison (1990-1991), Membre du Comité Exécutif (1991-1993), et comme Secrétaire Général (1993-1996). Au cours de sa carrière militaire il a servi en tant qu’attaché de liaison sénior du Front Patriotique Rwandais auprès des Gouvernements Européens et Africains, de l’Organisation de l’Unité Africaine, des Etats Unis et des Nations Unies. Le Dr. Rudasingwa a participé aux négociations avec les représentants officiels du Gouvernement Rwandais de l’époque qui ont conduit à l’Accord de Paix d’Arusha. Ensemble avec d’autres leaders du FPR, il a coordonné et supervisé divers initiatives militaires et politiques dans la mise en place le Gouvernement actuel d’Unité Nationale. Il a atteint le grade de Major dans l’Armée de Libération. Il a été nommé Ambassadeur aux Etats Unis en 1996. Durant son mandat en tant qu’Ambassadeur il a participé avec la Banque Mondiale à la formulation d’une stratégie d’assistance pour le Rwanda, il a participé aux négociations entre le Fonds Monétaire International et la Gouvernement Rwandais, il a établi et a contribué à entretenir une série de fortes relations de travail avec des « think-thank groups », des ONG et les institutions de Bretton’s Wood. Le Dr. Rudasingwa a aussi beaucoup voyagé à travers les Etats Unis, prenant la parole dans les Collèges et Universités à propos de la période du Génocide au Rwanda et des défis immédiats auxquels son pays devait faire face. Le Dr. Rudasingwa est l’auteur de deux publications : “Background to Genocide (1994)” et “Imperatives of Reconciliation, Justice and Development (1995)”. »

 

Ceci dit, et malgré le fait que Judi Rever rapporterait ce que lui aurait confié Théogène Rudasigwa [5], celui-ci dans un article intitulé « A BRIEF PRAISE AND CRITIQUE OF JUDI REVER’S IN PRAISE OF BLOOD » paru dans « The Rwandan » [6] du 26 avril 2018 fait une analyse critique relativement sévère mais cependant intéressante, du livre de Judi Rever. Critique intéressante non seulement sur le fonds mais aussi dans la forme, elle-même. Un soupçon de contestation vis-à-vis des vues de Judi Rever, pointe évidemment dans cet article, mâtiné, opportunément, de quelques fleurs compensatrices !!!....... Mais comme Judi Rever est encore dans une courbe ascendante dans le désert de l’information objective (du moins de ce côté-ci de l’Atlantique Nord), Rudasingwa adopte un profil assez bas ; une certaine manière, sans être une basse et pernicieuse flatterie, de « caresser », suivant les opportunités, la « bête » dans le sens du poil.... [7] En traduction personnelle de l’article référencé en 6 ci-dessus un extrait symptomatique :

« C’est cependant une contribution importante aux voix des Rwandais et des autres membres de la communauté mondiale qui refusent d’accepter le discours dominant du FPR qui cherche à entraver le cours de la justice et à fuir la responsabilité des crimes commandités par Paul Kagame et sa DMI.......... Le courage, l’endurance, la résistance et la résilience[8] de Judi Rever sont très évidents car elle cherche à donner une voix à ceux qui ne peuvent pas se défendre, en particulier les victimes hutues marginalisées dans leur propre pays ou vivant en exil …… Je vous recommande fortement de lire ce livre.... »

Avant d’aller plus loin il faut signaler un extrait d’une conférence que Rudasingwa a donnée le 09/12/1998 à ce même USHMM dont question ci-dessus (donc 8 ans après avoir rejoint le FPR, quatre ans après le génocide et 6 ans avant sa reconversion de 2004 en réfugié aux USA)[9], et toujours en traduction personnelle :

« Le président Habyarimana mourut dans un crash aérien le 6 avril 1994 ... »

Or le21/10/2011, suivant le Figaro[10] Théogène Rudasingwa sur sa page Facebook :

"Maintenant, la vérité doit être dite. Paul Kagame, alors commandant en chef de l'Armée patriotique rwandaise, la branche armée du Front patriotique rwandais (FPR), était personnellement responsable des tirs contre l'avion,"..... "Paul Kagame lui-même m'a dit qu'il était responsable des tirs sur l'avion, avec son cynisme caractéristique,"

Dans le « fonds », apparemment, Rudasingwa ne contredit pas textuellement ce que Judi Rever avance. Il conteste et nuance cependant certaines positions de l’auteur sur les rôles respectifs des différentes composantes de la mouvance « FPR-APR-DMI-KAGAME », dont, bien entendu, le sien propre. Il est normal, qu’ayant échappé aux fourches caudines des justices française et espagnole, il adopte la seule position conservatoire possible pour « caresser » l’espoir de son avenir dans le futur Rwanda post - Kagamé.

Dans la forme, il faut bien analyser la structure de l’argumentaire, structure typique de l’Ubwenge ou « casuistique jésuite »[11], pour tenter d’approcher, justement par-là, le fonds des questions et les labyrinthes typiques de la sémantique rwandaise...... Cette dialectique permet de tout dire et de tout dédire en sachant qu’il faut être locuteur d’un des trois idiomes Kinyarwandas de la Cour du Mwami pour comprendre ce que « parler veut dire » au Rwanda. Cela permet l’apparence de la contradiction ou l’inverse, suivant les points de vue. Cela a été le cas des témoins à la CPI, devant le Juge Brugyère, et jusqu’à Alison Desforges qui semble avoir compris, un peu trop tard, que parler « prudence » au Gouvernement Britannique à propos de l’admission du Rwanda au Commonwealth était un exercice imprudent et même périlleux : lui aurait-il coûter la vie (« sabotage »-« accident » de Buffalo ?). Certains ne le suggèrent-ils pas ?

Et pour en terminer avec Rudasingwa, à propos de simples « détails pratiques » de son article dont question ci-dessus, n’est-on pas en droit de se poser certaines questions qui seraient, à la limite et remises dans le contexte des époques d’alors et actuelle, assez troublantes pour son auteur ?.... Pour ce qui m’en revient, spontanément, à l’esprit citons en vrac :

1 - Médecin militaire, Rudasingwa est assez élusif sur l’assassinat le 23 octobre 1990 d’un de ses confrères, Dr Major Bayingana, et de celui, le même jour, du Commandant Bunyenyezi, deux des principaux bras droits de Fred Rwigéma (assassiné, lui, dès le 2 octobre 1990). Le 02 octobre, Kagamé « n’était encore que sur le chemin du retour » de Fort Leavenworth. Il est arrivé à Kampala le 10..... Cela n’est-il pas étrange que cette question ne soit qu’effleurée dans l’article en question ? Alors que justement le Major Bayingana et le Commandant Bunyenyezi considéraient Fred Rwigyema et Paul Kagamé comme des « Kadogos »[12] quasi illettrés, opinion que d’autres officiers devaient partager manifestement. Rudasingwa n’en parle pas !

2 - Comment est-il possible, pour Rudasingwa, de désavouer Kagamé, dans le présent article, pour l’assassinat d’Habyarimana, après être resté à sa botte pendant plus de 14 ans. Ne voudrait-il pas nous faire accroire que ce serait à l’insu de son plein gré que tout cela s’est passé ? N’était-il pas au courant des deux guerres du Congo, entre 1996 à 2002 ? Il n’en parle pas .... Était-il, malgré sa situation d’Ambassadeur aux USA, « out » pour ces interventions ? Or il semblerait qu’on sait maintenant qu’elles avaient reçu l’accord, l’appuis, les conseils et la logistique[13] du Pentagone.... !!!!

3 – Comment Rudasingwa peut-il se faire le panégyrique du rapport d’Alison Desforges qu’il a utilisé à l’époque, aux fins que l’on connaît, alors qu’il reconnait implicitement, actuellement, le caractère indirecte de propagande de celui-ci ?[14] Il ne peut ignorer les revirements de celle-ci, entre autres, à propos de l’entrée du Rwanda dans le Commonwealth et lors du Procès Gacaca de Père Theunis ?

4 – Comment Rudasingwa peut-il déclarer que l’ONU parlant de millions de US$ du pillage du Zaïre-RDC par le Rwanda, se trompe d’ordre de grandeur puisque selon lui il s’agit de milliards de US$ dont les dirigeants (dont il n’était pas un pion subalterne, arrivé là, par hasard) du FPR ont dépouillé leur voisin[15] sous prétexte du droit de poursuite dans les soi-disant sanctuaires des Hutus Génocidaires, des ex-Far et autres Interahamwe.... ?

5 – De quoi peut vivre aux USA en tant qu’exilé et/ou réfugié Rwandais Rudasingwa ? Comment peut-on y exercer une activité politique qui est décrite par le Gouvernement de Kigali comme subversive, divisionniste, révisionniste et d’atteinte à la sureté de l’Etat Rwandais, sans que les autorités US ne réagissent ? Kagamé n’est-il pas un allié « important du gouvernement US » (jusqu’à nouvel ordre). Kigali ne semble pas devoir réagir devant ce qui pourrait être considéré comme une attitude « malveillante » des USA vis-à-vis du Rwanda : les USA accueilleraient et « protègeraient » un criminel activiste du négationnisme et du révisionnisme, condamné au Rwanda à 20 ans de prison.... ? Il faut se souvenir que Kigeli V dernier Mwami du Rwanda (dont Kagamé a refusé le retour au pays) est mort aux USA où il avait obtenu l’asile et y vivait grâce aux dons de la communauté des nostalgiques de la restauration Dynastique, « abhorré » du clan Ababega............

 

Mais le bruits de bottes aux frontières rwandaises avec le Burundi et l’Ouganda, les rumeurs d’attentats de Kagamé contre Musévéni[16], les invalidations des candidatures de Jean-Pierre Bemba et de Moïse Katumbi Chapwe en RDC, le début du procès de Bosco Ntaganda à la CPI ont de quoi inquiéter ... et mettre tout le monde dans une situation ambigüe et assez inconfortable.........

(Suite à un prochain numéro ?)

 

 

[1] n=(a+ib) soit « n » nombre complexe, encore indéterminé », dont « a » est la partie réelle et « ib » la partie imaginaire

[3] In Praise of Blood. The Crime of the Rwanda Patriotic Front Random House Canada 2018

ISBN 978-0-345-81209-4

[5] En le citant nommément et/ou en faisant allusion à un « informateur » ?

[6] http://www.therwandan.com/a-brief-praise-and-critique-of-judi-revers-in-praise-of-blood-the-crimes-of-the-rwandan-patriotic-front/

“However, there are some areas of her thesis over which I would like to put on record my

strongest reservations and disagreement »

[7] Kagame, lui-même, avait constaté que caressant, Rice et Power dans le sens du poil il n’avait pas eu de problème...mais quand le vent et les termes du « deal » avaient changés.... il ne pouvait plus compter sur ses thuriféraires au Gouvernement US et à l’ONU .... Alison Desforges ayant « disparu prématurément », elle aussi...

[8] La résilience permet à un individu affecté par un traumatisme (éventuellement psychologique) de se reconstruire.

[11] J’ai bien dit « casuistique jésuite »

[12] Enfants soldats recrutés parmi les petits voyous et petits voleurs des sous - prolétariats urbains.

[13] Certains auraient parlé de la présence de conseillers des Forces Spéciales US sur le terrain !

[14] P 262-63n3 « In Praise of Blood » :: “Report of the International Commission of Investigation on Human Rights violations in Rwanda since October 1 1990 ‘(ICI – Desforges – Schabas) : “. As RPF’s roving ambassador, this was a treasure in my hands. In Africa, Europe and here in the US it was a powerful weapon than anybody else.”

[15] P 46 - 3ième alinéa de « In Praise of Blood »




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